Calendriers royaux

L’ouvrage ouvert (Cl. Claude Bureau)

Avoir eu la chance de compulser ce pesant ouvrage – six kilogrammes coffret d’emboîtage compris – a ravivé la mémoire de ma jeunesse. Celle où sous la férule de maîtres sévères et bienveillants nous étudiions les classiques. Notre langue y était apprise et leur lecture faisait taire les turbulents collégiens que nous étions alors. On analysait chez Racine les complications des sentiments amoureux dans des alexandrins – césure à l‘hémistiche – bien balancés qui transcrivaient leurs tourments. Les embarras de Paris chez Boileau étaient peu de chose à qui connaît maintenant ceux d’aujourd’hui. Aux cadences variées de La Fontaine se déduisait la morale de l’histoire et sur les tréteaux de Molière les galopins apprenaient dans leur naïveté que l’on parlait en prose quotidiennement. Le règne de Louis XIV achevait presque le pré carré de ce qui deviendra, un siècle plus tard, une nation et dont les fortifications de Vauban suscitent toujours de fortes émotions paysagères, maritime à Saint-Martin de Ré ou plus grandiose à Mont-Dauphin où son vaisseau de pierres croise encore sa proue sur la plaine alluviale entre le Guil et la Durance. Ce siècle, comme l’a si bien nommé Voltaire, fut guerrier et le présent ouvrage, qui plonge dans l’imaginaire collectif de l’époque, le rappelle dans son titre emprunté à l’un des almanachs qu’il décrit : « Louis le grand, la terreur et l’admiration de l’Univers ».

Ce savant ouvrage en deux volumes sous emboîtage, coédité par la « Bibliothèque nationale de France » et « Le Passage », illustre donc ce siècle avec les almanachs muraux publiés à Paris sous le règne personnel de Louis XIV (1661-1715). Cinq cent vingt-quatre almanachs sont donc ici répertoriés, reproduits et décrits. Comme le souligne la très longue liste des remerciements établie par Maxime Préaud, il est le fruit d’un travail collectif entrepris sous sa direction. La qualité de l’impression, des reproductions et de la mise en page dans un format important : 26×35 cm, restitue donc toute la valeur graphique de cette collection exceptionnelle d’estampes. Pourtant, l’abondance des images n’occulte pas celle de tout l’appareil critique qui les accompagne. Chaque année, dessinateurs, graveurs, imprimeurs et éditeurs se mettaient à la tâche pour publier et vendre ces grandes estampes murales réalisées avec deux planches gravées à l’eau forte et au burin où figuraient un calendrier et où étaient illustrés des évènements mémorables de l’année précédente. Elles s’affichaient ainsi un peu partout dans les intérieurs des élites : bourgeois, commerçants, artisans, etc. et contribuaient ainsi à la renommée du monarque. En voici, ci-dessous, l’exemple de l’une d’entre elles suivi de son texte descriptif.

« Bal à la française », chez Pierre Landry 1682
(Cl. BnF département des estampe, Gallica)

« Dans l’intérieur d’un palais, celui du Louvre ou celui des Tuileries, brillamment éclairé par des lustres, Louis XIV danse avec une jeune femme qui veut représenter la ville de Strasbourg. Au fond joue l’orchestre. À droite et à gauche, des courtisans sont assis ou debout ; faut-il reconnaître, assis à droite, le dauphin et sa jeune épouse, ou Monsieur et Madame ? Au tout premier plan on voit un seau à rafraîchir rempli de bouteilles, à droite un serviteur portant un plateau de fruits et de gâteaux, et à gauche une jeune femme assise tenant un panneau sur lequel sont inscrites les paroles d’une chanson avec sa musique signée Marc-Antoine Charpentier. La ville protestante et stratégiquement capitale de Strasbourg s’était rendue aux armées royales sans combat, tellement le rapport de forces était inégal, le 30 septembre 1681 ; trois semaines plus tard Louis XIV y faisait une entrée triomphale, marquée par un Te Deum dans la cathédrale rendue au culte catholique (Ensemble au burin et à l’e.-f.. 859 x 543). »

