Le frémissement de l’ombre

Galerie Argentine
6, rue Cimarosa, 75116 Paris
Du jeudi 22 juin au 6 juillet 2017
Du lundi au vendredi de 10 h à 13 h et de 14 h à 16 h

Pablo Flaiszman maîtrise parfaitement les subtilités de l’aquatinte, même sur d’assez grands formats, et ce qui est un piège pour beaucoup de graveurs est pour lui comme son élément naturel. Sur ses estampes aux sujets intimistes se manifestent, exaltées par le noir-et-blanc, des oppositions très vives entre sol y sombra, comme diraient les amateurs de corrida. Pablo étant d’origine argentine, il émouvrait plutôt les amateurs de tango. Lequel, on le sait, fait davantage pleurer que rire. Et il faut reconnaître que les estampes de Pablo ne poussent pas franchement à la rigolade, mais à une méditation quelque peu mélancolique dans la fraîcheur obscure de maisons de famille, où, comme l’écrit Bernadette Boustany, « les scènes de genre cohabitent avec des natures mortes. Une chaise, un fruit, un verre, saisis dans la banalité du quotidien, sont transcendés par une lumière subtile », qui « souligne finalement le frémissement de l’ombre ». Très belle exposition, parfaitement présentée.

Maxime Préaud

À plusieurs mains

Silex, première édition
Fête de l’estampe 26 mai 2017

Galerie Christian Collin
11 rue Rameau Paris IIe

Grâce à l’obligeance et à l’hospitalité de la galerie d’estampes anciennes Christian Collin, sise à deux pas du site Richelieu de la BnF, la très récente association Silex (pour Sérigraphie, intaglio, lithographie, estampe et xylographie) a présenté au public pendant la 5e Fête de l’estampe sa toute première édition d’estampes contemporaines. Fondée par deux jeunes historiennes de l’art, Anna Zachmann et Justine Rouillé, Silex s’est lancée dans cette aventure improbable d’une très originale manière.

En effet, si en musique les morceaux exécutés à plusieurs mains ne sont pas rares, en revanche dans le domaine de l’estampe ils sont plus exceptionnels. En se restreignant aux seuls XXe et XXIe siècles, ils sont peu nombreux. On pourrait évoquer l’œuvre à quatre mains produite par Hans Bellmer et Cécile Reims tant les secondes mains de la graveuse avaient su se couler dans le trait du dessinateur. Il s’agissait plutôt-là d’un duo où la seconde main s’effaçait derrière la première. Pour des morceaux où toutes les mains sont assignées au même rang, on pourrait noter deux entreprises plus récentes : celles des estampes franco-canadiennes, créées et gravées par des duos d’artistes résidant de chaque côté de l’Atlantique et qui ont été réunis par l’Atelier Presse Papier et Graver Maintenant afin de travailler en couple sur une même matrice pour « Coïncidences des contraires » et « Conïncidences et jeux de hasard » . L’association Silex, quant à elle, dans ce périlleux et aléatoire exercice, a choisi d’en augmenter très sérieusement les contraintes. En effet, elle a imposé des règles quasi ougrapiennes (adjectif dérivé d’Ouvroir de gravure potentielle) aux artistes participant à cette première édition projetée par les deux fondatrices. Il s’agissait en l’occurrence d’exécuter un opus à douze mains !

Dans l’antre d’Ougrapo

Le défi proposé était de taille, qu’on en juge : réunir dans un même atelier six candidats graveurs volontaires, qui a priori ne se connaissaient pas, qui, le même jour et en cinq heures d’horloge, devaient créer, graver et imprimer l’édition souhaitée par Silex ; faire intervenir, dans ce court laps temps imparti, sur chacune des six matrices prévues en linoléum, à tour de rôle, trois artistes différents ; imprimer, après chaque intervention d’un artiste graveur, une à deux épreuves d’état ; puis, les six matrices achevées, imprimer six exemplaires des six linogravures engendrées par ce cadavre exquis. Ouf ! Un exploit dans sa démesure minutée ! Inconscientes ou téméraires, six artistes trentenaires ont répondu à l’appel et se sont lancées dans l’aventure : Marguerite Bruchet, Paloma Main, Simone Montès, Hélène Bautista, Esther David et Inès Rousset.

