Noir et blanc

« Le bois de la Drée » lavis de François Houtin (Cl. Claude Bureau)

« De l’imaginaire au sauvage »
Exposition de François Houtin
10 mars – 8 mai 2022
La Minorelle 25 rue Raymond Derain
59700 Marcq-en-Barœul

Ces deux teintes sont à l’honneur car François Houtin, sociétaire des « Peintres-graveurs », s’exprime exclusivement en noir et en blanc. Cette exposition exhaustive est accrochée dans le très bel et lumineux espace de ce centre culturel à Marcq-en-Barœul. Dessins à la mine de plomb ou à l’encre de Chine, pointes sèches, eaux-fortes et de très grands lavis composent cette présentation. Elle donne aux spectateurs attentifs et captivés un bon reflet du monde original de l’artiste. Ce monde imaginaire, et tout à la fois parfaitement réaliste dans sa vraisemblance, plonge le public dans un âge interglaciaire d’où toute faune aurait disparu. Ici nul cri ni turbulence animale mais le calme serein des végétaux qui poussent lentement leurs vrilles, leurs pousses, leurs feuilles ou leurs sarments à petit pas. Le fantastique végétal peuple ses œuvres d’une facture classique, figurative et souvent baroque.

Une des salles de l’exposition (Cl. Claude Bureau)

Les grands lavis côtoient les estampes sans que les unes et les autres en pâtissent même si elles sont parfois d’un format microscopique et si l’accrochage de la commissaire Véronique Dalle a su mettre le tout harmonieusement en valeur. Tous ces travaux sont construits d’un trait d’une finesse et d’une précision diaboliques qu’il faut regarder de très près. Leur grand intérêt est de montrer au-delà de l’art graphique de François Houtin, dont la notoriété n’est plus à faire, les qualités propres à chaque média exposé : comment le passage de la mine de plomb à l’eau-forte magnifie les noirs de premier plan et la légèreté des seconds plans, comment un rehaut de lavis donne à un tirage une autre valeur et une autre expression, comment une pointe sèche ouvre à un lavis sur un même sujet une porte supplémentaire vers le rêve, comment la maîtrise de tous ces médias donne une très grande homogénéité à son parcours artistique. À noter aussi dans les vitrines des dessins à l’encre de Chine, en leporello, ses récents « Carnets du confinement » où le végétal s’incarne en mille ornements, grotesques et autres chimères, préludes sans doute à d’autres pointes sèches ou eaux-fortes qui enrichiront nos méditations rêveuses vers lesquelles François Houtin sait avec son trait sûr nous mener.

Claude Bureau

Identification

Suite au texte de Claude Bureau intitulé « La signature » (voir ici) dont le Nota Bene en bas de page invite le lecteur à apporter réflexions ou témoignages, voici ma contribution. J’ai bon espoir que d’autres partageront les leurs et qu’il sera possible de les lire.

Non-stampassin et (e)stampophile d’artistes vivants depuis plus de 50 ans, le thème proposé devait, un jour ou l’autre, durant toutes ces années, m’intéresser. « Le Code d’éthique de l’estampe originale »1 utilise le mot identification pour désigner ce qui est ici nommé signature. Nous (Français) ne sommes pas à une synecdoque près ! C’est donc identification que j’emploierai. L’auteur de l’article (se) pose la question du pourquoi de cette identification. Sans entrer dans de longues explications, on peut suivre l’évolution historique des pratiques qui ont amené à celles d’aujourd’hui à travers maints exemples. Il me semble même impossible de faire marche arrière ! Concernant l’inclusion de la signature dans la matrice, nous savons tous que si c’est la seule marque, des abus peuvent se produire (tirages excessifs, posthumes, etc.) La signature manuscrite prouve la légitimation de l’artiste. Pour aller dans le sens de l’auteur, certains artistes choisissent délibérément de ne pas satisfaire à l’étape identification. Dans le cas de la Chalcographie du Louvre, c’est tout à fait accepté. Dans le cas bien connu d’un artiste anglais de renommée mondiale, tout le monde y a vu une occasion de faire tourner la planche à billets. On se rappellera des pratiques d’un certain Avida Dollars…

En ce qui concerne le rapport entre l’esthétique et le prix, voilà deux critères pour lesquels j’aimerais bien connaître, de manière définitive, les définitions, les mécanismes et les rapports entre eux.

