Le souffle du burin

F. Gaillard, « Académie masculine », un de ses premiers succès (BnF, Est.)

Du 1er juillet au 5 novembre 2023
Exposition au Musée des Beaux-Arts
Place Philibert-de-Chalon 39000 Lons-le-Saunier
Tél. : 03 84 47 64 30
musees@lonslesaunier.fr

Peu de gens aujourd’hui, que ce soit parmi les amateurs d’estampes ou les graveurs, connaissent le nom de Ferdinand Gaillard (1834-1887), qui est pourtant un de nos plus extraordinaires burinistes, au toucher de cuivre exceptionnel. C’est avant tout un graveur d’interprétation, art disparu mais souvent admirable. Gaillard s’est beaucoup servi de la photographie comme base de travail, mais son burin l’a toujours rendue plus belle (ou moins moche, selon les points de vue).

 Académie masculine », F. Gaillard, détail (BnF, Est.)

Vers le début du mois de juillet, alors que j’étais déjà en vacances loin de Paris, j’ai reçu de la part de Dominique Sosolic, grand buriniste d’aujourd’hui1, à propos de l’exposition Gaillard à Lons-le-Saunier, qu’il a pu voir en voisin, une lettre enthousiaste (écrite à la plume, s’il vous plaît) dont je livre ici quelques extraits : « Cette exposition est exceptionnelle. Nous avons ici 32 gravures parfaitement restaurées, elles nous éclairent sur la technique prodigieuse de ce graveur très réputé en son temps.[…] La scénographie est exemplaire, digne de ce qui se fait de mieux pour les expositions de prestige… à Paris : verres anti-reflet, agrandissements de détails imprimés sur les cimaises.[…] Le catalogue édité pour l’occasion est sans doute, à présent, la référence incontournable pour cet artiste (réalisé dans les règles de l’art !)2. […] L’exposition est enrichie par une importante partie pédagogique, extrêmement bien faite, autour de la gravure (différentes techniques) jusqu’à la litho et la photographie qui commençaient à s’imposer du vivant de Gaillard.[…] J’ai été sidéré de découvrir tout cela, je n’ai pas le souvenir d’avoir vu une exposition consacrée à la gravure d’une telle exigence. Je crains que ça n’attire pas les foules malheureusement… »

Un peu plus tard, je recevais de mon fils Quentin, de passage à Lons-le-Saunier où il devait prodiguer un enseignement sur les arts de l’estampe, le commentaire (électronique) suivant :

« – En bas, c’est les Boucher, en haut : deux Breughel (le jeune), cinq Courbet et l’exposition temporaire. Bonne visite monsieur !
C’est pour l’exposition temporaire que je suis venu, présentant un ensemble de trente-deux gravures au burin de Ferdinand Gaillard. La plupart sont des dons de l’artiste au musée, formant un ensemble complété par quelques estampes léguées par la famille après son décès. L’exposition présente à mes yeux, peu experts en la matière, trois points intéressants.

Il y a, tout d’abord, le travail de taille en lui-même. « Comme graveur, il ne croit pas à sa taille ; il prend autant de peine pour dissimuler son outil que d’autres à en faire parade », dira la critique. On peut effectivement remercier le musée de Lons d’avoir imprimé sur de grands panneaux des détails de certaines estampes, tant, effectivement, le burin semble « souffler » sur la plaque, en évitant les tailles trop visibles. L’ensemble des gravures présentées est donc assez impressionnant.

Le deuxième point que met l’exposition en exergue, à l’insu de son plein gré dirons-nous, c’est la confrontation de ce métier avec les techniques nouvelles qui l’entourent. Sujet qu’on jugera d’actualité. En effet, l’époque veut que le graveur, en tout cas dans les cadres très académiques que sont ceux du prix de Rome et de la Société française de gravure, soit « capable d’exécuter des gravures d’interprétation des œuvres des grands maîtres, afin d’en assurer une plus grande diffusion ». Or, la gravure au burin se voit cernée par la lithographie apparue vers 1798, la photographie inventée vers 1830, , sans parler de l’eau-forte qui demande une taille plus simple mais qui présente les même « lenteurs » d’impression. Que l’artiste copie de grands classiques de la peinture, c’est le principe même du prix de Rome. (Un beau livre sur la gravure en Bretagne au XIXe siècle parle de « traducteurs » à propos de ces graveurs vulgarisateurs.) Pour celui qui comme moi ne connaissait pas cet artiste, on sera d’ailleurs surpris de le savoir appartenir au XIXe siècle, alors que l’affiche de l’exposition présente une de ses copies d’un classique de la Renaissance, « le Condottiere » (Antonello de Messine, 1475). Mais Ferdinand, de façon plus surprenante, grave aussi des portraits à partir de photos. Je connais aujourd’hui des graveuses, des graveurs, qui utilisent la photo comme source d’inspiration ou de documentation. Mais personne qui aurait l’idée de « traduire » une photo en gravure, à l’identique. Et il sera jugé par ses pairs sur cette grande capacité à « restituer l’original », même si l’original n’est pas une figure posant face à lui ou un tableau de Léonard de Vinci, mais une photo.

