Paris Print Fair

Vue d’ensemble (Cl. Maxime Préaud)

« Paris Print Fair »
Réfectoire du Couvent des Cordeliers
15 rue de l’École de médecine75006 Paris
21 au 24 mars 2024

La troisième édition du « Salon de l’estampe / Paris Print Fair » organisée par la Chambre syndicale de l’estampe, du dessin et du tableau, CSEDT, se tient dans le Réfectoire du couvent des Cordeliers à Paris (VIe) du 21 au 24 mars. L’inauguration qui a eu lieu le mercredi 20 mars a permis à beaucoup de gens du monde de l’estampe, qu’il s’agisse de graveurs, de marchands ou d’amateurs de commencer à découvrir les richesses proposées par les vingt galeries présentes : douze françaises et huit étrangères, toutes évidemment d’excellente réputation. Il faut féliciter le président de la Chambre syndicale, Christian Collin, et sa collaboratrice Nathalie Béreau, pour la qualité de l’ensemble.

Chaque stand montre des pièces de grande qualité, et quasiment toutes les stars de l’estampe et de son histoire figurent sur les cimaises et dans les cartons. Mais il y a aussi quelques intéressantes surprises, dont je ne mentionnerai ici que les quelques exemples qui m’ont frappé, moi ― il s’agit donc d’une opinion particulière.

Une autre vue d’ensemble (Cl. Maxime Préaud)

Chez Christian Collin sont montrés, dans les cartons, deux feuilles d’almanachs agrémentées de gravures en bois éditées à Marseille en 1657 et 1668, je crois d’une rareté insigne. Il y a aussi, sur la cloison, un magnifique gros chien, « Pas commode ! », dû au talent singulier de Louis-Napoléon Lepic.

Chez Nathalie Béreau, quelques pièces un peu compliquées mais intéressantes d’Anaïs Charras, et un bel ensemble d’estampes d’une série de « Palimpsestes » de Caroline Bouyer, à sujets forestiers, manifestant une recherche continue. La fidèle Madame Rumbler présente, entre autres chefs-d’œuvre classiques, une belle estampe du graveur autrichien Franz Sigrist (1727-1803), « Loth et ses filles ». À la galerie Stéphane Brugal, de Pont-l’Abbé, une magnifique « Douleur au pays de la mer », estampe en couleurs de Charles Cottet, semblable à une déploration du Christ. Chez Sarah Sauvin, une intéressante version coloriée (coloris d’époque semble-t-il, XVIe siècle) d’une Tentation de saint Antoine d’après Jérôme Bosch. Chez Didier Martinez, un splendide autoportrait de Georg Jahn au travail en 1908.

Le stand des « Amateurs d’estampes » (Cl. Maxime Préaud)

J’ai aussi remarqué, dans le petit stand réservé à l’association des « Amateurs d’estampes », outre une belle vue de la gare Saint-Lazare depuis le pont de l’Europe par Corinne Lepeytre, une jolie « Marchande de poissons à Majorque » par Hermine David (1886-1970).

Maxime Préaud

 

 

Christiane Vielle

« Identification n° II », Christiane Vielle, aquatinte 1986
(Cl. Laurence Paton)

« De la forme en mouvement à l’expression du signe »
Exposition 13 mars au 6 avril et 24 avril au 4 mai 2024
Galerie Anaphora 13 rue Maître Albert 75005 Paris,

Sur le mur de droite, un imposant bloc noir aux allures de paquebot nous accueille. Ce bâtiment qui , fendant des flots blancs, nous invite à le suivre dans son sillage entre mer et ciel , c’est « Identification n° II », une aquatinte de 1986. Lames de fond et nuages, aile et élan : comme l’indique le titre de l’exposition, l’œuvre abstraite de Christiane Vielle est tout en mouvement, et on devine le geste ample de l’artiste maniant la brosse, ou le pinceau lorsqu’il s’agit des monotypes, sur la plaque de cuivre. Les noirs profonds et presque transparents à force d’avoir été grattés au brunissoir ou à la toile émeri, dialoguent avec les blancs légers pour nous emmener en une sorte de promenade vers l’infini dans des « Jardins possibles » étincelants d’eau ou de neige, des lagunes ou des déserts minéraux à la composition virtuose qui fait s’entrechoquer des mondes.

