« Ateliers gravés »

L’espace de l’atelier est un sujet qui inspire de nombreux artistes, qu’ils soient dessinateurs, peintres, graveurs, etc., comme le montre une abondante iconographie accumulée depuis plusieurs siècles. Elle témoigne souvent de l’encombrement, du désordre, du bric-à-brac, voire du capharnaüm qui règnent en ces lieux hantés par la fièvre créatrice. Pour le créateur le temps manque aux rangements. Curieusement ces espaces encombrés sont aux antipodes des expositions artistiques contemporaines qui préfèrent montrer seulement les pépites achevées plutôt que les lieux où elles sont nées. Dans l’encombrement de ces lieux naissent ainsi dans le plus grand mystère des œuvres voire des chefs-d’œuvre.

C’est à ces ateliers que Jörge de Sousa Noronha1, artiste polymorphe, lithographe et éditeur, a consacré un récent ouvrage : « Ateliers gravés ». Dans cet opuscule de 18 x 18 cm, de 48 pages, publié le 22 septembre 2022 aux éditions Point & Marge sous couverture souple ou rigide (à commander par Internet)2, il a fait le choix d’estampes dont le sujet s’attache à ces lieux créatifs au milieu des outils, des machines, des tables, des papiers et bien d’autres choses encore. Il a choisi pour cela des graveurs contemporains dont Stephen Alcorn, Yvonne Bourg, Érik Desmazières, France Dumas, Ariane Fruit, etc.

une page intérieure de « Ateliers gravés »

L’ouvrage comporte une préface de Maxime Préaud intitulée : « Espaces en voie de disparition ». Titre nostalgique tant il est vrai que les ateliers d’artiste, devant l’enchérissement des loyers dans Paris intra-muros, sont relégués temporairement dans les friches industrielles de lointaines banlieues ou définitivement aux lisières de la ruralité.

1 – Pour en savoir plus voir ici : https://jorgenoronha.wordpress.com
2 – Pour commander l’ouvrage voir ici : https://www.blurp.fr/books/11287865-ateliers-grav-s

Claude Bureau

Gaby Bazin

Les éditions MeMo proposent de forts jolis livres, à destination des enfants et des adultes, et on ne peut que louer l’attention portée par la maison à la fabrication de ses ouvrages. Il en est ainsi de ces deux livres de Gaby Bazin. Il est amusant de remarquer qu’alors que l’autrice aborde d’anciens métiers de l’imprimerie, son graphisme est influencé par une technique d’impression d’aujourd’hui, ou plutôt, remise au goût du jour : la risographie1. Peut-être devrait-elle d’ailleurs y consacrer un prochain volume, tant cette pratique, à cheval entre la photocopie et la sérigraphie, s’impose aujourd’hui dans le monde de l’image imprimée. Non seulement offre-t-elle à de nombreux graphistes des possibilités de reproduction peu onéreuses et peu gourmandes en espace d’atelier, mais, d’une certaine façon, et c’est souvent le cas en impression, la machine impose un style à celui qui l’utilise, par son mode de fonctionnement même. C’est ainsi que les livres de Gaby ont cette qualité de jeux de couleurs directes, de superpositions de trames et de décalages qui en font tout le charme.

Ces deux beaux ouvrages permettent aussi de mettre en lumière deux lieux importants pour la pratique actuelle et contemporaine de ces métiers anciens. La lithographe est le fruit d’une résidence d’artiste au musée du pays d’Ussel qui, chaque été, propose une résidence dans son atelier de lithographie – on y trouve aussi un atelier typo. Le typographe a été imaginé au Bief, la Manufacture d’image d’Ambert.

Ces deux lieux valent le détour pour la qualité des collections, des équipes qui y travaillent et leur engagement à faire vivre leurs pratiques sans se laisser happer par un réflexe encore trop fréquent chez certains ateliers, celui du « c’était mieux avant ». Que des dessinateurs en tous genres puissent trouver là des outils en état de fonctionner et des équipes capables de les manier, c’est la garantie que ces pratiques perdurent, s’ancrent dans le présent et offrent à l’image imprimée une présence forte. Dans la même catégorie de lieu ressource, on pourrait nommer le MAI, le musée de l’Imprimerie de Nantes (Nantes, où l’on trouve les éditions MeMo, dites-donc…), mais il y en a bien d’autres encore.

