Installation ∞ ∞ XVII

Installation de Christine Vandrisse dans l’église Saint Médard
à Saint-Mard – Aisne
10 au 17 septembre 2017
Installation labellisée Centenaire Aisne 14/18.

Avant-propos

J’ai fait la connaissance de Christine Vandrisse il y a quelques années, elle a même laissé les locaux de son association à mon entière disposition alors que je cherchais une presse plus grande que la mienne. Imaginez mon bonheur, quatre-vingt mètres carrés pour moi toute seule pendant trois jours ! Nous avons également découvert que nous avions de très nombreux points communs, en particulier un endroit bien spécifique en Bretagne où nous nous retrouvons avec plaisir. Ce que j’ai aimé immédiatement dans le travail de Christine, c’étaient ses livres d’artiste, soignés et très originaux, et ses grands bois gravés dans de vieilles portes.

Avant de parler de l’installation de Christine, il faut cependant que je parle un peu de ma propre sensibilité à la grande guerre. En effet, je suis native de l’Aisne. Enfant, j’ai joué bien souvent dans les trous de bombes de la forêt de Saint-Gobain, pas si éloignée du Chemin des Dames. Imaginez un paysage bosselé par la guerre, des chemins creux d’anciennes tranchées, un bonheur d’enfants qui dénichaient des trous, des caches. Les adultes nous parlaient du danger des bombes qui pouvaient encore exploser, cela ajoutait à notre envie d’aventures. Un grand-oncle invalide de la grande guerre vivait chez ma grand-mère maternelle, il ne pouvait s’asseoir, alors on le transportait allongé dans la 203 familiale pour nos pique-niques dans la forêt. Retourner là-bas, passer la forêt fut donc un retour aux histoires de guerres qui ont dévasté régulièrement notre région et à mon enfance. Il fallait donc que, par amitié pour Christine et par mémoire de ce coin-là de France, j’aille à Saint-Mard.

Je savais que Christine travaillait depuis deux ans sur l’installation de Saint-Mard et j’avais eu la chance de voir en primeur le livre « Du coton dans les oreilles », extrait de « Obus couleur de lune » – Calligrammes de Guillaume Apollinaire, lorsque nous avions exposé ensemble à la Galerie associative de Beauvais lors de la Fête de l’Estampe 2017. Ce beau livre comprend quatre linogravures, un contretype, un monotype, un gaufrage, il est typographié et relié par Christine, et enfin, recouvert d’un drap de laine bleu horizon.

Découvrir Saint-Mard, petit village en hauteur au bord de l’Aisne et ressentir la sérénité des lieux de nos jours, un verger communal jouxtant l’église. Imaginer ce que fut la destruction totale de ce lieu il y a cent ans, une région de ruines et de troncs calcinés. Cette église comme tant d’autres sera détruite puis reconstruite entièrement après la grande guerre, elle sera marquée à nouveau par la guerre suivante. Après le passage de la grille, suivre la ligne bleue, ouvrage de dames, chemin de dame en tricot de dix-sept mètres, comme un hommage aux femmes de cette époque qui ont mené pendant des années la marche du quotidien, élever les enfants, travailler, remplacer les hommes partis au front.

Entrer dans l’église

Impasse de la guerre, linosculpture 1m², 9 linogravures (photo Dominique Crognier)

Je n’ai peut-être pas suivi l’ordre exact de l’installation, j’ai été attirée de suite par l’impasse de la guerre, un long fil rouge épais entrecroisé sur les chaises de l’église dans l’allée centrale de la nef. Fil rouge, comme une histoire à dérouler ou à se remémorer, comme tout ce sang qui noyait alors nos terres picardes. Au sol, les neuf carrés de linogravure, portrait éclaté de Guillaume Apollinaire ainsi qu’un grand carré en linogravure, une gueule cassée creusée jusqu’à la trame. Creuser, creuser des tranchées, ils n’ont fait que cela les poilus, comme pris au piège de cette guerre de tranchées, ils n’étaient pas mobiles.

Casque de Guillaume Apollinaire, pointe sèche, technique mixte, détail (photo Dominique Crognier)

Puis les lits-stèles, soixante dix neuf au total, je ne me souviens plus du nombre exact. Chaque gravure, chaque grand blessé de guerre ayant son drap d’hôpital reprisé ou pas, ou peut-être bien son futur linceul ? Têtes et casques éclatés, éclats d’obus. Eclats de gravure et de sang sur les murs de l’église. Traces de bleu, ce bleu infâme et si voyant de l’uniforme des poilus. Traces de sang sur le tissu. Paroles de poilus, lettres de poilus en chine collé. Il n’est pas aisé de décrire le sentiment de détresse humaine, il m’est revenu ensuite que j’avais ressenti des émotions semblables lorsque j’avais vu les originaux d’Otto Dix à l’Historial de Péronne ainsi que Les désastres de la guerre à Clermont-Ferrand, il y a quelques années. Le chant (champ ?) de l’atelier où l’on entend le bruit intense de la pointe sèche comme une rage d’écrire en gravure ce moment d’histoire. Les têtes bleues, gueules cassées, raccommodées ou pas. Le livre « Du coton dans les oreilles » que je consulte à nouveau avec grand plaisir. Les portraits éclatés d’Apollinaire imprimés, en portfolio 9 au carré, les neuf matrices étant celles exposées dans l’impasse de la guerre. Enfin, le grand corps couché, face au chœur, face aux portraits de poilus, pointes sèches et morsures éclatées, zébrées de bleu et de sang.

