Microclimats

J’ai plaisir à mentionner ici deux ouvrages qui devraient intéresser les collectionneurs, naturellement dépendants de l’histoire de l’estampe, mais aussi les graveurs qui sont aussi l’émanation d’une histoire, encore qu’ils ne le sachent pas toujours ou ne veuillent pas le savoir. Les deux livres sont l’aboutissement de longues années d’un travail acharné mené par leurs auteurs.

Le premier, intitulé Les graveurs d’Abbeville, est une entreprise totalement abbevilloise. L’auteur, Philippe Tillier, est né dans la cité picarde, et l’ouvrage y a été publié en avril 2022 par la Société d’Émulation d’Abbeville et F. Paillart, éditeur ; pesant plus de deux kilos, il contient 520 pages grand in-4° (58 €) et de nombreuses illustrations, pour la plupart tirées du fonds du musée Boucher-de-Perthes (du nom d’une autre gloire abbevilloise, un des fondateurs de l’archéologie préhistorique et, on l’oublie trop souvent, l’auteur de quelques nouvelles apparentées à la littérature fantastique). Le but de Philippe Tillier était de dresser un répertoire des graveurs originaires d’Abbeville. À tout seigneur tout honneur, il avait commencé ses recherches par le plus éclatant des burinistes, Claude Mellan. Mais il s’est vite rendu compte que cet immense artiste n’était que le premier d’une impressionnante liste de soixante individus qui ont honoré le nom de leur ville natale entre le XVIIe et le XXe siècle, ce qui est, la ville de Paris mise à part (où d’ailleurs la plupart d’entre eux se sont exprimés), tout simplement extraordinaire. Philippe Tillier, à force de recherches dans les fonds d’archives et les bibliothèques, les fait revivre, avec femmes, enfants et production graphique. C’est passionnant.

Le second ouvrage que je souhaite signaler, qui date déjà de quelques années, témoigne lui aussi d’un microclimat favorable à l’estampe, même si la surface considérée est plus étendue que celle d’Abbeville. Je veux parler de la Bretagne. Encore l’auteur se limite-t-il à la gravure en bois (j’écris bien « en bois », comme Jean-Michel Papillon, graveur lui-même et fondateur de la recherche sur ce type de travail avec son Traité historique et pratique de la gravure en bois, paru en 1756 si ma mémoire est bonne ; mais il semble que les Français, plus malins que les autres, sachent creuser en surface, trop forts) ; mais il y a aussi du linoléum. Il s’agit de La gravure sur bois en Bretagne / 1850-2000, publié à Spézet (Finistère), en 2018, par les éditions Coop Breizh. Également grand -in-4°, 320 pages, il doit peser à peu près aussi lourd que le précédent (49 €). L’auteur, Philippe Le Stum, Brestois d’origine, est directeur du Musée départemental breton, à Quimper, ville qui a toujours été un lieu aimant l’estampe. Pour être franc, je n’ai pas encore lu le livre, mais j’ai regardé les images (de Gauguin à Doaré), dont il y a profusion ; c’est magnifique et ça donne plein d’idées.

Maxime Préaud

La Maison enchantée

Félicien Rops, Celle qui fait celle qui lit Musset, héliogravure, 1879

Agathe Sanjuan,
La Maison enchantée, 352 pages
Les Éditions Aux forges de Vulcain, 2022, Bussy-Saint-Martin 77600
20 euros – ISBN : 9-78237305-12-16

Ce joli roman, qui semble spécialement fait pour les amateurs d’estampes, raconte l’histoire d’une collectionneuse. Mais il ne s’agit pas de rencontres amoureuses, en tout cas pas au sens rohmérien du terme. Séduite par une image de Félicien Rops (« Celle qui fait celle qui lit Musset »), la jeune Zoé s’interroge sur les motivations des collectionneurs de toutes sortes.

