Paysage et estampe – 3

Millet, une personnalité marquante

Artiste d’exception et personnage éminent de l’École de Barbizon : Jean-François Millet (1812-1867), qui habita Grande Rue, aux n° 27-29, près de chez Jacque et de Díaz de La Peña, que nous évoquerons plus tard.

“Millet devant son atelier”, eau-forte de Frédéric Jacque
(Cl. © Maison-Atelier J.-F. Millet, Barbizon)

Le voici devant son atelier, gravé plus tard à l’eau-forte, en 1881, par Frédéric Jacque (1859-1931), l’un des deux fils de Charles. Avant d’aller plus avant, une petite remarque. Aux apports techniques qui avaient favorisé le développement de ce qui fut appelé l’École de Barbizon : pigments à l’huile en tube pour la peinture et encre en pots pour l’impression des estampes, il s’y ajoute pour la gravure le travail à l’eau-forte de la planche métallique. Cette manière n’était pas nouvelle, mais correspondait à une véritable liberté du dessin, impossible avec le burin, puisque la pointe, maniée tel un crayon, traçait le motif dans le vernis sans toucher au métal, qui subissait ensuite la morsure d’un mordant dans ses parties mises au jour.

Mais revenons à Millet. Né le 4 octobre 1814 à Gréville, dans le pays de La Hague en Normandie, sa jeunesse fut marquée par la vie paysanne. Ne fut-il pas, jusqu’en 1834, au sein de la ferme familiale, berger puis laboureur ? De là, vraisemblablement, une sensibilité aiguë pour cet environnement rural et, bien sûr, ses acteurs. Un cadre qu’il mit en scène dans nombre de représentations picturales, s’étant formé à la peinture à Cherbourg auprès de personnalités de cet art, comme Paul Dumouchel et Théophile Langlois de Chèvreville. Puis en 1837, Millet, ayant rejoint la capitale, fit une formation à l’École des beaux-arts, dans l’atelier du peintre Paul Delaroche..

C’est donc quelques années plus tard qu’on le retrouve à Barbizon. Hiam Farhat, responsable du Musée Maison-atelier Millet, un lieu toujours habité par la “présence du peintre”, résume ainsi son arrivée et son séjour à Barbizon. « En 1849, Millet, sa compagne Catherine Lemaire et leurs trois enfants quittent Paris avec la famille Jacque pour chercher refuge à l’orée de la forêt de Fontainebleau, à Barbizon, petit hameau de la plaine de Chailly, où des peintres venaient déjà travailler “sur le motif”. Parti pour quelques semaines pour fuir l’épidémie de choléra, il y reste jusqu’à la fin de sa vie.Dans ce hameau de bûcherons et de pauvres laboureurs, il vit entre son atelier et son potager et y élève ses neufs enfants. Très affaibli, il meurt le 20 janvier 1875. » [Catalogue d’exposition : Impressions 2016 – L’esprit de Barbizon – Espace culturel Marc Jacquet – Barbizon] Il est enterré dans le cimetière communal, c’est-à-dire celui de Chailly-en-Bière, dont Barbizon n’est alors qu’un hameau ; il le restera jusqu’en 1903.

Prenant son inspiration dans l’environnement rural de Chailly, s’attachant à décrire la vie agricole et ses acteurs, il aura une grande influence sur des impressionnistes comme Claude Monet (1840-1926), Camille Pissarro (1830-1903), Alfred Sisley (1839-1899), et surtout Vincent Van Gogh (1853-1890), qui a interprété certaines de ses scènes rurales. Millet, c’est la célébration de la personne paysanne et de sa noblesse dans les gestes du quotidien ; c’est aussi une tendresse pour sa dépendance aux travaux agraires et pour sa dignité. À l’opposé de celui de la société urbaine et industrielle.

