Album d’Hélène Nué

« Le monde rêvé d’Hélène Nué » (couverture de l’album)

Hélène Nué nous a quittés en septembre 2022. Quelle perte immense pour le domaine de l’estampe, celle véritable, car sans artifice, où l’outil burin est, sous la main experte et sensible, le seul acteur de chaque création, avec l’artiste bien sûr ! Hélène était un personnage discret, intimement secret, et qui ne se révélait vraiment qu’au travers de l’image, de ce qu’elle souhaitait partager avec l’autre. Et cela avec une souplesse du burin sans pareille pour tracer les lignes sensibles et fluides des tailles, révélant les visions de son imaginaire au service de la beauté pure.

Il fallait un livre comme celui-ci pour évoquer l’univers pictural de l’artiste, où on est plongé, comme le titre de l’ouvrage le suggère, dans le rêve, et pour cela même hors une acuité visible du trait de burin. Le rêve demande qu’on s’en écarte, que l’imprécision intervienne en sourdine. L’effet est réussi. Merci à Jacques Pierre et à Jean-François Chassaing, président d’honneur de l’AFCEL, de nous proposer, sur un beau papier, cette ode graphique à son souvenir, et offrir à Hélène une quête d’immortalité, sans qu’il en soit de sa volonté.

Cet ouvrage n’est pas un catalogue raisonné. Pour un accès léger et agréable à la découverte, les données techniques, qu’elles concernent la manière utilisée, essentiellement le burin, où les dimensions des planches, ne sont pas formulées. De même qu’Hélène reste effacée dans son parcours artistique, ponctué des nombreux salons où elle participa et surtout des nombreuses distinctions qui lui furent attribuées. L’essentiel ici est l’évocation de son œuvre gravé et de l’univers de ses perceptions profondes et intimes, exprimé selon les quatre volets : la création libre, la carte de vœux, l’ex-libris et l’illustration de bibliophilie. La numérotation des pages est aussi absente, pour ne pas perturber le voyage. Mais de nombreux hommages de ses pairs accompagnent les images, ponctuées par un émouvant témoignage de Jacques.

“Eclosion” (n°22 – 1988) Choix de C.M.L. France – Nemours
pour une carte de vœux

Que pourrais-je ajouter, sinon l’importance qu’Hélène a eue me concernant, car elle fut à la base de ma découverte de la gravure, en partenariat avec un autre graveur d’exception, Jean-Marcel Bertrand : elle, avec le burin sur cuivre, lui, avec le burin sur bois de bout. Ancien élève, comme moi, de “Vaugirard”, la fameuse école de photographie-cinéma devenue plus tard l’ENS Louis Lumière, c’est Jacques, avec qui j’avais des relations professionnelles, qui m’avait proposé le rendez-vous.

La gravure originale m’était inconnue, alors que je m’engageais dans une action nouvelle visant à sensibiliser l’Entreprise au vecteur des arts plastiques : peinture et sculpture… pour valoriser les actions de communication, les cadeaux d’affaire, la décoration des locaux… Cette rencontre, si mes souvenirs sont bons, eut lieu en septembre 1988 ; elle a été à la base de mon engagement dans le domaine stampassin, et de la révélation de cet univers graphique si riche de techniques et d’artistes remarquables.

Ex-libris « Cachou » (état, 2007)

L’une de ses gravures, un ex-libris qu’elle ne voulut pas signer et donc éditer, car il ne la satisfaisait pas, est le signe de son exigence. Malgré cela, pour le souvenir, mais bien sûr pas seulement, elle accompagne chacune de mes conférences sur l’estampe. Pardon Hélène de cette présence imprévue mais chargée de reconnaissance et de pensée fidèle, espérant que tu ne m’en tiendras pas rigueur de là où tu es maintenant.