installation de huit Lits-stèles, gravures sur draps anciens et au sol Soldat de laine, soldat de l’Aisne (photo Dominique Crognier)

Puis j’ai repris la déambulation en sens inverse, des cœurs, des centaines de cœurs peut-être plus dans ce que j’ai pensé être les fonds baptismaux, une symbolique forte des meurtrissures infinies engendrées par les guerres. Je suis restée un bon moment dans ces lieux si paisibles de notre belle campagne picarde. Je me suis rappelée tous ces livres lus sur la grande guerre, toutes ces photographies de villages entièrement détruits et mon grand-oncle invalide qui n’était pas devenu fou, seulement réfugié dans le silence. Il n’y a pas de mots pour la destruction totale, pour la guerre et la folie humaine, il n’y en a jamais eu. Christine Vandrisse a choisi la gravure et le fil pour raconter ce qui ne se dit pas. Une installation très sensible, très forte. J’attends avec impatience une autre installation dans un autre lieu, une autre exposition.

Dominique Crognier

Deux expositions aux Pays-Bas

Rembrandt etsen
[eaux-fortes de Rembrandt]

À Rotterdam, Musée Boijmans van Beuningen, jusqu’au 14 janvier 2018. Virtuosité et imaginations : Rembrandt ‒ les gravures de la collection du musée.

Recto de linvitation d’après Rembrandt, « Saint Jerôme à côté d’un saule », 1648, eau forte et pointe sèche, 177mm x 132 mm. Donation du Dr. A.-J. Domela Nieuwenhuis, 1923.

Le Musée Boijmans montre pour la première fois sa collection d’estampes de Rembrandt. L’exposition est le résultat d’un long travail sur la conservation et l’étude de soixante gravures. Sont aussi parfois montrées des œuvres de Dürer ou Rubens qui ont pu les inspirer.
Bien documenté en néerlandais et anglais.

www.boijmans.nl

Anton Heyboer (1924-2005)

À La Haye, Gemeeentemuseum, jusqu’au 4 février 2018

Anton Heyboer, « Het System », 1958, pointe sèche 27,6 cm x 41,9 cm

L’artiste raconte que, après son internement dans un camp en Allemagne pendant la deuxième guerre mondiale, la gravure l’a sauvé. Anton Heyboer a créé un système pour comprendre le monde et l’humanité, son mysticisme et son langage sont uniques et personnels.
L’exposition montre quelques gravures et surtout un grand ensemble d’environ deux à trois mètres de 27 gravures, « Le bon moment », œuvre que l’artiste a composée pour le Documenta III en 1964, récemment retrouvée. Dans les années 60-70, Anton Heyboer était considéré comme un des artistes européens les plus importants, à côté d’artistes comme Joseph Beuys, David Hockney et Francis Bacon.
Il a choisi de se couper du monde de l’art international qu’il ne supportait pas. Il s’est retiré à la campagne où son style de vie, avec plusieurs femmes, était un sujet de curiosité et scandale. L’artiste n’était plus pris au sérieux. Il a commencé la peinture et la photographie, ce qu’on peut aussi voir dans cette exposition.

Ellen Rouppe

Couleur noire : variations en noir et blanc

 

Kathleen Paddoon, Nakarra Nakarra, eau-forte, 2007

Cette exposition présentée fort élégamment, inaugurée jeudi 19, ne dure que jusqu’au 30 septembre. Il faut donc s’y précipiter pour découvrir une petite dizaine de tailles-douces exécutées au cours des quinze dernières années par autant d’artistes aborigènes. Nous sommes maintenant accoutumés aux œuvres vivement colorées des peintres autochtones australiens, mais leur talent si particulier s’exprime parfaitement avec l’encre noire. Thomas Martin, fondateur en 2016 d’une galerie virtuelle qui s’intéresse particulièrement à l’estampe, Art and Tracks, s’est ici associé avec Ghizlaine Jahidi qui, elle, propose quatre estampes de Jacques Muron à couper le souffle ainsi qu’une grande pièce de Christian Fossier et une lithographie de Hartung qui n’est pas la pire de son œuvre.

Maxime Préaud

Jacques Muron, Arcanes, burin, 1993

42 quai des Célestins à Paris (métro Pont-Marie ou Sully-Morland ou Saint-Paul), tous les jours de 11h à 13h et de 14h à 19h, nocturne jeudi et vendredi jusqu’à 22h. contact@galeriejahidi.com, tmartin@artandtracks.com