Estampe et sérigraphie

Affiche de l’exposition (Cl. Claude Bureau)

« Atelier Éric Seydoux », exposition
BnF – François Mitterrand
Galerie des donateurs
21 novembre au 21 janvier 2023

Éric Seydoux (1946-2013) a débuté sa carrière d’imprimeur et éditeur sérigraphiste en étant une des chevilles ouvrières de l’« Atelier populaire de l’École des Beaux-Arts ». Il contribua ainsi à faire entrer l’art de l’estampe sérigraphiée dans l’Histoire comme en témoignent deux des « affiches de mai 68 » exposées dès l’entrée de l’exposition. La « Galerie des donateurs », située dans la coursive côté Seine de la bibliothèque François Mitterrand est donc une nouvelle fois consacrée, sous la houlette de Céline Chicha-Castex et Cécile Pocheau-Lesteven, conservateurs au département des estampes de la BnF, à un atelier d’impression d’estampes, des sérigraphies1 en l’occurrence. Malgré la surface restreinte de cette galerie de 90 m², les deux commissaires ont su mettre en valeur la diversité des estampes qui ont vu le jour dans l’atelier d’Éric Seydoux, tant dans leurs formats que dans les coffrets ou les livres édités présentés dans des vitrines au milieu de la salle.

« City lights », Shirley Jaffe, L’Atelier d’Éric Seydoux, 1996,
BnF, département des Estampes et de la photographie,© Adagp, Paris 2023

Le grand intérêt, au-delà de la qualité des artistes édités, tels Pierre Buraglio, Loustal, Floc’h, Lorenzo Mattoti, Yves Challand, Paul Cox, Christophe Cuzin, Hélène Delprat, Shirley Jaffe, Bernard Moninot, Claude Viallat, etc., de l’accrochage est de montrer que le support papier, bien que restant majoritaire, n’est pas le seul où l’œuvre sérigraphiée puisse se matérialiser comme le tissu, le plastique ou l’aluminium, etc. Ces supports peuvent ainsi créer des objets décoratifs ou architectoniques qui prolongent la présence de l’image dans l’espace public ou privé.

« Pistils » en bleu de Frédérique Lucien (Cl. Atelier Éric Seydoux)

Contrairement à un préjugé couramment répandu qui sous-entend que la sérigraphie ne serait que l’art des aplats de couleur, cette exposition met en lumière un autre aspect de cette manière d’imprimer. Elle peut, et là résidait tout le talent et la maîtrise d’Éric Seydoux, rendre avec une infinie subtilité les plus fins détails et nuances des desseins de l’artiste qui a fait ces choix expressifs. Ainsi, par exemple, les restituent, dans des petits formats, les sérigraphies des quatre « Pistils » bleus sur papier Bible ou celles des sept « Pistils » toutes en nuances légères de noirs et de gris de Frédérique Lucien qui fréquenta l’Atelier Éric Seydoux et dont elle dit : « Éric possédait ce souci du détail, cette justesse et cette compréhension des œuvres, des objets, du travail de l’artiste… Il était un technicien hors-pair car pas que technicien. »

La variété des œuvres présentées ici exige de prendre son temps et de conserver une attention soutenue afin de pouvoir pénétrer dans les mondes de chacun des artistes que ce maître sérigraphiste a eu à cœur de servir.

Claude Bureau

1 – Pour en savoir plus sur la sérigraphie (voir ici) : https://www.vuetlu.manifestampe.net/estampe-serigraphiee/

In choro bestiarum

Vue d’ensemble (Cl. Gérard Robin)

« In choro bestiarum », exposition
Atelier de la Fondation Taylor
1 rue La Bruyère 75009 Paris
2 au 25 novembre 2023