La question de savoir à qui s’adressent ces deux ouvrages n’a pas beaucoup d’intérêt, je l’avoue, mais je me la suis quand même posée ; par leur graphisme et leur narration, ils sont clairement à l’attention d’un jeune public. Par ma pratique pédagogique personnelle, j’ai souvent pu remarquer que peu d’enfants (la plupart des adultes, pas plus) se posent la question de savoir comment les choses sont fabriquées, et les livres en particulier. Mais pour peu que vous commenciez à leur montrer, alors leur curiosité prend le dessus, et vous ne pouvez plus les arrêter d’actionner une presse à épreuve tant qu’ils n’ont pas de l’encre jusqu’aux oreilles ! On peut souhaiter que les efforts de Gaby seront récompensés par de nouvelles recrues dans nos ateliers. Elle a le goût du didactisme et offre, surtout dans La lithographe, une explication très claire de la technique elle-même, pas évidente à comprendre pour un novice.

On sait bien, aussi, que ce sont les parents qui achètent les livres, et ces deux ouvrages leur font des clins d’œil graphiques évidents. Quant à la personne déjà au fait de ces deux métiers, elle pourra agréablement utiliser ces livres pour appuyer sa médiation, et aura plaisir à les voir ainsi mis en valeur en de belles pages colorées, pleines d’outils, d’objets de l’atelier, de mains, de gestes et de postures de l’ouvrier à la tâche.

Quentin Préaud

Nota Bene :
Gaby Bazin, La lithographe, Nantes, Éditions MeMo, 2021, (non paginé [34] p.), ill. en coul. ; 25 cm (16 €)
Gaby Bazin, Le typographe, Nantes, Éditions MeMo, 2022, (non paginé [36] p.), ill. en coul. ; 25 cm (18 €)
Éditions Memo : http://www.editions-memo.fr
La Manufacture de l’image d’Ambert : https://www.lebief.org/
Le musée du pays d’Ussel : http://www.ussel19.fr/musee/imprimerie/
Le MAI :
https://musee-imprimerie.com/actualites/
1Deux ateliers de risographie :
À Paris, l’atelier Quintal : https://www.quintalatelier.com/
Dans la Drôme, par exemple, mais on en trouve partout en France, l’atelier Système sensible : http://www.systemesensible.fr/

 

Les « Nouvelles… »

Depuis 2018, les responsables des « Nouvelles de l’estampe » ont abandonné le papier comme support imprimé et décidé de les fixer exclusivement sur le réseau Internet. Ceci peut sembler paradoxal mais le faible nombre d’abonnés, le peu de recettes publicitaires et le coût de la reproduction des images avaient alors creusé le déficit de la revue malgré le soutien que lui apportait la BnF. Ils expliquèrent ainsi le bien fondé de cette décision. Le numéro 261 de la revue, dernier numéro imprimé sur papier, avait d’ailleurs publié sur sa première de couverture la reproduction d’une très belle vanité gravée.

Fondée en 1963, Jean Adhémar, directeur du Cabinet des estampes de la BN, expliquait : «  …je me trouvais en possession de toutes les informations possibles, et celles concernant mon métier, mon intérêt le plus grand, ne me servaient à rien. C’est alors que j’eus l’idée des Nouvelles, sorte de bulletin de liaison. Je me décidai donc à le publier sous l’égide du Comité national de la gravure, où je trouvai un appui moral important mais un appui financier nul. Je sortis donc de ma propre autorité et avec quelques menus prodiges d’ingéniosité une revue envoyée gratuitement, douze numéros par an. » En 1971, Michel Melot la transforme en une véritable revue bimestrielle imprimée, ensuite Gérard Sourd étoffe sa table annuelle avec des numéros thématiques et, en 2010, Rémy Mathis lui donne avec quatre numéros par an et des tirés à part le visage qu’elle avait avant sa transmutation sur Internet en 2019.

En 2019, l’impression sur papier abandonnée, les « Nouvelles de l’estampe » sont donc mises en ligne sur le portail internet « Journals OpenEdition » qui publie des revues universitaires et scientifiques. On peut alors retrouver en libre accès ses numéros publiés de 2009 à aujourd’hui. Les numéros antérieurs restant quant à eux disponibles dans la base de données « Gallica » de la BnF. Depuis 2019, six numéros de sa nouvelle formule sont consultables sur le portail Internet : « Journals OpenEdition ». Le dernier numéro paru en ligne, le n° 267 – printemps 2022, est essentiellement consacré au compte rendu de la journée d’étude qui se déroula le 21 juin 2021 à l’INHA de Paris et dont le thème était : « L’estampe, un medium coopératif : graveurs, imprimeurs, éditeurs entre 1890 et 1930 ». Thème qu’on pourrait décliner en France à notre époque où la population des trois acteurs cités tend à diverger considérablement et celle des deux derniers à se réduire comme peau de chagrin. On peut cependant aussi y lire quelques articles consacrés à l’estampe d’aujourd’hui. La revue « Nouvelles de l’estampe » est donc toujours et dorénavant disponible en libre accès à l’adresse suivante : https://journals.openedition.org/estampe/

Claude Bureau