Devorah Boxer

Un aspect de l’exposition (Cl. Maxime Préaud)

« WOOD/CUTS/ 1958-2018»
Galerie Schumm-Braunstein
9 rue de Montmorency 75003 Paris
16 mai au 8 juin 2024
mardi au samedi de 14h 30 à 19h
www.galerie-schummbraunstein.com

On ne fera pas trop grief à Devorah Boxer d’avoir donné un titre anglais à son exposition. Il est vrai qu’elle est encore un peu américaine et que c’est à Yale qu’elle a découvert en 1956 les plaisirs de la gravure. Il est vrai aussi qu’expliciter le mot par sa version française, qui pourrait être « estampes obtenues à partir de gravures en bois de fil », aurait été un peu long.

L’exposition montre un choix de pièces qui couvrent une soixantaine d’années, de 1958 à 2018, des recherches graphiques de Devorah. On voit la manière astucieuse dont elle utilise les éléments des bois eux-mêmes, veines, veinules, nœuds divers. Comme les objets représentés, les planches sont aussi souvent de la récupération. Un des plus jolis témoignages, au milieu des clous, des transistors et des burettes, en est cette paire de « gourdes de bicyclette » (sic pour « bidons », les gourdes seraient plutôt les cyclistes), présentée à la fois en personne et en estampe.

Les « gourdes de bicyclette » en vrai (Cl. Maxime Préaud)

Les « gourdes de bicyclette » en estampe (Cl. Maxime Préaud)

En prime, quelques magnifiques dessins ! Belle brocante en vérité. L’exposition est accompagnée d’un petit catalogue illustré, préfacé par Michel Melot, qui fut naguère, entre autres qualités, directeur du département des estampes de la BnF.

Maxime Préaud

Métonymie

« Cape de pluie et autres végétaux » de Pierre Guérin(Cl. CEC)

BICG 3
Galerie l’Entr@cte
92410 Ville d’Avray
16 mai au 2 juin 2024

Le titre de cet écho pourrait être le nom d’une déesse ou d’une accorte jeune femme. Plus prosaïquement il désigne une figure de style d’un usage très répandu. Elle l’est notamment dans le domaine de l’art. Ne dit-on pas : « un Picasso » en parlant d’une peinture dudit. En matière d’estampe, on en use aussi. Ne dit-on pas : « une eau-forte de Jacques Callot » en parlant d’une estampe du graveur lorrain par la technique qu’il a utilisée pour la créer. Le mot utilisé associe la chose dont on parle en un raccourci évocateur. Ce rapport entre la chose qu’on a sous les yeux et le mot dont on use pour en parler est parfois plus lointain même si à un moment ils ont été pressés l’un contre l’autre. « C’est un cuivre magistral de Dürer », dira-t-on admiratif de sa « Mélancolie », en associant la matière de la matrice gravée par l’artiste à l’image imprimée sur le papier. Le monde de l’estampe aime bien cette métonymie pour désigner une estampe par la matière de sa matrice : un cuivre, un bois, une lithographie, une sérigraphie1.

« Migration » de Sophie Domont (Cl. CEC)

Une sorte de hiérarchie semble s’être établie entre ces matières traditionnelles qui vouent à un certain mépris toutes les autres. Zinc est laissé aux couvreurs ou aux bistrotiers, linoléum aux enfants, plexiglas aux encadrements, etc. Comme si la matière de la matrice donnait sa seule valeur esthétique à l’image gravée. Quant au carton, on ose à peine en révéler l’usage. Fort heureusement les pratiques contemporaines font fi de cette hiérarchie quelque peu obsolète. Pour continuer à filer la métonymie, il existe de mauvais cuivres et de bons cartons, tout dépend du talent des artistes qui les ont créés. Chaque matière dont usent les artistes d’aujourd’hui ― et le nombre de ces matières tend, grâce à leur imagination créative, à croître ― possède ses propres qualités expressives pour qui sait la maîtriser.