Sur le dernier paragraphe, je dois avouer que je ne comprends pas la position de Claude Bureau concernant le stampassin chenu. Ne dit-on pas que les cheveux blancs sont un signe de maturité et de… sagesse. Or, il semble que cela ne soit pas vrai pour notre stampassin chenu : Il va adapter le dénominateur à la pente du marché !

Oscar Wilde disait : « Avec l’âge vient la sagesse, mais parfois l’âge vient seul ». Peut-être avait-il anticipé le stampassin chenu de Claude Bureau ?

Daniel Leizorovici

1 « Le Code d’éthique de l’estampe originale », de Nicole Malenfant et Richard Sainte-Marie, édité par le Conseil québécois de l’estampe, 2 000, bilingue français-anglais, 184 pages, 16 illustrations couleurs, ISBN 2-922018-05-09

 

 

 

La signature

Tout stampassin débutant, avant de se lancer dans la carrière qu’il espère durable et rémunératrice, regarde autour de lui pour savoir comment il offrira au public ses premières estampes et comment il les signera. Un petit tour d’horizon sur ce qui se fait autour de lui, les conseils de son maître ou de son atelier lui montrent les pratiques en usage dans la profession qu’il embrasse, encore plein d’illusions. Il s’y rallie alors, sûr de suivre la bonne voie. Sur chacune de ses épreuves, il appose les mentions communément admises. Sous l’image, à gauche une fraction justificative du tirage, au centre le titre de l’estampe ─ parfois remplacé par la magrittienne mention Sans titre ─ et à droite la signature autographe ornent la marge inférieure de la feuille de papier, le tout tracé à la main avec un crayon gras.

Commencent ici les premiers doutes du stampassin débutant. Certes, apposer un nombre fractionnaire justificatif du tirage semble facile mais comment en déterminera-t-il le dénominateur ? Comme grandes sont ses espérances il le magnifie quelque peu. Quant au titre il s’en accommode aisément, au risque de friser parfois la redondance avec son image. Néanmoins, la signature autographe lui donne quelques tracas. Sera-ce celle des divers documents administratifs qui confirment son identité et son état civil ? Ou bien en sera-ce une créée spécialement pour cet usage exclusif ? Sera-t-elle parfaitement lisible par autrui ou complètement illisible ? Sera-t-elle bellement calligraphiée ou énergiquement négligée ? Ici, il passe du simple tracas à un abîme de réflexions, mais il lui faut bien choisir et ce choix l’entraînera, peut-être, jusqu’au sommet de la notoriété.

« Môa, le clown » de Pierre-Yves Trémois (Cl. Site Trémois.com)

Cette façon de signer ses estampes est devenue largement majoritaire. Elle suit toujours le même schéma à quelques variantes près. Le nombre fractionnaire est remplacé si besoin par les mentions EA, HC, État 1, etc. On place le titre à gauche avant ou après la fraction justificative, ou bien tout à droite ou au centre. Parfois un millésime accompagne la fraction ou la signature. Quelquefois, un tampon coloré ou un timbre sec viennent confirmer l’authenticité de la chose. Bref, trois mentions, quelle que soit leur disposition : fraction justificative, titre et signature, figurent dans la marge inférieure sur la plupart des estampes contemporaines. Cet usage se transmet de génération en génération. Cependant, il n’en a pas été toujours ainsi et bien d’autres procédés sont possibles. Pourquoi faudrait-il alors se rallier exclusivement à cette coutume, certes bien établie ? Toutefois, mettre en question sa pertinence n’est-il pas s’interroger sur les motivations du choix de l’estampe comme démarche artistique originale ? N’est-ce pas vouloir sonder la personnalité des créateurs d’estampes qu’ils oblitèrent aujourd’hui de cette marque autographe ?