Gérard Robin

Nota bene :  « Le Monde rêvé d’Hélène Nué – gravure », album imprimé sur les presses de Prim Service, Metz. Format 310 x 310 cm, 156 pages, reliure rigide, dos piqué. 327 reproductions de gravures avec, en quatrième de couverture, une aquarelle, celle du portrait d’Hélène par Willy Lambert. AFCEL – Collection “Connaissance de l’ex-libris”. AFCEL Éditeur, 2023, ISSN : 1158-3541.
Prix : 65 €, frais de port : 8 €, à commander à l’éditeur.  Á l’achat, possibilité de don conjoint à l’association ; la contacter pour cela :
AFCEL – Bibliothèque municipale, 13 rue des Écoles, 55300 Saint Mihiel. www.afcel.com

Artistes français 2023

Un espace du Salon des Artistes Français (Cl. Gérard Robin)

Salon des Artistes Français 2023
Grand Palais Éphémère, Paris
15 – 19 février 2023

Coronavirus oblige, je n’avais pu me rendre, en février 2022, à « Art Capital ». Cette année fut donc pour moi la découverte de l’espace du « Grand Palais Éphémère », conçu par l’architecte Jean-Michel Wilmotte. Installé place Joffre sur le Champ de Mars à Paris, il s’ouvre d’un côté sur l’École militaire et de l’autre fait face à la Tour Eiffel. Constitué de 44 arches monumentales culminant à 20 mètres, il offre un espace très agréable. Ce lieu accueille pour la deuxième fois les quatre salons d’art fusionnés depuis 2006 : “Artistes Français” (plus de 600 artistes exposés), “Artistes indépendants”, “Comparaisons” et “Dessin Peinture à l’eau”.

C’est bien sûr le premier salon qui nous intéresse, dans son 233e opus, puisqu’il renferme une grande section “Gravure”, qu’il ne faut pas manquer.Cependant, dans l’éditorial du catalogue, le président de la « société des Artistes Français », Bruno Madelaine, évoque en marge du succès continuel de la manifestation un pessimisme préoccupant, précisant : « Cependant, force est de constater que le Ministère de la Culture se désengage depuis plusieurs années en nous réduisant son aide financière pour nous forcer au silence et nous faire disparaître de la scène artistique. » Des propos incisifs, y ajoutant lors des remerciements : « Nous regrettons que Madame la Ministre de la Culture et de la Communication nous ait refusé son soutien et son éditorial, contrairement à beaucoup de ses prédécesseurs qui l’avaient fait ».

Quittant la politique et les interrogations qu’elle pose, nous pénétrons dans le hall immense où l’art, sous ses diverses formes, jaillit de la lumière. Dépassant la section photographie, nous entrons dans celle de la gravure. Nous y retrouvons cette atmosphère particulière où l’intimité des œuvres se dévoile à loisir au regard des visiteurs. Nous sommes en semaine, le public est là mais sans excès, une présence qui ménage à la fois le plaisir des rencontres et l’observation sans contrainte des cimaises. Des estampes dans une grande diversité créative. Bien mises en scène sur les cimaises, elles répondent à un choix original de présentation, ― reconduction picturale de l’année précédente ―, des organisateurs : le président Guy Braun, fin connaisseur et praticien des différentes “manières”, et Isabelle De Font-Réaulx, taille-doucière voyageuse et présidente de l’association « Pointe et Burin ».

Panneau Guy Braun – Caroline Lesgourgues (Cl. Gérard Robin)

Une finalité visant à éviter de grouper les créations d’un artiste autour de sa signature et au contraire de les alterner sur leur panneau, dans un souci d’harmonie et même parfois, pourquoi pas, de rupture. Cela afin de ne pas enfermer le regard dans un style et inciter à un parcours destiné, comme le souligne Guy, à « créer une narration ». Le mélange est singulier mais fonctionne, mettant en relief l’imaginaire des uns et des autres. L’élément complémentaire, qui permet de bien comprendre et apprécier le travail stampassin, est aussi la présence çà et là, de matrices voisinant leur tirage. Pour le néophyte, la compréhension de l’estampe est là, à défaut de démonstrations, peu réalisables dans ce type de manifestation. Autre plus, la présence de cartons d’estampes présentes en cimaises ou non, complétant l’accrochage et offrant une meilleure connaissance de l’œuvre gravé d’un artiste, un choix d’acquisition plus large pour les amateurs intéressés.

