Une visite à l’atrium

Dixième Biennale de gravure
Estampe de Chaville
Atrium
925 avenue Roger Salengro
92370 Chaville
15 au 24 novembre 2019

Dérivé du nom de la pièce centrale de la domus romaine, l’architecture contemporaine dénomme ainsi, par atrium, une vaste excavation, genre gouffre de Padirac, surmontée d’une verrière et abondamment pourvue de coursives en encorbellement, de volées d’escalier et de batteries d’ascenseurs où il vaut mieux ne pas être agoraphobe avant de s’y aventurer. Ici, au fond de celle de Chaville, au pied d’un grand escalier, s’ouvre un imposant hall parallélépipédique, l’espace Louvois, qui accueillait la dixième biennale de l’atelier et association « Estampe de Chaville ». Austère, la géométrie de cet espace ne tolère guère de fantaisies d’accrochage. Qu’importe pourvu que les estampes proposées par la pratique passée et présente de l’atelier animé par André Bongibault aient été bien mise en lumière dans les travées rectilignes de l’exposition et agrémentées de quelques vitrines dans lesquelles des livres d’artiste tentaient le regard des visiteurs.

La travée centrale (Cl. Claude Bureau)

Pour cette édition, une large place en hommage avait été faite à l’œuvre gravé du fondateur de l’atelier avec la présentation de grands formats où André Bongibault excelle et où le déchaînement des éléments dans ses paysages telluriques est devenu prémonitoire et passablement inquiétant à l’heure des changements climatiques contemporains. La puissance des éléments naturels se traduit avec force dans sa gravure dont elle rend toute la vertu émotive et pédagogique.

L’hommage à d’André Bongibault (Cl. Claude Bureau)

Parmi tous les artistes présents, en camaïeux de bleus, Hélène Baumel affichait, plus apaisés, deux paysages oniriques et telluriques tout à la fois : « Écoute le silence » et « Ombres et reflets ». Plus fantaisiste et fantasmagoriques, Sébastian James jouaient entre ses estampes et leur présentation baroque : dans une sorte de vanité de l’orgueil nihiliste d’aujourd’hui : « Prison Head, Brain Maze » et avec un encadrement doré dans un clin d’œil à la fable de La Fontaine : « Le renard et les raisins ». Plus sobre, les « Compositions » colorées de Tatiana Laboissière clôturaient le mur d’une des travées. Carole Forges, au-delà de ses présentations sophistiquées, en rompait l’exubérance avec une directe et luxuriante « Germination » noire en taille d’épargne que suivait, toujours en taille d’épargne, les tendres beiges d’ « Obi 2018 » de Françoise Duhamel. Ensuite, le minutieux et sensible trait de Michèle Dadolle invitait à la rêverie dans ses petits formats. Au bout d’un alignement, près du gouffre de l’atrium, les « Poissons », voraces et hallucinés, de Marjan Seyedin surgissaient et bondissaient sous sa pointe cursive. Enfin, les mondes étranges et oniriques du chaperon rouge de Sophie Sirot semblaient ne pas vouloir s’échapper de l’enfance et de ses rêves.

Les raisins tentateurs de SEB (Cl. Claude Bureau)

Pour ce dixième anniversaire de l’atelier « Estampe de Chaville », il fallait donc prendre le temps de la déambulation attentive pour apprécier les travaux de plus de soixante exposants qui participent ou qui ont participé à cette aventure depuis près de quarante ans. Une brochure catalogue imprimé, bien mise en page et disponible à la vente répertorie dans le détail, pour cette occasion, les caractéristiques de l’œuvre gravé de chacun.

Claude Bureau

Prêteurs-emprunteurs

« Emprunts – empreintes »
Biennale de la Jeune gravure contemporaine
salon du Vieux-colombier – mairie du VI°
place Saint-Sulpice
75006 Paris
16 novembre au 4 décembre 2019

salon du Vieux-Colombier
et sa mezzanine (Cl. Claude Bureau)

Il est des expositions stampassines qui s’organisent sur une mise en espace très élaborée ; il en est d’autres, carillonnées à dates fixes, qui juxtaposent des œuvres harmonieusement mais sans souci de cohérence thématique ; il en est encore d’autres qui proclament, pour éclairer sans doute leurs visiteurs, dans leur titre un sujet bien particulier. Cette biennale de la « Jeune gravure contemporaine », qui se déroulait avec un an de retard au salon du Vieux-colombier, était de ces dernières. Trente-six stampassins, membres de la JGC et invités développaient, sur les murs de cette salle et sur ceux de sa mezzanine, espaces propices à une déambulation méditative, un bel ensemble de leurs travaux réunis sous cette bannière : « Emprunts – empreintes ».

Un des murs de l’exposition (Cl. Claude Bureau)