« Les deux Pantalons » de Jacques Callot (Cl. Gallica BnF)

Comme le développait la psychanalyste Anne-Marie Blanchard dans un article publié par le n° 39 du journal « Graver Maintenant – Les nouvelles » consacré à la signature : « …elle n’en est pas moins d’abord une affirmation de soi, comme en témoigne l’intérêt qu’elle suscite souvent chez le préadolescent. L’enfant s’intéresse très précocement aux traces que sa main laisse, souvent à son insu. Pourtant, ce n’est que tardivement qu’il cherche sa signature. Il est remarquable que ce soit souvent au moment où il renonce à dessiner, estimant qu’il n’y arrive pas ─ souvent suivant les critères que lui impose son entourage, vers dix ou douze ans. C’est alors qu’il abandonne plus ou moins les modèles d’écriture de l’enfance et invente sa propre signature, compare celle-ci à celle des autres, imite la signature des adultes qui comptent pour lui. En somme, il se cherche dans ce questionnement : qu’est-il pour lui et pour les autres ?…
…Il n’en reste pas moins que la signature d’une œuvre devrait être pour l’artiste le signe qu’il assume la responsabilité de son œuvre et accepte de se soumettre aux jugements des autres ─ pour le meilleur et pour le pire. Il sort de sa retraite intime, il devient un homme public avec ce que cela implique éventuellement d’inflation narcissique, de rejet ou pire encore d’indifférence.
Apposer sa signature, c’est se reconnaître comme sujet, affirmer son individualité, son unicité… »

En revanche, si cette analyse décèle bien les ressorts psychologiques de tout signataire, les fondements de son individualité et la légitimité de la signature, elle n’induit pas de procédés techniques qui permettraient matériellement d’apposer cette griffe sur sa création. Pourquoi alors ne faudrait-il pas faire de la matrice de l’estampe le lieu même où cette marque s’affirmerait ? Pourquoi ne s’inclurait-elle pas directement dans l’image dont elle est porteuse ? Il en fut fait ainsi pendant des siècles, en témoignent le monogramme d’Albrecht Dürer, la cursive de Jacques Callot suivie de fecit ou f., la double signature de Gustave Doré et de son graveur, le logo de Maurits Cornelis Escher, ou la calligraphie de Pierre-Yves Trémois, etc. pour ne citer que quelques-uns des stampassins les plus remarquables.

« Nature morte et rue » de M. C. Escher, xylographie, 1937
(Cl. Site M. C. Escher.com)

Mais, que faire de la fraction justificative du tirage qui par sa nature ne peut s’inclure dans la matrice ? Se pose alors sa raison d’être. Cette fraction devenue volontairement obligée demeure à la croisée des chemins du graveur, de l’éditeur ou du commanditaire, du collectionneur, de l’acheteur, du galeriste, voire du spéculateur, qui tous poursuivent des objectifs parfois divergents. Un dénominateur moindre hausserait-il le prix de vente de l’estampe ? Un rang moindre du dénominateur magnifierait-il sa notoriété et par conséquent son prix si ce n’est sa valeur ? Telles sont les nombres que chacun de ces acteurs soupèsent dans la curieuse enchère qui se mène entre eux et que le pauvre débutant a bien du mal à départager en regard de la valeur esthétique qu’il estime attribuer à ses estampes. Ainsi que le soulignait Maxime Préaud dans son article intitulé « Le graveur et l’infini » publié dans l’ouvrage collectif « Unique » édité par le musée Jenisch de Vevey (Suisse) en 2002 : « …Déterminer la cherté par la rareté se conçoit aisément, mais déterminer la beauté par la rareté n’est qu’une perversion très répandue. En revanche, si une estampe est belle, et si le tirage est égal, pourquoi la deux mille huit cent cinquante-septième épreuve serait-elle moins belle que la dix-huitième ? »

Ainsi ce débutant, devenu un stampassin chenu ou moins chenu mais embarrassé qu’il est de tirages invendus serrés dans ses cartons, a-t-il tendance à suivre la pente que lui impose le marché. Dans l’espoir de valoriser dès ses premiers tirages la matrice qu’il vient d’achever, il note souvent un dénominateur plus proche de un que de cent, et ceci indépendamment des contraintes que la technique utilisée impose. Toutefois, s’ouvrirait ici une autre histoire qui diverge largement de la signature de l’estampe qui demeure malgré la variété des manières de le faire parfaitement légitime, même au crayon gras.

Claude Bureau

Nota bene : cet écho n’épuise pas le sujet traité. Faites-nous part de vos réflexions ou de vos témoignages à ce propos. Le magazine se fera un plaisir de les publier. Comment faire ? Voir ici.
La rédaction.