La main qui…

« La main qui trace… La main qui grave… »
21 octobre – 7 novembre 2021
Galerie « L’entr@cte »
3-5 rue de Versailles 92410 Ville d’Avray

L’exposition qui vient de s’achever à la galerie « L’entr@cte » de Ville d’Avray met à l’honneur la main ouvrière de l’artiste à qui, du moins sur le visuel de présentation, une autre main, divine peut-être, confère le pouvoir créateur. Cette rétrospective, balayant quelques décennies du travail de Claude Bureau, met aussi en scène ce qu’on pourrait appeler l’amitié artistique, groupement de collègues et amis graveurs ou dessinateurs autour de thématiques définies par l’artiste. La réunion de ces œuvres souligne le goût éclectique de Claude Bureau et son intérêt évident pour toutes les techniques de l’estampe, y compris celles qu’il ne pratique pas lui-même. Pour chaque thème, ou pôle, les œuvres sont en symbiose ou en opposition, éclairages ou antagonismes révélateurs.

Ce qu’on ressent d’abord en regardant certaines gravures de Claude Bureau, c’est la puissance de l’intention, la force du projet. Par exemple, dans la série « Cauchemar urbain » (pôle Architectures) dont quatre estampes ont été exposées à l’Espace Simone Veil de Chamalières, lors de la récente Triennale. Des compositions d’une ambigüité inquiétante, dont la perspective plus ou moins vraisemblable est souvent vertigineuse.

Une vue d’une salle d’exposition (Cl. Éric. Fourmestraux)

Sans doute en rapport avec la formation de l’artiste, on remarque dans les travaux de Claude Bureau un goût certain de l’abstraction et une sorte d’obsession mathématique. La violence élégante des « Métamorphoses », les énigmes visuelles de « Subversions du cube » sont autant de pièges dans lesquels le spectateur se laisse prendre et engloutir. Dans le « Quadrille rotatif », seize silhouettes de coureurs athlétiques, échappés d’une amphore grecque à figures noires, semblent enfermés dans un labyrinthe carré sans limites dont nul ne voit l’issue. (pôle Carrés cubiques)

La recherche géométrique n’est pas absente des paysages au charme intemporel qui sont aussi un terrain d’élection de l’artiste. Compositions stylisées, épurées, de petits formats, dans lesquelles s’évade volontiers le regard. Dans la série des « Panaches », Claude Bureau, saisissant la banalité ou même la laideur d’un phénomène physique, le convertit en objet esthétique convaincant.

On ne peut évoquer le travail de Claude Bureau sans mentionner son humour. Humour des textes de présentation, recherche du vocable rare, de la tournure peu usitée, mais précise, verve tonique, font partie des modes d’expression de l’artiste. Pour les « Gyotakus épargnés » (pôle Bestiaires), déclaration verbale et images se rejoignent en une joyeuse sarabande.

Vue d’une autre salle d’exposition (Cl. Éric. Fourmestraux)

Le catalogue des œuvres de Claude Bureau, estampes, dessins et textes, résume la quête de l’artiste, sa large exploration des objets artistiques et la puissance de son inspiration. Réalisés courageusement par certains membres de la communauté qu’il a réunie, les portraits de l’artiste, dont la variété, sinon la pertinence, étonne, sont le témoignage d’une chaleureuse amitié gagnée autour de l’estampe et de sa mise en valeur associative.

Josiane Guillet

Nota bene : ont été invités à participer à cette exposition : P. Vella, P. Simonet, A. Sartori, Z. Rajaona, M. Préaud, A. Paulus, D. Moindraut, B. Kernaléguen, F. Jeannet, G. Jahan, C. Gillet, C. Gendre-Bergère, É. Fourmestraux, J. Dumont, J.-P. Colin, R. Burdeos, H. Belin, M. Atman, D. Aliadière et exceptionnellement Jean Mulatier.

Synchronies invisibles

« Synchronies invisibles »
Fondation Taylor
1 rue La Bruyère
75009 Paris
du 5 au 28 septembre 2019

Fidèle à son goût pour les manifestations internationales, l’association « Graver Maintenant » a conçu, avec l’université Feevale de l’État de Rio Grande do Sul, un projet d’échanges France – Brésil dont le résultat est une singulière exposition.

Superbement installée dans l’atelier des quatrième et cinquième étages de la Fondation Taylor, Synchronies Invisibles intrigue le visiteur. S’il n’est pas averti, il sera sans doute troublé au premier abord, comme le suggère la première de couverture du catalogue.

Vue plongeante de l’atelier (Cl. Josiane Guillet)

L’accrochage propose des groupes de trois unités : une gravure encadrée (qui figure sur la « bonne page » du catalogue), une seconde gravure sans cadre, et un fragment de gravure dont on se rend assez vite compte qu’il est un extrait de la seconde. Le cartel indique d’abord le nom de l’artiste dont l’œuvre est encadrée, et, en dessous, celui de l’autre estampe. On s’interroge sur la raison d’être du fragment, puis germe l’idée qu’il y a un lien à découvrir entre l’œuvre encadrée et ce morceau d’estampe.