Une copieuse et savante introduction donne l’historique de ces almanachs imprimés et leurs conditions d’élaboration, de gravure, d’impression, d’édition et de diffusion. Elle est suivie, année après année, d’une double page sur fond rouge où à gauche figurent en réserve blanche un rappel historique des faits de l’année en cours et, à droite, une brève description des almanachs publiés cette année-là. Suivent après ce double repère annuel, sur papier blanc les reproductions, en belle et pleine page, de chaque almanach accompagné à gauche de sa description avec souvent le gros plan d’un détail de l’estampe ou la reproduction d’un dessin préparatoire. Au vu de la variété des sujets et de leurs traitements par les artistes qui y ont concouru, il vaut mieux prendre un rythme lent afin d’en tourner et compulser ses centaines de pages. L’ouvrage se clôture par des annexes : une bibliographie générale, les index des titres des almanachs, des personnes, des figures allégoriques, des personnages mythologiques ou imaginaires, des éditeurs, des graveurs, des inventeurs et des crédits photographiques.

Ce sera sans doute un très beau cadeau bibliographique pour les fêtes de fin d’année. Ce serait sans doute aussi un ouvrage à mettre en libre consultation dans toutes les bonnes bibliothèques municipales à l’heure où faire nation exige de partager une Histoire commune quels qu’en soient ses heures, ses heurts, ses malheurs, ses calamités ou ses grandeurs.

Claude Bureau

« Louis Le grand , la terreur et l’admiration de l’univers »
format 26×35 cm, 1 216 pages, 800 illustrations, juin 2023,
ISBN : 978-2-7177-2943-6
Prix de vente : 600 €
diffusion : éditions de la BnF ou Le Passage

Estampe et sérigraphie

Affiche de l’exposition (Cl. Claude Bureau)

« Atelier Éric Seydoux », exposition
BnF – François Mitterrand
Galerie des donateurs
21 novembre au 21 janvier 2023

Éric Seydoux (1946-2013) a débuté sa carrière d’imprimeur et éditeur sérigraphiste en étant une des chevilles ouvrières de l’« Atelier populaire de l’École des Beaux-Arts ». Il contribua ainsi à faire entrer l’art de l’estampe sérigraphiée dans l’Histoire comme en témoignent deux des « affiches de mai 68 » exposées dès l’entrée de l’exposition. La « Galerie des donateurs », située dans la coursive côté Seine de la bibliothèque François Mitterrand est donc une nouvelle fois consacrée, sous la houlette de Céline Chicha-Castex et Cécile Pocheau-Lesteven, conservateurs au département des estampes de la BnF, à un atelier d’impression d’estampes, des sérigraphies1 en l’occurrence. Malgré la surface restreinte de cette galerie de 90 m², les deux commissaires ont su mettre en valeur la diversité des estampes qui ont vu le jour dans l’atelier d’Éric Seydoux, tant dans leurs formats que dans les coffrets ou les livres édités présentés dans des vitrines au milieu de la salle.

« City lights », Shirley Jaffe, L’Atelier d’Éric Seydoux, 1996,
BnF, département des Estampes et de la photographie,© Adagp, Paris 2023

Le grand intérêt, au-delà de la qualité des artistes édités, tels Pierre Buraglio, Loustal, Floc’h, Lorenzo Mattoti, Yves Challand, Paul Cox, Christophe Cuzin, Hélène Delprat, Shirley Jaffe, Bernard Moninot, Claude Viallat, etc., de l’accrochage est de montrer que le support papier, bien que restant majoritaire, n’est pas le seul où l’œuvre sérigraphiée puisse se matérialiser comme le tissu, le plastique ou l’aluminium, etc. Ces supports peuvent ainsi créer des objets décoratifs ou architectoniques qui prolongent la présence de l’image dans l’espace public ou privé.