F. Gaillard, Portrait d’un ecclésiastique, s. d. (BnF, Est.)

Troisième point souligné par les textes accompagnant l’exposition, c’est justement que la gravure au burin est soutenue et encouragée par des instances nationales et académiques : le Prix de Rome en taille-douce est créé en 1803, justement pour faire face à l’apparition de ces nouvelles techniques sans doute jugées moins artistiques ou simplement plus « paresseuses » dans leur façon de se révéler. Il y a là sans doute une source de courage où les artistes graveurs d’aujourd’hui pourront puiser des forces pour l’avenir.

L’exposition se voit complétée par un espace dédié au travail de Dominique Sosolic, buriniste d’aujourd’hui. Un peu à la façon du travail des éditions Gallix, un reportage télévisuel présente l’artiste en son atelier, au travail avec ses outils. Une autre vidéo présente le cabinet de chalcographie du Louvre [« Treize mille cuivres », par Augustin Viatte], où l’on peut assister au tirage d’une estampe [« Agrippine », de Mellan] par François Baudequin.

Un catalogue de l’exposition est disponible sur place ou par correspondance : « Ferdinand Gaillard, le souffle du burin », 111p. 19 € ISBN : 9782918028116 »

Maxime Préaud

1Je me permets de renvoyer l’amateur à mon article, « L’atelier de Dominique Sosolic à Dole ou Le burin philosophe », Nouvelles de l’estampe, n° 256 (Automne 2016), p. 38-47. Sosolic a eu tout un tas de prix mérités.
2Je n’ai pas encore vu ce catalogue, mais je ne doute pas de ses qualités, surtout si j’en juge par l’excellent dossier de presse consultable en ligne, voir : https://www.lonslesaunier.fr › Le musée.
Cependant les curieux n’oublieront pas de consulter, également en ligne (Gallica), l’extraordinaire éloge de Gaillard rédigé au moment même du décès de l’artiste (1887) par Henri Beraldi dans son monumental ouvrage, Les graveurs du XIXe siècle : guide de l’amateur d’estampes modernes, en 13 vol. (voir le t. 6, p. 178-216) ; il décrit 84 estampes de Gaillard. En ligne encore, on pourra lire Caroline de Beaulieu, Ferdinand Gaillard, maître graveur (1834-1887), Paris, 1888. On consultera aussi l’Inventaire du fonds français après 1800 (t. 8, 1954, p. 313-319), rédigé pour le Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale par Jean Adhémar et Jacques Lethève ; il comprend 81 numéros, parmi lesquels de nombreuses épreuves d’état, le tout venant directement de l’artiste. C’est un œuvre aujourd’hui consultable au département des estampes de la BnF.

Le fil de soi

« Fil de soi » rétrospective de Francine Minvieille
17 au 28 juillet 2023
Salle des Sapinettes 17450 Fouras-Les-Bains

Le titre donné à une exposition rétrospective, surtout si l’artiste lui-même préside à son agencement, est un bon révélateur de sa personnalité. Celui choisi par Francine Minvielle, allusif aux Parques de la mythologie grecque et ludique par homonymie, déroule le destin de cette gentille et affable bourlingueuse aux quatre coins du monde qui a posé ses pénates aux rivages maritimes charentais depuis dix ans. Ce fil elle le débobine de la mémoire de son père, rescapé d’un camp d’extermination japonais, à sa sortie de l’école des Beaux-Arts de Versailles à l’heure où certains s’endorment déjà sur la méridienne d’un fauteuil transatlantique. Elle, au contraire, cultive depuis et toujours ses multiples talents. Elle les a ordonnés – n’en perdons pas le fil – dans la petite salle lumineuse des Sapinettes qui jouxte la grande plage de Fouras en une trame où se mêlent plusieurs médias : l’écriture, la photographie, la peinture et l’estampe.

Une partie de l’exposition (Cl. Francine Minvielle)

Toutefois, l’estampe tisse maintenant une part prépondérante dans son travail. Les impressions d’encres sur le papier la passionnent. Elles lui servent surtout à rehausser son expression et non à la reproduire en multiples exemplaires. Comme elle l’affirme : « Il y a l’estampe, mon lien indéfectible avec la gravure que j’ai découverte sur le tard et qui ne me lâchera plus. Ici, dans les deux séries « Méandres » et « Fil de soi », il s’agit plutôt d’apposer dans l’encre un matériau et d’en recueillir l’empreinte sur papier. Ce matériau s’apparente à du textile qui est préalablement déchiré, effiloché et encré pour enfin imprimer la forme picturale souhaitée. Ces impressions sont réalisées sur d’anciennes couvertures de livrets japonais du XIXe siècle dont les écrits encore visibles, sont partiellement et volontairement camouflés. » On l’aura compris, le fil qui relie tous les travaux présentés ici trouve sa source dans le geste de la main qui écrit, dessine ou peint et dont les traces se transcrivent aussi en caractères typographiques dans des livres ou des coupures de presse. La peinture et le monotype viennent ainsi souligner, fixer ou effacer les souvenirs de tous ses discours intérieurs.