Le spectateur tente alors de reconstruire le parcours de l’artiste qui a reçu l’extrait original d’une gravure inconnue et en a fait, chacun à sa manière, le point de départ d’une nouvelle œuvre. La lecture des œuvres devient aussi stimulante que le défi représenté par ce carré dont on devine qu’il a pu susciter, après examen attentif et décryptage technique, perplexité, agacement ou enthousiasme chez le destinataire.

Trois des trente-deux œuvres accrochées (Cl. Josiane Guillet)

Se projeter dans le carré, chercher des indices et des correspondances, mobiliser son énergie créatrice pour être, parfois, entraîné loin des chemins habituels ; chacun des trente-deux artistes a rédigé un texte qui témoigne de son expérience. La Brésilienne Lurdi Blauth, initiatrice du projet, a repris la couleur, abandonnée depuis une décennie, en travaillant à partir de l’extrait de gravure de Dominique Moindraut. L’urubu de Clair de lune de Nara Amélia Melo da Silva entre en résonance avec l’image spéculaire d’Isabel Mouttet. L’estampe de Christine Gendre-Bergère, inspirée par le contexte champêtre d’Arlete Santarosa, dénonce l’usage mortifère des pesticides en détournant un tableau de Courbet. Michèle Atman s’attache au jeu du blanc et du noir de la Brésilienne Clara Bohrer pour exprimer sa propre dialectique du « blancgrisnoir ». Marinês Busetti adopte le carré de Pascale Simonet pour en faire le module de création d’une matrice complexe.

Le flou se dissipe progressivement dans le regard du visiteur, les liens apparaissent, les images se combinent, les synchronies se dévoilent (ou non) et la quatrième de couverture du catalogue, métaphore de la visite, devient alors lisible.

Josiane Guillet

Métamorphose du vide

« La taille d’épargne
Métamorphose du vide »
Exposition de Graver Maintenant
19 janvier – 17 février 2019
Salons d’exposition de l’hôtel de ville
8E av Charles de Gaulle
785170 La Celle Saint-Cloud

Les artistes de l’association Graver Maintenant et leurs invités, dont deux graveurs brésiliens, présentent leurs œuvres dans une exposition consacrée à la taille d’épargne dont le sous-titre ambitieux, «métamorphose du vide», interroge le visiteur. Dans la vaste salle principale d’exposition de l’hôtel de ville de La Celle Saint-Cloud et dans les trois salles adjacentes, chaque artiste bénéficie d’un large espace mural ou volumétrique. Le déploiement des œuvres est servi par une scénographie habile soulignée par un remarquable travail d’éclairage.

Une vue de l’exposition (Cl. Claude Bureau)

La taille d’épargne consistant à creuser la matrice, à retirer de la matière, à créer du vide, quelles métamorphoses du vide l’artiste rend-il sensibles ? Le défi qui est proposé ici est, en somme, l’exploration du vide. «Il me semble toujours que le vide n’existe pas vraiment», dit à sa Mère-grand l’enfant du conte écrit par Michèle Atman en guise de cartel, «si tu fixes attentivement une surface blanche, tu peux y voir une multitude de choses qui n’attendaient, en embuscade, que notre regard pour se révéler».

En est-il ainsi de l’espace blanc flexible contenu entre les deux gravures linéaires de Brigitte Pazot ? Du noir que suggèrent les «Trois-quarts» de Dominique Aliadière ? Du gouffre marin rougi du sang des migrants, dont chaque bouteille en hors-champ contient un message paradoxal, de l’œuvre que signe Ana Sartori ? Des harmonies roses et orangées des estampes sculptures (textiles, papiers, gaufrages) présentées par Marie-Noëlle Deverre ? Des surfaces moirées délimitées par les architectures de Rosa Burdeos ? Ou des cercles bleus de dentelle d’un univers féminin dont la mémoire s’efface doucement, dans le travail de Sophie Domont ?

L’œuvre d’Ana Sartori (Cl. Alain Cazalis)

Mais, revenons à notre conte : «…ce fichu vide, c’est un caméléon qui prend les couleurs ambiantes pour s’y fondre et leurrer son monde». S’il ne s’agit pas toujours d’un leurre, il s’agit pour chaque artiste d’orchestrer une disparition et de jouer sur la rémanence pour mettre au jour ce qui lui importe. Le vestige du panier tressé japonais d’Anne Paulus, les traces du Catalogue des Catalogues de Pascale Simonet, le geste révélateur et la poussière de bois qui «redonnent corps» aux enfants juifs déportés de l’école Vicq d’Azir (Eric Fourmestraux) : autant de signes d’une volonté de sauver de l’anéantissement. Comme la «re-pousse» possible des branches d’Antonio Augusto Bueno, le végétal «barrière à la folie humaine» des estampes d’Isabelle Béraut, les images d’Alain Cazalis qui débordent du cadre pour s’installer en pyramide de boîtes vides et en accumulation de déchets dénonciateurs, le vide se métamorphose en signes pleins porteurs de sens et de messages.

Le catalogue de Pascale Simonet (Cl. Alain Cazalis)

Le visiteur attentif de cette manifestation riche d’œuvres variées, complexes et originales, se trouve confronté à l’un des fondements mystérieux de la création plastique, la question du vide et du plein.

Josiane Guillet

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