« Jardins possibles », Christiane Vielle (Cl. Laurence Paton)

« Hypothèse sur nature », Christiane Vielle,
aquatinte, roulage, monotype chine collé, 2012 (Cl. Laurence Paton)

La graveure, qui a accompagné de ses images nombre de textes et de poèmes, aime aussi jouer avec les couleurs et les papiers collés comme le montre sa série Le chant des choses ou « Hypothèse sur nature ». Près de cinquante estampes sont exposées qui nous font entrevoir « tout un monde lointain », pour reprendre le titre d’une des toutes récentes séries d’aquatintes (2023) créées par Christiane Vielle.

Laurence Paton

Propos de salon

Le monde de l’art contemporain, depuis une quarantaine d’année, semble être, selon les observateurs culturels, sous la pression d’une politique artistique de l’État qui soutient un art de création non pas libéral, mais dirigé et encadré. Ce qui n’est pas sans pénaliser les salons indépendants, symboles d’une diversité nécessaire et appréciée. Il faut donc saluer, malgré les subventions en amenuisement, la permanence des manifestations historiques, comme le « Salon des Artistes Français », ouvert en 1880, et le « Salon d’Automne », né en 1923, qui présentent un art libre et qui sont de véritables lieux d’échanges entre les artistes et le public.

L’artiste critique d’art et essayiste Aude de Kerros, dans la préface du catalogue du Salon 2024 de la « Société des Artistes Français », est éloquente sur cette situation de l’art. Un « état » qui est d’autant plus important pour le monde de l’estampe lequel, en regard des autres arts plastiques, malgré la création d’une fédération ― Manifestampe ― et le dynamisme, entre autres institutions, de la Fondation Taylor et de nombreuses associations de stampassins, est souvent marginalisé dans l’esprit des décideurs culturels et reste parfois mal connu, voire dédaigné.

Sans rapport direct avec ce qui vient d’être dit, on pourrait aussi évoquer l’Académie des Beaux-arts, dont l’action est bien sûr importante pour le soutien des artistes, mais dont le libellé de la section « Gravure », sous la houlette de gens de l’art contemporain, a été transformé en 2022 en « Gravure et dessin » ! Cela pour accueillir des personnalités autres, sans rapport avec le thème fondateur. De quoi affaiblir ou desservir ce dernier ! Cela dit, les salons évoqués plus haut proposent des sections « gravures » importantes.

Portons-nous dans la Grande Halle de La Villette, où s’est tenu le « Salon d’Automne » (18 au 21 janvier 2024). Le jour de ma visite, l’esplanade enneigée et le ciel gris invitent à pénétrer au plus vite dans les lieux. Dommage que l’ouverture se fasse plus tard qu’envisagée ! Enfin, après la froidure de l’attente, me voici dans la cathédrale culturelle où la géométrie rigoureuse des stands, belles cimaises noires de bonnes dimensions, facilite la visite. Il est à noter que l’excentrement parisien de la halle semble être, en dehors de la période de vernissage, quelque peu dissuasive et limitative en visiteurs. Car en début de matinée, au lendemain de l’inauguration, il y avait peu de monde… Et c’est dommage.

« Salon d’Automne » les cimaises (Cl. Gérard Robin)

Sous la houlette de Jean-Pierre Tanguy, professeur honoraire aux Beaux-Arts de Paris, la section présente quarante graveurs. Taille d’épargne1 sur bois ou linoléum, taille-douce à l’outil ou au mordant sur métal, de trait ou de teinte, tout un panel de manières, utilisées avec bonheur par des artistes dont nombre de signatures sont des découvertes. Le choix est intéressant, les œuvres sont mises en valeur dans des stands où l’espace est respiration, trop peut-être, car l’intimité nécessaire à l’observation de l’estampe me semble en pâtir. Mais les estampes sont là, offrant des expressions variées qui interpellent le regard, et montrent que la gravure est de qualité et mérite sa notoriété.