Une singulière édition

En outre, dernier objectif que s’était fixé Silex : proposer au public des estampes numérotées et signées au prix tout à fait abordable de 20 € chaque tirage composant l’édition afin de bien en souligner le caractère multiple et singulier.

 
Un amateur d’estampes le 26 mai 2017
devant la galerie (Cl. Silex).

La totalité de l’édition, présentée dans la galerie et sur le trottoir qui la borde pendant la journée ensoleillée de la Fête de l’estampe 2017, comporte donc trente-six estampes issues des six matrices de linoléum de 42 x 30 cm et imprimées sur du papier Fabriano Rosa spina de 230g quart de jésus. Pour cette première exposition, elles étaient accompagnées par les linogravures finales et par les tirages de leurs états intermédiaires dont il faut souligner la parenté graphique malgré que toutes ces tailles d’épargne sont issues de la main de six artistes différentes.

Trois estampes semblent être les plus réussies dans leur progression créative. Celle commencée avec un personnage à chapeau claque, prestidigitateur ou croque-mort, qui fait apparaître un service à café et une roue symbole du temps qui passe et sur lesquels se lèvent une lune et un firmament d’étoiles. Celle, très sombre tout d’abord où se devine une sorte de crâne qui se précise peu à peu sous les traits plus affirmés d’un impatient dont le cerveau bouillonne de fantasmes érotiques. Celle d’un bestiaire fantastique où surgissent du noir quelques animaux indomptés qui s’agglutinent en troupeau pour s’éclaircir enfin dans une ménagerie plutôt bienveillante.


La ménagerie bienveillante (Cl. Silex).

Vers un nouveau défi

Une première tentative d’édition réussie par ces deux jeunes femmes qui ont osé ce coup de maître. Elles se sont promis de récidiver prochainement dans un autre Ougrapo. Alors, à un autre rendez-vous Silex : sérigraphie, intaglio, lithographie, estampe et xylographie, tout aussi accompli !

Pour contacter l’association Silex : silex.asso@gmail.com

Claude Bureau

Louis-René Berge

Louis-René Berge, « un maître du burin » (1927-2013)
Galerie Documents 15, 15 rue de l’Échaudé 75506 PARIS
info@galeriedocuments15.com
12 mai – 10 juin 2017
Du mardi au samedi de 14h à 19h
Entrée libre

Louis-René Berge : La Grande Bousculade,
1989, burin, ex. sur Arches, 43 x 31 cm

C’était un vœu d’Érik Desmazières, lui aussi graveur et membre de l’Institut, que de rendre un hommage à son confrère à l’Académie des beaux-arts, Louis-René Berge, récemment disparu. Louis-René Berge a beaucoup fait pour l’estampe et sa renommée, non seulement en gravant lui-même, d’un burin solide et personnel, une belle quantité de pièces qui frappent par leur caractère insolite, mais en essayant de défendre au mieux et de promouvoir par tous les moyens mis à sa disposition les arts de l’estampe qu’il estimait à juste titre trop délaissés par le public. C’est ainsi qu’il avait été à l’initiative de la création de l’association Manifestampe qui poursuit depuis une quinzaine d’années les mêmes objectifs et dont il a été président puis président honoraire. Il avait été également le promoteur de diverses expositions, dont notamment, en 2012, avec Anne Guérin, La gravure en mouvement du XVe au XXIe siècle, (Yerres, Propriété Caillebotte). Un catalogue partiel de son œuvre a été publié en 2014 à l’occasion d’une exposition rétrospective à l’Espace Évolution Pierre Cardin à Paris : Louis-René Berge / Le théâtre du temps. La présente exposition est moins ambitieuse, mais tout de même digne d’intérêt : trente-deux pièces (qui proviennent de la famille) encadrées sur les murs témoignent d’un œuvre gravé original et séduisant. Et ici, les estampes sont à vendre, d’ailleurs à des prix très raisonnables selon le souhait souvent exprimé de l’artiste lui-même, qui comprenait bien, et il faut le répéter sans cesse, que l’art de l’estampe est celui du partage.

Maxime Préaud