Cependant, au-delà de ce jeu de mots homophone, il était parfois délicat pour le visiteur, absorbé dans sa contemplation, de découvrir qui était le prêteur de l’emprunteur. Les plus évidents prêts procédaient d’un échange, explicite ou implicite, passé entre l’invitant et l’invité : comme entre Valérie Guimond et Julien Mélique qui se répondaient en un dialogue tragique et sanguinolent ; ou par le truchement du treillis d’un pont Bailey passé de chez Marie-Clémentine Marès à Sophie Villoutreix-Brajeux ; ou par l’usage de mêmes figures – celles d’un paysage végétal et d’un portrait (autoportrait) – chez Isabel Moutet et Dominique Aliadière. D’autres s’aventuraient dans la réminiscence ou dans la citation : sous la forme d’un patchwork de morceaux de maître chez Sabine Delahaut ; ou « La belle jardinière » du Louvre qui se laissait deviner sous les circonvolutions baroques du trait d’Albert Pema ; ou bien encore le simple prétexte du skyline de Venise qui était l’occasion de compositions colorées chez Jean-Pierre Tanguy. D’autres, enfin, empruntaient à leurs estampes mêmes ou à leur parcours antérieur des outils pour développer ce thème : l’épi de maïs orange qui laisse l’empreinte, vierge d’encre, d’un de ses grains sur une feuille de papier et qui roule ensuite, enduit d’encre noire, sur plusieurs feuilles blanches chez Antonio Bueno Gusto ; ou la poursuite par Éric Fourmestaux de la mémoire de la Shoah qui prend ici la forme d’un tétraptyque dénonçant l’un de ses criminels qui cachait après guerre, derrière un nom d’emprunt, Gregor Helmut, l’abomination des expérimentations du Dr. Mengele ; ou, enfin, un très énigmatique emprunt à la lecture dans une estampe de Pascale Simonet où s’associaient une phrase typographiée et l’image d’un possible encéphale dans laquelle trois petites plages rouges renvoyaient, par l’intermédiaire de lignes droites, aux graphèmes des déclinaisons du mot dire, image derrière laquelle semblait sourdre un visage. Voilà les emprunts qui ont retenu mon attention mais, sans doute, n’ai-je pas su en discerner bien d’autres présents dans toutes les empreintes accrochées dans la salle du Vieux-colombier.

une autre vue de l’exposition (Cl. Claude Bureau)

À remarquer dans cet ensemble gravé, comme une sorte de nouvelle manière, les douze menhirs d’Alain Cazalis, monotypes d’encre noire agrémentés d’un fil rouge et à signaler aussi les éditions 2019 de la « Jeune gravure contemporaine », deux tragiques et pessimistes estampes : « Amour-Amore (à Juliette G) », d’Éric Fourmestraux et « Pas tout dit », de Julien Mélique. Prochain rendez-vous au Vieux-colombier, en 2021, pour la prochaine session biennale de la JGC.

Claude Bureau

Page(s) vingt-deuxième

Salon Page(s) 2019
Palais de la femme
94 rue de Charonne
75011 Paris
22 au 24 novembre 2019

Depuis 1996, le salon annuel du livre d’artiste « Page(s) » a connu bien des pérégrinations parisiennes : de la place d’Italie au quai d’Austerlitz, de la rue de Charenton à la rue de Charonne ou, pour son édition de printemps, du cloître du lycée Henry IV à Bastille design center. Au cours de celles-ci, il a acquis une notoriété nationale et internationale que nul ne lui contestera. Le livre d’artiste ou de bibliographie contemporaine ne tolère aucune médiocrité dans tout ce qui compose cet objet : papier, typographie, image, reliure, emboîtage, etc. La maîtrise des techniques de l’estampe et du livre, des plus traditionnelles aux plus récentes dites numériques, est le gage de la qualité de ces œuvres d’art en édition limitée. Elle en constitue la valeur et le prix. À « Page(s) » cette qualité est toujours au rendez-vous dans une abondance et une diversité d’expressions très originales.

Une vue du salon (Cl. Claude Bureau)

Quatre-vingt deux éditeurs et ateliers se pressaient donc en ce week-end de novembre 2019, dans le grand réfectoire du Palais de la femme de l’Armée du salut, sis rue de Charonne, pour accueillir un public nombreux composé de bibliophiles, de bibliothécaires – auxquels ce salon s’adresse en cœur de cible – et d’autres : artistes, amateurs d’art ou simples curieux qui venaient admirer ou acquérir toutes ces merveilles. Devant tant d’abondance (si l’on compte, au minimum, une dizaine de titres par exposant, il y avait sans doute plus d’un millier d’ouvrages à regarder et à compulser….), ce public avait donc l’embarras du choix, dans un régal des yeux et de l’imagination, accompagné toujours par un dialogue fructueux et chaleureux entre l’éditeur ou l’artiste exposant.

Impossible d’en établir un compte rendu exhaustif. Au risque de fâcher tous les autres, voici pourtant quelques uns qui m’ont le plus marqué au cours de ma visite. « La cour pavée » proposait deux livrets dans un emboîtage gris-bleu foncé, « Sur les hauteurs de l’Altaï » de Jacqueline Ricard, évoquant le chamanisme avec des estampes grises imprimées sur un papier noir. Claire Illouz développait sur sa table un petit livre en accordéon « La collection » où se déployait, sans parole, tout un bric à brac d’un immense grenier propice à la rêverie. Aussi avec un livre déplié en accordéon, Ghislaine Escande et Gilbert lascault invitaient le visiteur sur « La route de l’arpenteur » en une mosaïque de cartographies colorées dont le colophon précise : « impression numérique pigmentaire sur papier Hahnemühle photo rag 188 g ». Marjon Mudde offrait à la vente un exemplaire unique d’un livre-objet où se cachaient des complications toutes helvétiques : « Endymion », inspiré de l’extrait d’un poème de Marguerite Yourcenar. Enfin, Veronika Shäpers manipulait des ouvrages totalement originaux, composés de matériaux synthétiques et traditionnels, qui jouaient de typographies évanescentes ou transparentes sur des papiers souples savamment pliés, tous objets d’aspect très Bauhaus ou janséniste à la finition impeccable. Parmi ceux-ci, un coffre plat, menuisé carré, en bois clair, contenant des feuilles de papier japon souples et transparentes sur chacune desquelles, en leur centre, était reproduit, en ligne clair et en encre argentée, le couvre-chef significatif d’une religion.

Un autre parcours dans la foule des allées aurait peut-être changé cette courte liste toute personnelle, il appartient maintenant à chacun des visiteurs, qui ne manqueront pas les prochaines éditions de « Page(s) », d’en dresser la leur, au gré de leurs affinités esthétiques.

Claude Bureau