“Millet dans son atelier”, eau-forte de Frédéric Jacque
(Cl. © Maison-Atelier J.-F. Millet, Barbizon)

Nous le découvrons ici dans son atelier, « aquaforté » par Frédéric Jacque en 1881, alors qu’il dessine et peint sur le vif la paysanne en prière de son célèbre tableau intitulé “L’Angélus”. Et Hiam Farhat d’ajouter : « Dans son atelier, resté dans l’état où sa veuve et les héritiers de son propriétaire l’ont laissé, vous êtes surpris par l’impalpable présence du peintre : la lumière même de ses tableaux. Car Millet peignait en atelier des scènes qu’il recomposait à partir de souvenirs, d’observations et de croquis, de mannequins habillés ou, le plus souvent, de modèles vivants. Il aimait, pour les rendre immuables, arrêter les gestes de l’homme au travail et, pour leur donner une portée universelle, ‘’ silhouetter ses personnages ‘’. » [Catalogue d’exposition : Impressions 2016 – L’esprit de Barbizon – Espace culturel Marc Jacquet – Barbizon]

Contrairement à nombre de peintres de Barbizon, dont les œuvres furent souvent reprises en gravure par des graveurs professionnels, Millet s’adonna aussi à la création d’estampes, bien que d’une manière moindre, en particulier au travers de l’eau-forte, qu’il accompagna parfois de pointe sèche et d’aquatinte. On lui doit une vingtaine d’eaux-fortes, cinq xylographies (en bois de fil), huit lithographies dont cinq réalisées en collaboration avec Karl Bodmer, et deux clichés-verre.

Voici cette huile sur toile fameuse : “L’Angélus”, que Millet peignit entre 1857 et 1859, où un couple de paysans est en prière dans un champ de la plaine de Bière, avec en arrière-plan le clocher de l’église Saint-Paul de Chailly-en-Bière. Maintes fois reproduite en gravure, en voici une, gravée à l’eau-forte en 1855 ou 1856 par Frédéric Jacque.

“L’Angélus”, eau-forte de Frédéric Jacque
(Cl. © Maison-Atelier J.-F. Millet, Barbizon)

Expression sensible de la piété paysanne, l’œuvre deviendra mondialement célèbre. Elle appartiendra à divers propriétaires successifs, sa cote s’amplifiant, et faillit devenir la propriété de musées américains. Finalement, elle sera achetée (750 000 francs-or) par le collectionneur Alfred Chauchard, directeur des Grands magasins du Louvre, qui en fera legs à l’État, en 1909, à son décès. D’abord attribuée au musée du Louvre, elle sera transférée au musée d’Orsay lors de sa création en 1986. C’est une représentation qui sera plus tard souvent copiée ou réinterprétée par des artistes, comme Salvador Dalí, et surtout maintes fois reproduite sur des supports divers, – des calendriers postaux à des canevas ou à des panneaux de meubles…

À noter qu’encore aujourd’hui, à l’Atelier-Musée Millet, on peut trouver des épreuves tirées à partir de la plaque originelle par les Ateliers Moret, de Paris.
(à suivre)

Gérard Robin

Les lauréats…

Sur une initiative du ministère de la Culture dans le cadre de l’année de la bande dessinée, le Centre national des arts plastiques (Cnap), en partenariat avec l’Association de développement et de recherche sur les artothèques (ADRA) et la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image ont sélectionné 12 artistes sur 322 candidatures reçues, suite à l’appel à candidatures passé en novembre 2020.

Le comité de sélection, réuni le mardi 23 mars 2021, a choisi 12 artistes : Stéphane Blanquet, Clément Charbonnier-Bouet, Jérôme Dubois, Loulou Picasso, Philippe Dupuy, Pierre La Police, Camille Lavaud, Gabrielle Manglou, Amandine Meyer, Lisa Mouchet, Saehan Parc et Sammy Stein.

Dans la continuité des commandes de l’État dans le domaine de l’estampe et du multiple, cette nouvelle commande encourage la vitalité de la création contemporaine dans ce champ des arts visuels et de la bande dessinée. Le comité s’est attaché à rendre compte de la pluralité des expressions et des langages visuels en lien avec l’image et la bande dessinée. La sélection donne également à voir la grande diversité de la création contemporaine dans le paysage de la scène artistique française et plus particulièrement celui du dessin.

Un des objectifs de ce partenariat est d’accompagner l’enrichissement de collections publiques et de contribuer au dynamisme du réseau des artothèques. Cette commande permettra ainsi à un ensemble important d’œuvres d’entrer simultanément dans les collections des artothèques, de la Cité internationale de la bande dessinée et du Cnap. Les lauréats sont accompagnés par le Cnap pour la réalisation de leurs projets attendus pour juillet 2021. La réalisation des estampes sera assurée par des ateliers choisis par les artistes pour leurs savoir-faire : lithographie, sérigraphie, taille douce, etc. Une attention particulière sera portée à la diversité des ateliers sollicités afin de leur apporter un soutien visant à donner à leurs compétences une visibilité spécifique.

