Au fil du temps…

« Afflux », burin (Cl. L. Paton)

« Au fil du temps : regards croisés »
Catherine Gillet, gravures et dessins
2 au 25 novembre 2023
Fondation Taylor, 1, rue La Bruyère, 75009 Paris

Dans les beaux locaux de la Fondation Taylor qui viennent de faire peau neuve, la buriniste Catherine Gillet nous accueille avec une planche énigmatique toute en douceur et en rondeur intitulée «  Nouveau monde ». Puis on retrouve ces blocs noirs striés qui lui sont chers, comme en suspension dans l’espace blanc de la page. On ne sait pas si ce sont les roches qui coulent ou le monde qui pleure. Mais on cesse bientôt de s’interroger, emporté par les mille surprises fines et scintillantes d’un burin à la fois délicat et profond qui sait inscrire en traits lumineux ce « Vivre pourtant » qu’Éluard appelait « le dur désir de durer ».

« Vivre pourtant », graphite et pierre noire (Cl. L. Paton)

Des dessins grands formats effectués au graphite et à la pierre noire et où la matière s’enroule, à de ravissantes miniatures gravées (En chemin) , nous allons de découvertes en découvertes. Jusqu’à ces « Afflux » par lesquels la buriniste nous livre sa vision légère et étincelante d’un jardin zen .

« Afflux » (détail), burin (Cl. L. Paton)

Ne manquez pas au 4ème étage l’exposition « La Taille & le Crayon », estampes et dessins évoquant des espèces en voie d’apparition à partir d’un texte de Raphaël Saint-Rémy.

Laurence Paton

Paris gravé

« Sortie du métro à Réaumur-Sébastopol », aquatinte, zinc,
tirage (10 ex.) à bords perdus, 37, 5 x 28 cm, 2021 (Cl. M. Préaud)

« Paris gravé »
2 au 26 novembre 2023
Boutique Rouge grenade
85bis rue de Bagnolet 75020 Paris

« L’Observatoire de la Sorbonne », aquatinte, zinc,
tirage (12 ex.) à bords perdus,39 x 49, 5 cm, 2023 (Cl. M. Préaud)

Malgré les efforts soutenus de ses édiles successifs, Paris reste encore une belle ville, profitons-en, son avenir est incertain. Ceux qui l’aiment la retrouvent en partie dans les estampes de Corinne Lepeytre. Cela fait plusieurs années qu’elle nous montre les endroits qui lui plaisent, qui ont pour elle et peut-être pour nous une signification importante, que ce soit pour le regard ou pour le sentiment — et du sentiment, il y en a. Apercevoir au loin le dôme de l’observatoire de la Sorbonne, sortir du métro entre les ramures d’Hector Guimard, changer de quartier grâce à un passage couvert, s’aveugler momentanément dans le reflet de verre et d’acier de quelque bâtisse plus moderne (elle m’a avoué qu’elle aimait bien le verre et l’acier, à chacun ses goûts), mais aussi reconnaître la verrière de l’atelier de la Fondation Taylor, voir vibrer dans la brume de chaleur émanant des toitures haussmanniennes en zinc (un rappel, me dit-elle, de celui sur lequel elle grave ses aquatintes, subtile symbiose) les lointains banlieusards, voilà ce que Corinne Lepeytre nous propose avec la quarantaine d’estampes, exécutées entre 2018 et 2023, présentées dans la boutique de Rouge Grenade1.

« Rue La Bruyère, l’immeuble de la Fondation Taylor », aquatinte, zinc,
tirage (10 ex.) à bords perdus,29 x 39 cm, 2020 (Cl. M. Préaud)

Outre la beauté de son travail, j’ai personnellement apprécié que ses estampes, imprimées par elle-même à bords perdus, se présentent donc sans marges pour qu’en gênent la lecture les inscriptions diverses plus ou moins bien écrites dont abusent généralement les stampassins et stampassines d’aujourd’hui. Les informations nécessaires se retrouvent au verso.

Maxime Préaud

1 – 85bis rue de Bagnolet (75020, M° Porte de Bagnolet, ligne 3, Bus 76). Où Françoise Trotabas propose aussi des objets d’artisanat d’art.