« Oh ! My bear » de Gaëlle Devys (Cl. CEC)

Il faut savoir gré à la « Biennale internationale du carton gravé » de démontrer pour la troisième fois que cette matière, utilisée comme matrice gravée, peut produire de « belles » estampes même si notre déesse Métonymie ne les a pas encore assises en son giron et que l’on réserve toujours au vocable sportif l’exclamation « Carton !» affublé d’une couleur ou d’une autre. Pour se convaincre que la matrice en carton équivaut toutes les matrices traditionnelles, il suffit d’aller regarder quelques-unes des gravures accrochées ― sans plexiglas ni verre ― à la Galerie l’Entr@cte de Ville d’Avray pendant la douzième Fête de l’estampe. Par exemple, le « Polyptiquement correct » de Maryanick Ricart qu’il faut regarder de très près tant les détails de sa matière expressive grise et noire sont impossibles à rendre photographiquement. Ou bien encore, les subtiles teintes des natures mortes qui s’effacent de Marie Deverchere. Ou enfin les traits incisifs des « City reflections » de Hanna De Haan. Et bien d’autres exposés tant la diversité des inspirations et des manières donne ici à cette matière si courante ses lettres de noblesse stampassine.

Claude Bureau

1 – Ici il aurait fallu logiquement dire une pierre et non pas une lithographie, et une soie et non pas une sérigraphie. Là dans ces deux mots sont confondus la matière et le procédé.

Américo Caamaño Quijada

Américo Caamaño Quijada, tirage d’impression lors de l’exposition «Volcans – Le feu du monde» à Bordeaux (Cl. Cécile Bouscayrol)

« La conscience gravée au cœur de la Vie »
Installer les œuvres dans l’hôtel de Ragueneau, bâtiment exceptionnel construit au XVIIe siècle au centre de Bordeaux, a donné une ampleur inhabituelle à l’exposition Volcans, le feu du monde à laquelle ont participé une soixantaine d’artistes liés à l’Amérique Latine.

La vastitude de l’espace a facilité la réalisation de temps forts dédiés à la photographie (initiation au cyanotype avec Natalia Zuluaga) et à la gravure. Deux ateliers de xylographie l’un sur bois l’autre sur lino ont été dirigés gracieusement par le maître graveur Américo Caamaño Quijada qui voyage pour la première fois hors du Chili. Une rencontre ou charla en soirée a permis d’évoquer le rôle des maîtres qui l’ont formé : Jaime Fica, Eduardo Meissner, Iván Contreras et Albino Etcheverría.

Il a également fait part de son expérience de la gravure sociale. En effet, arrêté et incarcéré dans une prison politique, torturé, officiellement reconnu personne victime de la dictature militaire (1973-1989), la gravure a été pour lui un moyen de préserver à la fois sa Liberté d’expression (tirage d’affiches) et de retrouver sa Liberté d’être humain.

Fort de quarante ans de pratique, Américo Caamaño Quijada perpétue les techniques de l’estampe – en particulier la xylogravure en tirages limités (quatre ou cinq) puisque « à matrice perdue » et la linogravure – au sein de son Atelier Pacifique à Tomé dans la région du Bio-Bío, au Chili. La Galaxie de Tomé – ville située près de Concepción – est porteuse de cette « Fraternité héritée des prédécesseurs : Raphaël Ampuero, Alejandro Reyes, Alfonso Mora, Benjamín Silva, etc. », dit-il.

L’iconographie de sa récente série intitulée Danger dans la baie exposée jusqu’au 28 mars 2024 en milieu rural sur les bords de la Dordogne, d’abord à Port-Sainte-Foy puis à Vélines, témoigne de sa prise de position en faveur de la préservation des côtes océaniques. Son plaidoyer quasi nostalgique a une envergure universelle, le public aime, regarde, écoute et dialogue.

Américo Caamaño Quijada entraîné à manipuler une presse professionnelle travaille avec minutie et précision, il en résulte une impression qui exergue la force de l’encre noire déposée sur le papier blanc humide. Rares sont ses gravures en couleur, celles qui le sont – au bleu profond et vert de jade – renvoient ce même effet de puissance.

Xylogravure à matrice perdue 2020 « Oiseaux vigilants » 1/5
(Cl. Cécile Bouscayrol)

Chaque gravure est rythmée par une variété impressionnante de tracés simulant à la fois l’ambiance et l’atmosphère. La sensation immédiate de l’existence des matières minérales et végétales capte l’attention, les oiseaux vigilants perchés sur les rochers observent.

Xylogravure à matrice perdue 2020 « Danger à Coliumo » 1/3
et « Filet abandonné » 1/2 (Cl. Cécile Bouscayrol)

Tandis que les multinationales accaparent les richesses de ce monde, la barque  vide sur la grève reste figée sous un soleil de plomb. Au loin, la petite péninsule qui ferme à l’ouest la baie de Coliumo – incroyablement belle en réalité – se détache ondulante et noire tel un sombre présage.

 Cécile Bouscayrol