Membres du Comité de sélection
Béatrice Salmon, directrice du Cnap,
Aude Bodet, directrice du Pôle collection du Cnap,
Pascale Cassagnau, inspecteur général de la création artistique, Pôle collection,
Chantal Creste, inspecteur de la création artistique à la Direction générale de la création artistique (ministère de la Culture),
Marion Fayolle, artiste,
Jochen Gerner, artiste,
Pierre Lungheretti, directeur de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image,
Isabelle Tessier, directrice de l’artothèque de Vitré, co-présidente de l’ADRA,
Yvan Poulain, directeur de l’artothèque de Caen, vice-président de l’ADRA.

Communiqué de presse du CNAP

Vos papiers !

Papier Arches imprimé en main (Cl. Imprimerie Chauvat-Bertau)

Il ne fait pas bon par ces temps de restrictions de circulation de jeter ses papiers par-dessus les moulins. Bien qu’on puisse réaliser des estampes sur de nombreux supports souples, voire de la porcelaine, comme il est encore d’usage à la Manufacture nationale de Sèvres, le papier demeure leur support privilégié. Les paroles de Serge Gainsbourg chantées par Régine :
« Laissez parler
Les p’tits papiers
A l’occasion
Papier chiffon
Puissent-ils un soir
Papier buvard
Vous consoler »,
pourraient devenir l’hymne des stampassines et des stampassins de toutes manières et de toutes obédiences tant le papier fait la paire avec l’image de l’estampe.

Or, depuis l’époque de la chanson, le paysage papetier a bien changé. S’il subsiste au creux des vallons de nombreux moulins à papier artisanaux dont l’énumération fleure bon la toponymie des territoires : Moulin du verger, Moulin de Pen-Mur, Moulin Richard de Bas, Moulin de la Rouzigue, Moulin du Got, Moulin Vallis Clausa, Moulin de Brousses, Moulin de la Tourne, Moulin de Sainte-Suzanne, Moulin Les Bordes, Moulin du Liveau, etc., dont la production est souvent confidentielle et qui survivent parfois chichement avec l’aide de collectivités territoriales, le catalogue des petits papiers des grands moulins papetiers s’est bien réduit.

Papier coton (Cl. Hahnemühle)

Canson, héritier des frères Montgolfier qui firent monter le papier en altitude, propose deux papiers pour l’estampe : « Barbizon », le bien nommé, et « Édition » plus prosaïque. La papeterie Lana, qui fit le bonheur de certains amateurs stampassins avec ses papiers filigranés à la tête de bélier, à la croix ducale ou aux deux lions, a abandonné ses productions de papier gravure depuis qu’Hahnemühle est entré dans son capital. Restent sur les rangs et diffusés en France : la papeterie Arches, qui continue vaillamment ses produits phares avec quelques restrictions dans les assortiments ; le « Moulin du Coq », Hahnemühle, qui offre une large gamme de grammages et de formats que l’on peut trouver, entre autres, chez « art-papier.eu » animé par un taille-doucier de bons conseils, Michel Cornu ; Joop Stoop, qui fait fabriquer sous son nom une série restreinte intitulée « JS Opal » et, pour le simili-japon, Schut et Clairefontaine. Un choix relativement réduit qui, pour l’instant, semblerait répondre à la demande de la gent stampassine.

Fibres de washi (Cl. Awagami)

Quant au papier Japon traditionnel disponible en Europe, il a suivi aussi le même penchant et il n’offre plus la même diversité qu’autrefois. L’importateur allemand Japico a drastiquement réduit son catalogue de produits disponibles. Awagami, grâce à l’Internet, offre maintenant une partie de ses washi à la vente par correspondance. Cependant, la voie suivie par les papetiers japonais n’a rien à envier à celle suivie par les papetiers européens ; l’éventail des grammages s’est étréci et surtout celui des textures et des tonalités, dont le cahier d’échantillons de Japico, datant de la fin du siècle dernier, témoigne encore de leur richesse au fin fond de mes archives.

Gare à cette pente générale suivie par tous les papetiers du monde vers l’uniformisation. Elle ne peut être que synonyme d’appauvrissement de l’expression artistique. Néanmoins, pour rester optimistes, concluons en chanson et en parodiant Léo Ferré : « Stampassines, stampassins, Vos papiers ! » Prenez-y garde car sans eux vos images ne sont rien !

Claude Bureau