Estampes à l’Openbach

Éditions Leizorovici
Galerie Openbach
8 rue Jean-Sébastien Bach
75013 Paris
du 19 au 23 février 2020

Il y a des lieux atypiques qu’il faut découvrir par soi-même tant ils ne bruissent pas dans les grands médias d’information. La galerie Openbach située dans le treizième arrondissement de Paris, dans sa partie réaménagée pendant les années soixante-dix, est de ceux-là. Depuis 2016, dans une bâtisse à deux étages des années cinquante et conservée telle quelle mais embellie de fresques murales, grâce au soutien du bailleur social Hénéo, l’association « Les interactions créatives » a créé et continue d’animer une galerie d’exposition et des résidences artistiques pluridisciplinaires. Dans cette longue galerie parallélépipédique, au faux-plafond très bas, dont une de ses plus longues faces est totalement vitrée, l’association accueille, sur un rythme ambitieux et soutenu, une exposition artistique par semaine. En ce début d’année, après la photographie, ce fut le tour de l’estampe avec un projet franco-canadien de l’Atelier des Lilas, puis, du 19 au 23 février 2020, les estampes éditées par la galerie Leizorovici.

Une partie du mur de fond (Cl. Claude Bureau)

Cette galerie dans ce lieu atypique est elle aussi atypique. En effet, elle ne possède ni de pas de porte ni de devanture cependant elle expose ses éditions d’estampes par Internet, sur des stands de salons ou différents lieux comme celui de l’Openbach. Une galerie nomade et virtuelle en quelque sorte. Sa principale originalité est de pratiquer exclusivement l’édition d’estampes qu’elle commercialise depuis onze ans. Au début, Daniel Leizorovici, après le choix réciproque de l’artiste, éditait pour son compte la totalité du tirage. Depuis, il pratique avec les artistes qu’il édite, une édition partagée à cinquante-cinquante sur le tirage défini préalablement et vendu au même prix par l’éditeur ou l’artiste. L’artiste édité peut être un stampassin première main ou un plasticien qui pratique occasionnellement l’estampe. Ainsi, au cours des années, la galerie s’est-elle constitué un fonds d’estampes d’artistes contemporains très varié.

La partie gauche de la galerie (Cl. Claude Bureau)

À l’Openbach était donc accrochée sur les trois murs de la galerie une partie de ce fonds. La première édition de la galerie, celle du grand nu double de Diana Quinby, les troncs d’Adam et Ève sans doute, occupait le mur de droite. Puis, sur la face longue, le projet de statuaire de Maximilian Pelzmann San Sebastian ; une jungle de traits rouges d’Awena Cozannet ; de Muriel Moreau, le positif et le négatif ponctués de minuscules éléments graphiques de bêtes et végétaux ; un rouge rameau sur une sorte de tissu de Frédérique Lucien ; deux personnages dansant ou luttant d’Arnaud Franc ; les très élégantes striures doucement colorées sur un papier diaphane de Maëlle Labussière ; une lithographie bleue d’Alice Gauthier ; parmi les compositions orthogonales de Renaud Allirand, dans le dièdre de gauche deux petits formats sur fond jaune griffés d’écriture cunéiforme et, enfin, pour conclure, face au nu de Diana Quinby, de Bertrand Joliet, un visage qui se cache derrière un coude. L’Openbach, donc, une galerie atypique dont l’usage ne messied pas à l’estampe.

Claude Bureau

Diptyques éphémères

« Diptyques éphémères »
La taille et le crayon
Fondation Taylor
1 rue La Bruyère
75009 Paris
9 janvier au 1er février 2020

Depuis vingt ans l’association « La taille et le crayon » met en valeur, à l’aide d’exposition d’estampes et de dessins, la richesse des rapports entre le dessin et l’estampe, expressions artistiques toujours contemporaines, œuvres de la main qui trace ou qui grave. Cette année, pour son exposition parisienne dans l’atelier de la Fondation Taylor, l’association a choisi une règle ludique pour confronter ces deux disciplines en des diptyques éphémères, le temps d’une exposition. Cette règle était simple : un graveur stampassin invite un autre artiste qui s’adonne au dessin, chacun échange avec l’autre une image, une estampe ou un dessin, et chacun répond à l’autre par une nouvelle image dans la discipline qu’il pratique plus volontiers. Le résultat pour chaque couple : deux diptyques présentés sous la lumière naturelle de l’atelier du dernier étage de la fondation Taylor à Paris.

La règle édictée n’était pas sans risque tant la confrontation entre les deux techniques, qui ont chacune leurs qualités expressives intrinsèques, pouvait nuire l’une à l’autre et dévaloriser le dessein de l’un ou l’autre des protagonistes dans ce transitoire rapprochement. Elle n’était pas sans risque non plus pour le visiteur qui pouvait oublier, à rechercher les accords, les harmonies ou les dissonances des travaux présentés, la valeur de chacun pris isolément. Il fallait donc prendre son temps, passer devant les diptyques, revenir devant certains, reculer, regarder, se laisser prendre, se raisonner ou tout simplement s’aider du catalogue, fort bien documenté et mis en page, pour pénétrer la démarche de tous les tandems assemblés ici et s’y laisser séduire.