De fil en aiguille, l’auteure décrit d’une plume généreuse une collection fantasmatique « totale », dont certains pourraient rêver. Zoé cependant connaît ses limites, ses moyens la contraignant à se contenter de l’estampe, ce qui n’est tout de même pas si mal et est pour elle l’occasion de découvrir les richesses presque infinies de ce médium. Après quelques détours, le plaisir d’une eau-forte pleine d’esprit de Jean-Jacques de Boissieu, « Les Grands Charlatans », c’est la contemplation d’une des plus mystérieuses estampes de Rodolphe Bresdin qui met le comble à la satisfaction de Zoé, lui insufflant les développements oniriques les plus complexes. Voilà un bel hommage à Chien-Caillou, joliment écrit.

Jean-Jacques de Boissieu, Les Grands Charlatans, d’après Karel Dujardin,
eau-forte et pointe sèche, 1772

Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir de quelle œuvre de Bresdin il s’agit. Même s’il n’a pas bien saisi le titre du livre, il n’aura pas trop de mal à le découvrir, Agathe Sanjuan dévoilant en fin de volume – faut-il le regretter ? – toutes les solutions aux quelques mystères de son roman.
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J’ajouterai un mot. Au cours d’une promenade récente dans la montagne de Reims, devant les hêtres tortillards qui sont un des ornements de sa forêt il était inévitable que je pense à Bresdin, au point de me demander si ces arbres ne l’avaient pas inspiré dans son travail. Ce que je ne crois pas, finalement. Mais je me suis dit une fois de plus que, s’il m’était facile de rêver, comme Zoé, devant ou dans une estampe de Bresdin, je ne comprenais pas comment faire devant un gribouillage de Hartung ou une oblique de Geneviève Asse (pour ne prendre que ces deux exemples au hasard).

Maxime Préaud

Art & métiers du livre

Art & Métiers du livre
n° 347 (novembre-décembre 2021)
84 pages ISSN : 0758413X

Réaffirmer le cousinage entre le livre et l’estampe relèverait d’une tautologie tant les arts et les métiers de l’une et l’autre sont congénitaux. Il faut donc se féliciter que cette revue, imprimée sur papier et que l’on retrouve à chaque livraison dans les bons kiosques à journaux, accorde une place importante à l’estampe dans ses colonnes. Son récent numéro ne manque pas à cette tradition bien établie par sa rédaction. Dans son sommaire on trouvera : Georges Bruyer – Graver la guerre, Le monde du spectacle d’Henri Landier, Gravures sur bois de Louis Bouquet, Présentation du prochain Salon Page(s), Atelier d’Hélène Baumel et un dossier technique particulier sur trois outils de graveurs.

La qualité des outils nécessaires à la création d’une estampe est essentielle pour obtenir l’œuvre qui correspond parfaitement à l’imaginaire du stampassin. L’outil ne doit pas trahir ni le dessein ni le geste du métier. Gérard Robin, guide séquano-marnais en estampe mais qui sait aussi explorer les arcanes du métier (voir son billet sur « Un baren à billes original » publié ici en novembre 2020) invite le lecteur « Au fil de la Taille-douce » à mieux comprendre l’importance de trois outils utilisés en taille directe. Il s’agit là, mis au point par Rémy Joffrion et François Defaye, d’un « Affûte-burin futé », d’un « Affûte-berceau » et d’une « Oui-canne », ces deux derniers étant notamment destinés aux adeptes de la manière noire. Ce dossier bien illustré par des photographies appropriées est conduit par les questions de Gérard Robin qui permettent aux deux inventeurs et artistes d’expliciter la genèse de ces trois outils, leur fabrication et leur diffusion. Après la lecture de ce dossier, soyons sûrs que ces trois outils trouveront leur place dans les ateliers des burinistes et de ceux qui s’adonnent au métier patient de la manière noire. Ce numéro d’Art & Métiers du livre est en vente dans tous les kiosques à journaux.

Claude Bureau