« Pistils » en bleu de Frédérique Lucien (Cl. Atelier Éric Seydoux)

Contrairement à un préjugé couramment répandu qui sous-entend que la sérigraphie ne serait que l’art des aplats de couleur, cette exposition met en lumière un autre aspect de cette manière d’imprimer. Elle peut, et là résidait tout le talent et la maîtrise d’Éric Seydoux, rendre avec une infinie subtilité les plus fins détails et nuances des desseins de l’artiste qui a fait ces choix expressifs. Ainsi, par exemple, les restituent, dans des petits formats, les sérigraphies des quatre « Pistils » bleus sur papier Bible ou celles des sept « Pistils » toutes en nuances légères de noirs et de gris de Frédérique Lucien qui fréquenta l’Atelier Éric Seydoux et dont elle dit : « Éric possédait ce souci du détail, cette justesse et cette compréhension des œuvres, des objets, du travail de l’artiste… Il était un technicien hors-pair car pas que technicien. »

La variété des œuvres présentées ici exige de prendre son temps et de conserver une attention soutenue afin de pouvoir pénétrer dans les mondes de chacun des artistes que ce maître sérigraphiste a eu à cœur de servir.

Claude Bureau

1 – Pour en savoir plus sur la sérigraphie (voir ici) : https://www.vuetlu.manifestampe.net/estampe-serigraphiee/

La onzième…

L’alcôve de Sophie Sirot (Cl. C. Bureau)

Onzième biennale de l’estampe
Atrium de Chaville
925 avenue Roger Salengro 92370 Chaville
4 au 17 novembre 2023

L’atelier associatif « Estampe de Chaville », présidé par Jean Benais et dirigé par André Bongibault, pour sa onzième biennale a choisi de mettre à l’honneur les stampassines et les stampassins qui se sont formés à l’École Estienne et d’offrir à chaque exposant de cet atelier dynamique une sorte d’alcôve où il puisse présenter au public une mini exposition personnelle caractéristique de son travail. Ces innovations bienvenues exigent, pour une visite attentive, de prendre son temps pour déambuler dans le vaste espace Louvois de l’Atrium de Chaville qui les ont accueillies afin d’admirer les estampes des trente-sept exposants de cette édition 2023.

L’espace de l’École Estienne (Cl. Claude Bureau)

À l’honneur donc l’École Estienne qui maintient depuis des années, contre vents et marées, l’enseignement des métiers, traditions et nouvelles techniques de la belle estampe. Un enseignement assis sur une solide formation artistique et générale, au service du livre et de l’édition d’art. Elle a été ici présente au travers des estampes de deux anciens de l’école : André Bongibault avec ses grandes compositions magistrales et Sébastien James avec ses allégories truculentes comme « Le chevalier à la brosse au carré », de l’actuelle professeure de gravure, Caroline Bouyer avec de grands formats de ses paysages industriels et urbains et de cinq élèves qui effectuent leur stage de perfectionnement à l’atelier de Chaville. Parmi eux on a pu remarquer le dynamisme des corps dansants d’Ulysse Devillers ou le bestiaire fantastique de Cyril Boivin.

L’alcôve d’Ulysse Devillers (Cl. C. Bureau)

L’accrochage des autres exposants, par le nombre important de leurs estampes, permet de flâner d’alcôve en alcôve et de se faire une idée précise du monde de chacun exprimé dans des manières et techniques différentes. Olivier Musseau, sur un sujet rebattu, a proposé une installation para-solaire particulièrement originale pour sa suite égyptienne « Au fil de l’eau » avec un leporello circulaire où l’on chemine dans un cycle éternel de la vie à la mort en éternel retour. Tout en nuances fines de traits et de gris les petits paysages de Jean-Pierre Peyroulou incitent à se remémorer nos promenades champêtres. Les êtres fantastiques, mi-humains mi-végétaux, d’Emma Biraud dansent comme dans un rêve éveillé. Franck Genis restitue par la force graphique de ses traits la puissance du fleuve Amazone qui se poursuit plus apaisée dans ses trois livres d’artistes : « Arbres », « Et la mer dit » et « Fables ». Et bien d’autres merveilles à admirer suivant les affinités de chacun pendant cette onzième biennale de l’« Estampe de Chaville ».

Claude Bureau