
La naissance d’un catalogue raisonné est un événement majeur pour un artiste, car témoignage, pour lui-même et bien sûr les archéologues du futur, de son travail créatif, dans sa plénitude et sa richesse, dans sa chronologie et son évolution, pour son immortalité même, mais surtout, à mon sens, pour le chercheur d’art que chacun peut être, dans la découverte et la compréhension d’une démarche artistique. C’est essentiel !
Il s’agit ici de « Vedute », de Jean-Michel Mathieux-Marie, que certains appellent J3M. Précisons que Jean-Michel, diplômé en 1972 de l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris – section architecture -, s’est initié à la gravure auprès Jean Delpech (1916-1988), premier grand prix de Rome de taille-douce (1948), et a été boursier de la Ville de Paris à la Casa Velasquez de Madrid en 1983. Un parcours créatif fertile en estampes originales et illustrations de bibliophilie, une présence marquante en expositions personnelles et collectives, ponctuée de prix prestigieux, le conduisant aujourd’hui à être président d’honneur de « Pointe & Burin », association qu’il dirigea de 2010 à 2021, membre du Comité de la « Fondation Taylor » et membre des « Peintres-graveurs français ».

« Les flocons » Pointe sèche sur acier (1990) 7,8 x 12 cm (Cl Clairis)
Je me garderai d’évoquer précisément le travail de ce graveur d’excellence, devenu le maître pointe-sèchiste de la « veduta ». D’autres l’ont fait, avec brillance. La bibliographie jointe l’atteste.
Ainsi Maxime Préaud, conservateur général honoraire chargé de la réserve du département des estampes de la Bibliothèque nationale de France, qui avait défini en 2016 l’artiste comme « hélicoïdal », dans un texte d’ailleurs présent en préface et évoquant sa personnalité et son parcours.

« Exit ou le grand départ » (2013) Clair-obscur à la pointe sèche sur rhénalon Imprimé sur papier rosâtre 30,7 x 22,7 cm (Cl Clairis)
Ainsi le regretté Claude Bouret (1940-2021), conservateur en chef honoraire au département des estampes et de la photographie à la BnF, professeur d’histoire de la gravure à l’École du Louvre, président-fondateur de la revue de bibliophilie « Le Bois gravé », et co-fondateur de l’association « La Taille et le Crayon » ; il avait ainsi évoqué Jean-Michel et sa manière, pour un catalogue en 2008 : « Dans l’art de Mathieux-Marie se croisent et se renforcent l’humilité du praticien et la grandeur du visionnaire. Avec un admirable acharnement, il se dévoue tout entier à son métier et met tout son savoir au service de son inspiration. »
Fidèle lecteur de « Art & Métiers du Livre », et pour bien définir J3M en quelques mots, je ferais référence au prologue d’un bel article rédigé par Laurence Paton dans le numéro 359 (novembre-décembre 2023) de la dite revue : « Jean-Michel Mathieux-Marie est un virtuose érudit et lyrique de la gravure, inlassable inventeur de nouveaux procédés. À partir de la quête et de l’expression de la lumière, il a créé un œuvre riche, complexe et insolite, tant par sa facture que par les sujets traités. »

« L’usine à gaz » Pointe sèche et tireté sec en trichromie sur rhénalon (2019) 23,4 x 27,4 cm (Cl. Catalogue)
L’article est à lire, bien sûr, mais le catalogue raisonné est là pour faire découvrir ses pointes-sèches, dans un ouvrage de 160 pages, joliment mis en page par Isabelle Panaud : il présente 178 planches d’architecture gravées, réelles ou inventées, accompagnées de 45 planches d’état et 12 dessins préliminaires.
Précisons qu’il s’agit là du premier tome d’un catalogue raisonné général présentant la totalité de son œuvre gravé. Ce qui est indicatif de l’ampleur de son travail créatif.
Cela dit, parcourir ce catalogue, est aussi pour le lecteur un voyage extraordinaire, au fil de « vedute » inspirées, gravées sur acier (une seule sur cuivre) ou sur des matériaux novateurs comme le plexiglas ou le rhénalon. Nous voici transportés de Paris, avec la Seine et ses quais, à Venise et Rome, dans une découverte magnifiée par le jeu des lumières et l’atmosphère de leur état chromatique de l’instant, par des traductions en clair-obscur ; ou nous voilà plongés dans des évocations réalistes, parfois même dystopiques, mais grandioses, générées par le passé d’architecte de l’auteur. Au final, au cours de l’impression, certains papiers ou japon appliqués y ajoutent leur propre dominante lumineuse.
Des images de teinte, où la pointe-sèche se métamorphose invariablement en un pinceau sensible qui transmute chaque vision en un véritable tableau, esthétique et inspiré.

« L’Élaircie » Pointe sèche sur acier (2000) 16,9 x 28,6 cm (Cl Clairis)
J’ajouterai que les annotations et commentaires des « vedute » sont de Jean-Michel. Car sa pointe sait aussi se faire plume. Témoin, cet autre écrit de l’artiste, intitulé « L’Entaille et l’Idée », la réunion, – dans une édition originale ornée de belles lettrines -, de onze petits textes, réflexions singulières et personnelles sur cet art et sa pratique. Une fenêtre ouverte sur sa sensibilité créative, donnant des clés pour la découverte picturale du catalogue raisonné. Un livre d’artiste qui avait été annoncé dans un article de « Vu & Lu,… pour vous », en mai 2019.
En conclusion, un ouvrage qui devrait trouver sa place dans toute bibliothèque d’amateur d’art ou d’artiste, en attendant le suivant…
Clairis