Avant de monter à l’atelier de la Fondation Taylor, où « La Taille et le Crayon » présente son nouvel opus de « In choro bestiarum », l’enchantement vous étreint dès les rez-de-chaussée et sous-sol, lesquels, depuis notre dernier passage, ont été rénovés et transformés pour accueillir les expositions (y prévoyant un espace dédié au baron et à son action), et où en plus resplendissent des œuvres des artistes talentueux présents sur les murs. Ainsi celles du plasticien néerlandais Antonius Driessens, maître de l’illusion, avec des trompe-l’œil en bois et en textile denim en deux dimensions, qui mettent en valeur et réhabilitent en beaux montages aux reliefs réalistes, qui s’accrochent comme des tableaux, des matériaux rejetés ou usés dont la société se défait. Ainsi celles de Saïd Farhan, qui a quitté son Irak natal mais en évoque la quintessence culturelle et mémorielle, celle de Bagdad la rayonnante, intensifiée par l’exil, dans de belles compositions de signes et de textures, généralement peintes mais certaines gravées… Ainsi, bien sûr, celles de notre buriniste, Catherine Gillet, qui, au travers de titres expressifs, taille dans le métal des bribes de sa sensibilité picturale et inscrit dans la vacuité du papier des visions abstraites spatiales, gravées ici et là, véritables fragrances graphiques…

Puis, au quatrième étage, coupé d’une mezzanine agrandie, le choc des images !

Sous la grande baie donnant sur la rue La Bruyère, de grandes surfaces à la pierre noire et au fusain, rehaussés d’encre de Chine, évoquent un bestiaire préhistorique jaillissant d’éléments du corps humain. Que l’auteur invité d’honneur, le plasticien et clarinettiste Benjamin Bondonneau, artiste pluriel, qualifie comme « des natures mortes au noir pour lire l’animal qui est en soi ». Le ton est donné pour cette manifestation originale et surprenante, organisée par les curateur et curatrice Carlos Lopez et Catherine Saltiel, et dont ce serait le deuxième volet, mais inédit pour moi et donc grande surprise, car je n’avais pu découvrir la précédente. Un ensemble hybride où voisinent dessins et estampes, conformément aux statuts de l’association dictés par les présidents honoraires, Pierre Chahine et Claude Bouret, et qui est une véritable performance…

Dessins de Benjamin Bondonneau (Cl. Gérard Robin)

Quel thème ! Il faut alors invoquer celui qui fut à la base de cette inspiration et qui a séduit l‘équipe de « La Taille et le Crayon » : Raphaël Saint-Rémy. Il est un personnage singulier, car écrivain et aussi musicien (piano, hautbois, ondes Martenot, etc.), qui se réfère dans ses écrits, ici, au naturaliste britannique Charles Darwin (1809-1882) pour imaginer et décrire, dans « Des espèces en voie d’apparition », un bestiaire fantastique et fantasque de quelques 113 animaux imaginaires, accompagné dans l’édition (« Le Chant du moineau », 2016) de 16 gravures de Benjamin. C’est à partir d’éléments du texte original, que s’est alimenté le souffle créateur des artistes membres de l’association et invités, et par lequel la manifestation a pris forme. Évocations marquées du label évident de l’interprétation, mais nécessairement créatives dans l’imaginaire de chacun, et au final originales.

« Le sphinx siamois de l’iris », Nathalie Grall (Cl. Gérard Robin)

Nombre de créations, baptisées de noms improbables : « Hippogon, Envolorse, Slote, Alcakl, Clatch, Bestiole Pinocchio, Mues Voyageuses, Iurle, Rimiche, B’Naya, Sapo.Bot, XZ, Jerobo, Polythenepterus Horibilis, Elabore, Dago, Giaco, Chor-Kiwou, Inobar, Queirdcoreutopia, Aquabon, Impaire, Lappyfish, Oiseaupin, Aguf, Merciarios, Achdeuzotte, Staccate, Anatos, Trouk, Equus Gangloffi, Leste, Ourbis, Élabore, Omne-Cisaille, Parog, B’No, Borbore et Serre Gond Drapant… » ont envahi les murs de l’atelier. Des formes de vie qui, à la réflexion, tiennent du possible (on en découvre toujours de nouvelles), y ajoutant la naissance bien réelle dans le passé de l’« Humanus Praedator », espèce polychrome, toujours en expansion et qui menace désormais la « Planète bleue », la pollue et la déchire, œuvrant curieusement à sa propre disparition…

Mais fermons la parenthèse et revenons en cimaises : taille-douce, taille d’épargne et gaufrage y évoquent magnifiquement les visions de Raphaël Saint-Rémy. Citer tous les acteurs de ces représentations, 42 dessinateurs et graveurs, tant la richesse d’expressions accroche et séduit le regard, me semble difficile. La lecture du catalogue, où chaque intervenant relie sa création à ces bestioles imaginées permet une approche fine de leur expression.