Judikael, cuivre et estampe (Cl. Gérard Robin)

A noter que nombres d’anciens médaillés sont présents en cimaises. Médailles d’honneur : Yves Marchaux, Guy Braun, Manuel Jumeau. Médailles d’or : Isabelle de Font-Réaulx, Nicole Guezou, Frédérique Galey-Jacob, Diane Latrille. Médailles d’argent : Judikael, José Luis Giambroni, Caroline Lesgourgues, Armelle Magnier, Aleksei Bobrusov, Nayla Hitti, Hélène Midol. Médailles de bronze : Yoshiko Obata, Isabelle Delamarre, Jyce, Marianne De Nayer, Yannick Dublineau, Jullien Clément, Jacques Meunier, Alexey Akatiev, Jim Monson, Nelly Reymond, Jean-Pierre Ritz.

Cette année, les médailles 2023 ont été décernées, pour l’or à Caroline Lesgourgues, pour l’argent à Marianne De Nayer, Yannick Dublineau et pour le bronze à Nicolas Prod’homme, Bruno Spadaro, Michèle Vinzant. Quatre distinctions ont été par ailleurs attribuées : Prix Taylor à Nayla Hitti et Manuel Jumeau, Prix Hahnemühle à Michel Cailleteau, Jyce, Jacques Meunier, Jean-Pierre Ritz, Prix Charbonnel à Jean-Marie Munier, Prix Lucien et Suzanne Jonas à Hyang Sook Jo et Prix Art & Métiers du Livre à Jeannine (Jeanne Montadon).

Et comment ne pas citer les intervenants non récompensés : Jeanine, Jo Hyan Sook, Sébastien Lacombe, Marhiester, Lena Mitsolidou, Asako Nagasawa, Paz Borquez-Chevallier, Nicolas Camille Prod’homme, Corinne Rod, Bruno Spadaro, Michèle Vinzant, Ziyu Zhou.

Pour conclure, nos compliments aux organisateurs pour le travail fourni et la qualité de leur section, qui ajoute sa réussite aux trois autres : peinture, sculpture et photographie. Un ensemble qui devrait sensibiliser les pouvoirs publics à soutenir la présence artistique hexagonale, essentielle à l’équilibre de notre société en la période difficile et incertaine que nous vivons.

Gérard Robin

Hommage à Folon

« Lointains un Homme » (suite Lointains) – 1986
Eau-forte et aquatinte (Cl : Gérard Robin)

« La Gravure dans tous ses états »
Salle de la Sablonnière
rue de la Cave de Châtenoy 77140 Larchant
du 5 au 20 novembre 2022

Dans le cadre des « Rencontres de Larchant en pays de Nemours », une manifestation ambitieuse et réussie que celle proposée par Laurence Manesse Césarini et la mairie de Larchant, village rural du Sud Seine & Marne (77140), qui enserre une basilique remarquable, et qui fut jadis, à l’époque médiévale, un relais d’étape sur la route de Compostelle. Et sous le titre : « La Gravure dans tous ses états », fut donné un bel hommage à Jean-Michel Folon, avec présentation de 46 estampes (en partie sous la forme d’état ou de bon à tirer) et des vitrines renfermant divers objets portant son empreinte graphique.

Deux espaces étaient dédiés à l’artiste, un troisième étant consacré à un ensemble de onze planches sur l’historique de la gravure, de son lointain passé à aujourd’hui, le temps présent s’exprimant de surcroit au travers de quelques tailles d’épargne à la gouge sur le Jazz dues à Stéphane Lalou, dernier graveur de Folon, ainsi que de portraits d’écrivains par Pierre Colombier, gravés dans une liberté technique plurielle très personnelle, cela en correspondance avec leurs écrits.

