
Le visuel de l’exposition
L’exposition « Instants T » présentée à la Fondation Taylor du 28 novembre au 21 décembre 2024 à Paris a été, comme annoncé, transférée à Genève, à la Fondation WRP en Suisse, et visible du 13 au 31 janvier 2025. Expérience intéressante pour les commissaires de l’association « Graver Maintenant » que ce transfert qui a donné lieu à une nouvelle scénographie, à un autre jeu spatial compte tenu du cadre genevois. Une nouvelle migration à Bulle en Suisse est prévue plus tard à la fin 2025.
La Fondation WRP, située dans le quartier central de la gare de Cornavin, est un lieu voué aux domaines de l’architecture, de l’urbanisme et du design, avec pour ambition de soutenir les créateurs et de faciliter l’échange de savoirs. La galerie est située au niveau de la rue, occupant un angle vaste et largement vitré, d’où une grande visibilité de l’extérieur pour les œuvres. La ville s’invite aussi dans l’espace d’exposition avec sa lumière changeante, ses reflets et ses mouvements divers. Les espaces disponibles dans le rez-de-chaussée sont ingénieusement occupés et invitent le regard du spectateur à repérer, dans un plan différent ou sur des surfaces inattendues, la gravure et ses « instants T », jalons de sa création. À l’étage, une petite pièce offre un autre espace d’exposition, comme suspendu au-dessus de la galerie. Un accrochage très réussi, plein d’inventivité.

Une vue de l’exposition (Cl. Josiane Guillet)
Le 21 janvier 2025 à partir de 18 heures, s’est tenue une table ronde qui rassemblait des artistes et des amateurs éclairés autour de Laure Gabus, journaliste genevoise, Dominique Aliadière, artiste graveur, et Frédéric Lambert, sémiologue. Florence Bonhivers a joué le rôle de modératrice.
Laure Gabus souligne le défi qui consiste à vouloir capturer quelque chose qui nous échappe, le temps. Elle parle d’une « Quatrième Dimension », celle qu’elle a « traquée avec des mots et un micro » pour créer son podcast éponyme dont quelques moments ont été diffusés à cette occasion. La modératrice invite alors Dominique Aliadière à commenter son travail, présenté devant le groupe qui l’entoure, sur une grande table basse…carrée. Ce sont trois états d’une même plaque gravée en taille directe, méthode complexe familière à ce graveur. Le premier tirage d’une estampe, le premier état, peut être suivi, après une rotation de la plaque, d’un ou de plusieurs états, « instants T », échelonnés dans des temps variables, chacun étant conçu comme définitif.
La reprise d’une estampe, est une pratique courante dans l’histoire de l’art, addition voire soustraction; Rembrandt a effacé certaines parties de « Ecce Homo » ou d’autres œuvres. On pourrait parler de temps à rebours dans ce dernier cas, comme les ratures et réécritures dans la création littéraire. Et même de boucle temporelle pour l’œuvre de Marcel Proust, « La Recherche du temps perdu », dont la fin annonce l’écriture prochaine du livre que le lecteur vient de terminer.

Une autre vue de l’exposition (Cl. Josiane Guillet)
Le propos de Frédéric Lambert éclaire principalement l’opposition qu’il fait entre l’image médiatique (publicité, télévision, réseaux sociaux…) imposée d’emblée comme un objet « cultuel », une « réflexion » du monde réel, un reflet, et l’image « culturelle » construite dans le temps, comme celles que propose l’exposition « Instants T ». Les gravures, en tant qu’objets artistiques, sont fabriquées à partir d’instants, voulus par l’artiste, de gestes marqués par la subjectivité du créateur, le temps qu’il a vécu. Les « instants T » de l’exposition sont des points de départ du processus de fabrication, des arrêts intermédiaires volontairement dévoilés, des étapes dans le cheminement de la création. Le temps proposé de la fabrique des images apparaît alors comme une sédimentation possible des moments choisis, une mémoire dont l’épaisseur vient du choix des temps vécus.
Des échanges entre les trois intervenants et le public ont suivi. Questionnement collectif, par exemple, sur le temps long de la gravure mise en parallèle avec la photographie et son histoire (elle n’a pas toujours été un instantané). Interrogation sur la nature des arrêts choisis, la motivation des choix, le sens donné au temps. Dans le public, un horloger, manifestement intéressé par l’exposition, évoque le déroulement, le cheminement du temps, matière de son travail dans cette cité horlogère. Questions et interventions des uns et des autres creusent, dans une ambiance sympathique et stimulante, la question du temps et son rôle essentiel dans la pratique de la gravure, entre surface et profondeur dans le processus créateur.
Josiane Guillet