Le prix des « Amis du Salon d’Automne » fut remis à Anne François, une artiste qui fait partie du collectif Quai de l’Estampe, à La Rochelle, une association que j’ai déjà évoquée dans « Vu et lu… pour vous » Quant au prix Taylor, il fut octroyé à une autre graveure, mais participante d’une autre section, dite « Arbuste »: Coralie Nadel. Cette section est le fruit d’un partenariat entre la « Société du Salon d’Automne » et une association « Beaux Arts Découverte », dédiée à des jeunes plasticiens âgés au maximum de 30 ans et lauréats du 13e salon associatif, afin de les ouvrir à un large public. Signalons aussi la section « Livres d’artistes », présidée par Michel Boucaut, qui présente les œuvres de 17 artistes, et où l’art de l’estampe est souvent un rendez-vous important.

Une autre invitation nous a conviés, quelques jours plus tard, au vernissage du « Salon des Artistes Français » (héritier du Salon de naguère en sa 234e édition depuis Colbert !)2, dans le cadre d’Art Capital (14 au 18 février 2024), au Grand Palais Éphémère, place Joffre à Paris. Une tout autre ambiance m’accueille, le 13 février jour du vernissage, d’abord parce que la foule est là, ensuite parce que les lieux ont une organisation interne ici moins géométrique ; les stands sont plus divers, moins formels, plus propices au détour et à une certaine intimité du regard, favorable pour les estampes, avec des cimaises claires, un sol revêtu de moquette… Un espace de rencontres et d’échanges amicaux. Cinquante artistes en cimaises, réunis sous le choix judicieux du graveur Guy Braun, créateur de l’atelier GuyAnne.

« Salon des Artistes Français » les cimaises (Cl. Gérard Robin)

Celui-ci reconnaît avoir modifié l’intitulé de la section, devenue l’an passé « Gravure & lithographie », et aujourd’hui « Gravure & estampe ». Ce qui induit que toutes les manières sont présentes, jusqu’à l’héliogravure. La force ici de la présentation est aussi d’assortir ici et là, estampes et planches originelles et de présenter des cartons d’œuvres complémentaires. Ce qui est précieux pour le regard du public et favorise des acquisitions éventuelles.

À signaler, la présence, parmi les exposants, d’un artiste que j’avais déjà rencontré aux « Journées de l’Estampe contemporaine » 2023, place Saint-Sulpice à Paris, l’Espagnol Francisco Dominguez, de Cáceres, en Estrémadure. Un personnage quelque part fascinant, non pas pour son seul talent, mais aussi par sa connaissance profonde de la taille traditionnelle du métal et sa recherche permanente de manières novatrices de travail, avec des produits ou matériaux des plus communs. Une expérience qu’il se plaît, en plus, à partager sur Facebook sous le titre : « Las Técnicas Tradicionales del Grabado Calcográfico », texte en espagnol, mais relativement facilement traduisible, et abondamment illustré.

Contrairement au « Salon d’Automne », le « Salon des Artistes Français » donne des distinctions. L’opus 2024 a vu l’attribution de Médaille d’honneur  à Isabelle de Font-Reaulx ; Médaille d’or : Rem ; Médailles d’argent : Jim Monson, Julianna Salmon ; Médailles de bronze : Michel Cailleteau, Jeanine, Léna Mitsolidou. Quant aux prix, Prix Taylor : Cora Rod ; Prix des Amis des Artistes Français : Sébastien Lacombe ; Prix Art & Métiers du Livre : Hélène Midol ; Prix Charbonnel : Jacques Meunier ; Prix Hahnemühle : Michèle Joffrion, Manuel Jumeau, Sun-Hee Lee et Caroline Lesgourgues.

En conclusion, disons que ce début d’année commence bien pour la promotion de l’estampe. Il reste à espérer que, d’une manière générale, le climat international ne se détériore pas plus, et ne pèse pas sur notre devenir, qu’il soit culturel ou sociétal, chez nous et ailleurs.

Gérard Robin

1N. d. l. r. : pour en savoir plus entre les techniques de la taille-douce et de la taille d’épargne on se référera à cet article : voir ici.
2 – N. d. l. r. : pour en savoir plus sur cette filiation on peut se référer à la note n°2 de cet article : voir ici.