Le papier du papier

« Le papier du papier »
Sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI
À l’occasion du quarante-quatrième Moussem Culturel International d’Assilah
Galerie du Centre Hassan II des Rencontres Internationales
8 au 30 Octobre 2023

La ville d’Assilah, à quelques kilomètres de Tanger (Maroc), organise depuis quarante-quatre ans un festival où se réunissent écrivains, philosophes, politiciens et artistes de toutes nationalités. Le « Moussemd’Assilah » rassemble, dans ses ateliers d’arts plastiques, des artistes de différentes nationalités invités en résidence pour partager leurs compétences dans leurs différents domaines d’expression.

Dans ce cadre du Moussem 2023 Said Messari, artiste marocain de Tétouan , vivant à Madrid et curateur de l’atelier de gravure du Moussem, montre à la galerie du centre Hassan II son travail très particulier d’estampes et de papier dans une exposition intitulée « Le papier du papier ». Cette exposition s’accompagne de la présentation du livre « Suleimán y Salúa »1 de Ali Ali, lithographe syrien vivant en Espagne.

Said Messari, fort d’une expérience technique pointue acquise par des années d’impression au service de la maison d’édition Repro-Art à Madrid, a créé son propre atelier et développé un travail plasticien très particulier sur le papier et l’impression qui emporte l’estampe au-delà de ses limites habituelles. Outre ses activités de transmission dans différentes institutions espagnoles, sa présence dans de nombreuses résidences d’artistes, il publie aussi des écrits sur ce travail du papier et de l’estampe comme forme à part entière du travail plasticien.

Comme une profession de foi dans la noblesse du papier et de l’estampe, l’artiste proclame en exergue du catalogue de cette exposition « La gravure n’est pas la sœur orpheline de la peinture » ! Ses recherches tournent autour de deux axes : le travail du papier comme matériau même de son expression, de ses rapports avec l’encre, et le papier comme support d’estampes incluses dans une œuvre plus monumentale. Mais dans tous les cas l’impression du papier, en couleur ou en gaufrage, reste un fondamental de cette expression qui veut sortir un travail de gravure protéiforme des cadres qui lui sont habituellement assignés.

Il fabrique le papier, mis en forme, en couches, trituré, malaxé, imprimé, maltraité mais toujours magnifié. Il fabrique la gravure, d’abord imprimée en taille-douce à partir d’anciennes grandes plaques d’offset gravées au sulfate de cuivre, il l’emmène dans d’autres contrées plus aventureuses de l’expression picturale.

Dans ses dernières œuvres présentées à Assilah, Said Messari explore la possibilité de mettre en forme le papier imprimé en taille-douce pour qu’il devienne sculpture ou installation tout en conservant sa nature première d’estampe.

Estampes en volume – « Gira-Sol II » (Cl. P. Simonet)

Ce travail qui cherche sans cesse à repousser les limites de l’utilisation de l’estampe comme moyen d’expression plasticienne, Said Messari l’inscrit dans une thématique constante qui veut dire la disparition du monde mais aussi sa réapparition. Les travaux de Said « donnent à dévoiler autant qu’ils créent le voile »2 Dans les couches de papier mises l’une sur l’autre, mises côte à côte, dans l’inscription imprimée ou estampée du monde, l’artiste dévoile une mémoire sans cesse répétée, oublis et souvenirs mêlés.

L’œuvre « Profil » (Cl. P. Simonet)

En dehors de son travail personnel qui l’habite entièrement, Said Messari, homme de partage et de communication, cherche toujours à transmettre sa passion et à entraîner les artistes qu’il rencontre, de par le monde, sur les routes intrépides des formes contemporaines de l’estampe.

Pascale Simonet

1 – Livre composé de 21 lithographies – exemplaire unique – 173 x 87 x 10 cm- 2012, Illustrations inspirées des écrits de Francisco X. Fernandez Naval.
2 – « Said Messari – L’invisible », préface de Philippe Guiguet Bologne in Catalogue de l’exposition « Le papier du papier ».