« Matricule 3307 » de Francine Minvielle (Cl. Francine Minvielle)

Parmi ceux-ci, celui de l’amour filial n’est pas des moindres. On le sent vibrer dans l’installation « Matricule 3307 » composée d’une quarantaine de feuillets mobiles choisis dans les mémoires écrits paternels. Ceux-ci dialoguent avec les surimpressions de l’artiste qui les révèlent, les subliment ou les occultent. Un livre d’artiste fabriqué en un unique exemplaire les accompagne et en reproduit en cinq monotypes l’essentiel. Comme beaucoup d’artistes d’aujourd’hui, Francine Minvielle transgresse les catégories où l’on clôt trop souvent les disciplines artistiques. Dans cette exposition, l’estampe en unica est devenu ce fil subversif qui court sur toute sa présentation comme sa peinture l’est sur ses kimonos de soie ou ses manipulations d’anciennes photographies. Elles brossent ainsi une sorte d’auto-portrait où les jours s’enfilent paisiblement sur les rivages du pertuis d’Antioche dans la trame de ses souvenirs.

Claude Bureau

Graver la lumière

« La fuite en Égypte » de Rembrandt-Segers (Cl. Guy Braun)

« Graver la lumière – L’estampe en 100 chefs-d’œuvre »
du 5 juillet au 17 septembre 2023
Musée Marmottan Monet 7500 Paris

Il faut absolument faire découvrir à tous ceux qui ne connaissent pas l’art de l’estampe cette très impressionnante exposition. Aujourd’hui où l’image envahit notre espace quotidien, un retour aux sources s’impose. La centaine d’œuvres magnifiquement présentées forme une synthèse de ce qui constitue l’histoire des maîtres de l’estampe. Pour un amoureux de la chose gravée, on y est comme à la maison, tout le monde est présent : Dürer, Rembrandt, Callot, Piranèse, Goya, Bresdin, la plupart des peintres-graveurs de leur époque et j’en oublie. Ce parcours repose sur une double approche de l’estampe, à la fois cheminement historique des préoccupations de chaque période et parcours plus didactique des pratiques de cet art majeur. Ainsi une des dernières salles de l’étage offre un lexique des techniques, illustrées de vidéos et d’une vitrine où sont rangés les outils du graveur.

Une vue de l’exposition (Cl. Guy Braun)

En descendant dans la dernière salle, on découvre l’art de l’héliogravure et son utilisation en photographie. Outre la technique détaillée de l’aquatinte, cette mise en valeur de l’image photographique, surtout axée sur les travaux des artistes américains de l’école Camera Work (Steichen), permet de revenir au thème qui devait éclairer notre parcours : la lumière.

Or, c’est le titre de l’exposition justement qui m’inspire quelques réserves. En effet, le sujet était passionnant mais il s’efface souvent au profit de l’histoire de l’art ou de l’évolution des techniques de l’estampe. Le découpage du très beau catalogue est d’ailleurs révélateur de ces hésitations. De ce point de vue, la section sur le classicisme français est assez déroutante : on y trouve certes Callot (même si je le classe plus volontiers chez les maniéristes aux côtés de Bellange et Juste de Juste), Nanteuil et Mellan (« la Sainte Face »), mais aussi bizarrement Morandi. J’ai noté d’autre part l’absence de la gravure en bois de bout ? Peut-être toutes ces lacunes résultent-elles des choix originaux du collectionneur William Cuendet qui constitua ce premier fonds alimenté ensuite par sa fondation et l’atelier de Saint-Prex (Suisse). Le catalogue révèle d’ailleurs que cette exposition reprend de façon augmentée une exposition de 2017 dont le titre Impressions fortes me semblerait plus cohérent avec l’accrochage.

Une autre vue de l’exposition (Cl. Guy Braun)

Amis graveurs, accompagnez donc vos proches pour leur permettre d’apprécier la richesse de l’exposition et leur éviter de se perdre dans l’abondance des références. Je pense particulièrement à quelques œuvres qui mériteraient des commentaires plus détaillés. Ainsi la découverte de la Fuite en Egypte de Rembrandt perd une partie de son intérêt si l’on ne connaît pas l’histoire de l’appropriation de la plaque de Segers (Tobie et L’ange), grattée et regravée en partie par Rembrandt.

Guy Braun