Les diptyques de Jeanne Rebillaud et Sandra Redinger
(Cl. Claude Bureau)

Après une longue visite, voici seulement glanés quelques diptyques qui n’ôtent rien à tous les autres. Le commissaire, Éric Fourmestraux, qui s’est plié à sa propre contrainte, et son alter-ego, Isabelle Mehling-Sinclair, ont su graphiquement se fondre dans un propos sibyllin qui, s’il crève les yeux, n’en reste pas pour le moins très énigmatique ou tristement tragique. Raúl Villullas et Ivan Sigg ont si bien emprunté l’un à l’autre leurs rudes noirs soulignés d’un geste multicolore que l’on ne sait plus qui est l’un ou l’autre. Jeanne Rebillaud et Sandra Redinger ont magistralement mis leur virtuosité technique au service d’un hommage réciproque où ne se laissent plus deviner ni le dessiné ni le gravé. En minuscules et en majuscules, les signes graphiques de Catho Hensmans et Christine Gendre-Bergère dialoguent en contrepoint sur le mal-être contemporain. D’autres surgissent devant les yeux malgré leur appariement : les pierres noires de Sophie Baduel, une tête d’Anne Loubry, les épidermes de Thomas Bouquet, les striures de Gloria Alonso ou le pain d’épices de Didier Hamey.

La mezzanine de l’atelier (Cl. Claude Bureau)

Une exposition qu’il ne faut pas manquer et où il faut prendre le temps d’une méditative déambulation.

Claude Bureau

André Jacquemin

Hommage à André Jacquemin
exposition de gravures
Galerie l’Entr@cte
3-5 rue de Versailles
92410 Ville d’Avray
du jeudi au dimanche de 15h à 19h
du 5 au 31 décembre 2019

La petite localité de Ville d’Avray a noué, de longue date, quelques liens avec l’estampe. Jean-Baptiste Camille Corot, peintre et graveur, a naguère résidé dans cette commune où existe encore, à l’extrémité du mail Alphonse Lemerre, sa maison. Voisin de l’étang-neuf, il peignit et grava maintes fois le paysage de ces deux étangs dénommés aujourd’hui les « étangs de Corot », désignation qu’a reprise l’ancienne hôtellerie « Cabassud » motif, elle aussi, de plusieurs de ses tableaux. Grâce au sénateur-maire Denis Badré, du maire Aline de Marcillac et de son adjointe à la culture Élisabeth Frank de Préaumont, ces liens se poursuivent aujourd’hui. En effet, la municipalité a restauré et transformé en espace culturel un ancien hôtel particulier du XIX° siècle situé à côté de l’église de Ville d’Avray. Dans l’étage noble de cette maison, la galerie l’Entr@cte accueille, depuis son ouverture en juin 2015, de nombreuses expositions d’estampes s’inscrivant pour certaines dans le cadre de la Fête de l’estampe. En ce mois de décembre 2019, la galerie propose un hommage au Lorrain André Jacquemin (1904-1992), membre de l’Académie des Beaux-arts (1981-1992) et membre fondateur de « La jeune gravure contemporaine ».

André Jacquemin sur sa presse, à Épinal en 1932

Il n’a pas été simple à la dynamique animatrice de la galerie, Nathalie Soulier, et à Marie Jacquemin, la belle-fille de l’académicien, qui continue de diffuser l’œuvre gravé de son beau-père, de choisir, dans ce vaste fond de près de deux mille pièces, les estampes les plus significatives du graveur. Des paysages et des portraits constituent la majeure part de celles accrochées ici. Il faut prendre le temps d’aller d’un pas tranquille au travers des quatre salles pour admirer à loisir les estampes de ce maître du paysage. Tous les siens, et particulièrement ceux de l’entre-deux guerres, magnifient le lent travail du paysan qui les a façonnés, avec ces champs, prés, labours, haies, clôtures, piquets, tous parcourus par ces chemins vicinaux bordés d’arbres qui mènent à un village et son clocher lovés dans le repli d’une colline derrière les ondulations d’un champ d’orge.

« Octobre en Lorraine » (1939)

Dans chacune de ces gravures, la profondeur de champ ne délaisse aucun détail des proches ou des lointains. Sous des cieux toujours présents en toutes les saisons, avec leurs nuages, l’orage – sous lequel, à la lisière d’une haie, un couple de chevaux termine son sillon – leurs ombres portées ou même leur bleu uniforme, rendu ici par une large plage blanche. Les pleins et les déliés du trait gravé plante l’arbre et son branchage ou bien la colline qui ondule dans le lointain et que soulignent à peine de fines incisions.

« Septembre en Beaujolais » (1986)

Au cours des rigueurs de l’occupation, le trait se transforme, s’épure de tous ces détails, il se noircit quelque peu, abandonne les nuances. Cette manière de faire perdure après-guerre, comme dans « Septembre en Beaujolais » (1986) où ne subsistent que les lignes essentielles du paysage. Elle se poursuit aussi dans de très expressifs portraits où l’incision forte et noire s’impose sur le blanc du papier, identique, dans une lumineuse clarté, à celle dont il use dans « Inondation dans la Marne » (1981). Une exposition qui montre encore, s’il en était besoin, que la force d’une estampe gravée procède autant du délié de son trait que de son subtil équilibre avec les plages de la plaque laissées vierges. Aptitude dont André Jacquemin utilisait avec maestria.

Claude Bureau