De g. à dr. : Pierre Colombier, Gaëtan Saint-Rémy, Daniele Folon, Stéphane Lalou, Laurence Manesse Césarini et Vincent Mével. (Cl. Gérard Robin)

Lors du vernissage, en présence de Danièle, la sœur de Folon, du maire Vincent Mével et de diverses personnalités du département, le public fut nombreux et séduit, une audience qui perdura dans les diverses séquences de la manifestation, avec entre autres : de la musique avec le quatuor à cordes Zadkine lors du vernissage, des démonstrations de gravure, une conférence intitulée « Quand Semprun retrouve Folon, il est question de Walter Benjamin », donnée par l’organisatrice, dissertant sur l’authenticité de l’œuvre d’art ; une performance en musique, « La geste du graveur », signée Stéphanie Hésol et Sergio Capasso. Mais aussi la visite de grottes ornées à proximité, qui nous ramènent aux premiers gestes de gravure, sans doute au Mésolithique… Déjà tout un programme de qualité, en l’honneur du maître !

On sait que Jean-Michel Folon (1934-2005), ayant quitté la capitale, vécut un certain temps à Burcy, petit village situé non loin de là. Depuis plusieurs années, l’église est ornée de vitraux dont il a dessiné les motifs, cadeau fait au village en échange de la destruction du château d’eau jouxtant celle-ci. Mais le point d’orgue de l’hommage fut la projection, en avant-première en France, les 6 et 19 novembre, ― la première mondiale ayant eu lieu en mars dernier au FIFA de Montréal ―, d’un portrait intime et singulier de l’artiste, documentaire réalisé par l’auteur et réalisateur Gaëtan Saint-Rémy, et projeté en sa présence.

« Janvier 1992 (détail) », Eau-forte avec aquatinte, (Cl. Gérard Robin)

Une évocation qui donne parole à l’artiste, dans une narration cinématographique qui ne se veut pas classique et organique, c’est-à-dire basée sur une chronologie sur la vie et l’œuvre, mais recomposée selon le choix de l’auteur au travers d’archives radio et télévisuelles. Une démarche personnelle, mais dans un choix d’images et de sons choisis pour exprimer, d’une manière plus profonde, la sensibilité de l’artiste, et d’opérer finalement pour le public une rencontre intime avec lui. S’y ajoutent les commentaires de proches, comme Danièle Folon et Colette Portal, sa première épouse, ainsi que de personnalités qui l’ont bien connu comme Rufus, Pierre Alechinsky,… ou encore la galeriste Cristina Taverna, qui dit qu’ « il y a dans son œuvre un silence qui parle beaucoup »

Et Jean-Michel Folon de se raconter dans sa découverte de la maison de Burcy, un lieu en bordure de champs dont il apprécie justement le grand silence avec son atelier ouvert sur la ligne d’horizon. Cadre propice à une création où les couleurs généralement en légèreté et transparence disent souvent des choses plus graves qu’elles n’y paraissent, des couleurs dont il aime aussi qu’elles se rencontrent jusqu’à vivre ensemble des instants d’amour. Cela avec la volonté, dans un monde où se côtoient l’injustice et la laideur, mais aussi la beauté, de choisir cette dernière pour rester positif et surmonter les drames personnels de la vie et participer à lutter contre ceux sociétaux, lorsqu’ils se présentent…

Un grand personnage, aux multiples facettes, tout de simplicité et d’empathie pour autrui, que j’ai eu le privilège, il y a bien des années, de rencontrer à Burcy et de l’interviewer. Un souvenir à partager, peut-être… (voir ci-dessous1)

Gérard Robin

1L’entretien avec Jean-Michel Folon a été publié en 1997 par la revue municipale de Saint-Pierre-lès-Nemours, pour en télécharger le facsimilé au format PDF cliquez sur ce lien : https://www.manifestampe.net/public-doc/Entretien-Folon-Robin.pdf