Sans oublier les manifestations annexes exceptionnelles qui eurent lieu le vendredi 17 novembre : une performance de Ivan Sigg, artiste et écrivain, poète et dramaturge, animateur et consultant en innovation et créativité en entreprise, avec le dévoilement d’un « Serre Gond Drapant » et la naissance d’un « Kalao tri-Korne » ; et le samedi 18 novembre : la lecture d’une sélection de textes de Raphaël Saint Rémy et ceux imaginés par les artistes, avec Joëlle Pehaut, Delphine Herscovici, Catherine Saltiel et Paule Laurian. Compliments à « La Taille & le Crayon » et ses artistes, en particulier les président et vice-président, Carlos Lopez et Yves Dodeman, pour leur esprit novateur. Et merci à Véronique Murail, autrice d’un « Perpétuel sans queue ni tête », pour son accueil lors de notre visite.

Gérard Robin

La onzième…

L’alcôve de Sophie Sirot (Cl. C. Bureau)

Onzième biennale de l’estampe
Atrium de Chaville
925 avenue Roger Salengro 92370 Chaville
4 au 17 novembre 2023

L’atelier associatif « Estampe de Chaville », présidé par Jean Benais et dirigé par André Bongibault, pour sa onzième biennale a choisi de mettre à l’honneur les stampassines et les stampassins qui se sont formés à l’École Estienne et d’offrir à chaque exposant de cet atelier dynamique une sorte d’alcôve où il puisse présenter au public une mini exposition personnelle caractéristique de son travail. Ces innovations bienvenues exigent, pour une visite attentive, de prendre son temps pour déambuler dans le vaste espace Louvois de l’Atrium de Chaville qui les ont accueillies afin d’admirer les estampes des trente-sept exposants de cette édition 2023.

L’espace de l’École Estienne (Cl. Claude Bureau)

À l’honneur donc l’École Estienne qui maintient depuis des années, contre vents et marées, l’enseignement des métiers, traditions et nouvelles techniques de la belle estampe. Un enseignement assis sur une solide formation artistique et générale, au service du livre et de l’édition d’art. Elle a été ici présente au travers des estampes de deux anciens de l’école : André Bongibault avec ses grandes compositions magistrales et Sébastien James avec ses allégories truculentes comme « Le chevalier à la brosse au carré », de l’actuelle professeure de gravure, Caroline Bouyer avec de grands formats de ses paysages industriels et urbains et de cinq élèves qui effectuent leur stage de perfectionnement à l’atelier de Chaville. Parmi eux on a pu remarquer le dynamisme des corps dansants d’Ulysse Devillers ou le bestiaire fantastique de Cyril Boivin.

L’alcôve d’Ulysse Devillers (Cl. C. Bureau)

L’accrochage des autres exposants, par le nombre important de leurs estampes, permet de flâner d’alcôve en alcôve et de se faire une idée précise du monde de chacun exprimé dans des manières et techniques différentes. Olivier Musseau, sur un sujet rebattu, a proposé une installation para-solaire particulièrement originale pour sa suite égyptienne « Au fil de l’eau » avec un leporello circulaire où l’on chemine dans un cycle éternel de la vie à la mort en éternel retour. Tout en nuances fines de traits et de gris les petits paysages de Jean-Pierre Peyroulou incitent à se remémorer nos promenades champêtres. Les êtres fantastiques, mi-humains mi-végétaux, d’Emma Biraud dansent comme dans un rêve éveillé. Franck Genis restitue par la force graphique de ses traits la puissance du fleuve Amazone qui se poursuit plus apaisée dans ses trois livres d’artistes : « Arbres », « Et la mer dit » et « Fables ». Et bien d’autres merveilles à admirer suivant les affinités de chacun pendant cette onzième biennale de l’« Estampe de Chaville ».

Claude Bureau