Noirs et Couleurs

« Noirs et couleurs »
La taille et le crayon
Fondation Taylor
1 rue La Bruyère 75009 Paris
4 au 27 octobre 2018

Ce mois d’octobre 2018, la Fondation Taylor à Paris se distingue et brille des couleurs d’artistes plasticiens notoires, tels les peintres, Esti Levy et Ljubomir Milinkov, et le sculpteur, Zheng Zhen Wei. Une belle découverte plurielle à faire, s’y ajoutant les noirs de l’une des grandes signatures de l’estampe : Nathalie Grall.

Nathalie Grall : « Le minois du minou »,
roulette électrique et burin sur chine appliqué (Cl. Gérard Robin)

Celle-ci offre au regard, sur les cimaises du rez-de-chaussée, un florilège de ses créations, des plus anciennes aux plus récentes, plus d’une trentaine de gravures, où excelle le burin, ici et là allié au diamant ou au berceau et au grattoir. De l’efflorescence de signes à des silhouettes élégantes et fluides, de « L’envolée de l’embellie » à « Le minois du minou », tout un imaginaire sensible qui chaque fois enchante. Ainsi qu’elle l’écrit : « Être graveur, c’est pour moi un moyen de capter les signes fugitifs de la vie et de les transcrire sur le cuivre ». Une gravure originale, qui porte sa griffe quelle que soit la diversité graphique des créations, et où elle est sans doute plus peintre que dessinatrice. Car ne dit-on pas qu’elle aime porter son dessin, directement sur le cuivre, à l’aide du pinceau et de la gouache, pour ensuite figer la spontanéité à l’outil de taille ?

Kiyoshi Hasegawa : xylogravures (Cl. Gérard Robin)

Ensuite, dans l’atelier, au quatrième étage, « Noirs et couleurs » sont un autre grand rendez-vous à ne pas manquer, proposé par « La taille et le crayon » et concocté par son nouveau président, Carlos Lopez, et son équipe. Sous ce titre même, autour d’un hommage à Kiyoshi Hasegawa, – présent au travers d’un bronze sculpté par Georges-Louis Guérard en 1973 -, et dont on découvre des gravures inédites en taille d’épargne de la période 1913-1932, six invités sont à découvrir ou redécouvrir.

Vue partielle de l’exposition (Cl. Gérard Robin)

Ainsi : Baptiste Fompeyrine, auteur de belles images colorées qui mettent en scène, – comme lui-même l’écrit -, les figures et les mystères qui peuplent ses jardins de souvenirs.
Didier Hamey, dont la pointe sèche génère, au travers du plexiglas initial, des scènes oniriques et surréalistes, toutes empreintes de poésie, où souvent flirtent ou s’épousent l’animal et le végétal.
Dominique Neyrod, touchée par la nature dans ses rythmes, ses structures et ses teintes, des perceptions qu’elle exprime avec vigueur, telle la peintre qui sommeille en elle, au travers des eaux-fortes au trait et de teinte.
Sylvain Salomovitz, dont les tailles d’épargne sont un peu à l’image de ses aquarelles, denses et fortes, et dont il maîtrise l’impression tant à la presse qu’au frotton et même à la cuillère.
Raúl Villulas, également adepte de la taille d’épargne, celle du bois de fil dont il ne refuse pas les défauts de structure, pour accompagner ou renforcer des évocations de caractère, où l’élément humain croise parfois des oiseaux à l’apparence hitchcockienne.
Suo Yuan Wang, orfèvre de cœur, qui transcrit son imaginaire en taille-douce, par l’eau-forte au trait et de teinte, cela dans une expression dynamique indéfinissable, sublimée par le noir ou le gris des fonds, dans des compositions qui semblent des méditations, que l’on imagine culturellement inspirées des fondements d’espace et de temps qui composent notre univers.

Gérard Robin

Un après-midi à Paris, de Mucha à Abeille…

Pour l’amateur d’estampes que je suis, ce 20 septembre fut marquant.

De Mucha

Alphonse Mucha
Musée du Luxembourg
75006 Paris
du 12 septembre 2018 au 27 janvier2019

La promenade commença au Musée du Luxembourg avec un parcours au fil de la vie d’Alphonse Mucha [1860-1939], cet artiste tchèque incomparable, prolifique et talentueux au possible, superbe dessinateur dont le style devint au début du XXe siècle synonyme de l’Art nouveau naissant. Concocté par le commissaire de l’exposition, Tomoko Sato, conservateur de la Fondation Mucha à Prague, on suit Mucha avec bonheur, au travers d’une belle scénographie, de sa bohème à Paris, où il rencontra Sarah Bernhardt, qui sera le sujet de sa première affiche lithographiée, – une création dont le style graphique bouleversera l’esthétisme de l’époque -. Et, on le découvrira : cosmopolite, mystique, patriote, artiste et philosophe. C’est là un portrait vraiment fascinant, illustré d’œuvres et de documents majeurs !

« Rêverie » [1897] – extrait
Alphonse Mucha
Lithographie

Et, de quitter le lieu, en particulier pour moi, – car il y a tant de choses à découvrir -, la tête pleine de lithographies où rayonne la femme, dans toute sa beauté et sa féminité. Du rêve à l’état pur…

à Abeille

Galerie Thomé
19 rue Mazarine
75006 Paris
du 20 septembre au 6 octobre 2018

Ensuite mes pas me conduisirent non loin, passée la place de l’Odéon, vers la rue Mazarine, avec en son milieu l’ouverture d’une nouvelle galerie : la Galerie Thomé, d’André et Bérengère Sinthomez. Pour l’inauguration, initiée avec le sculpteur et correspondant de l’Institut Gualtiero Busato, deux personnalités de l’art : le peintre Patrick Devreux et le sculpteur et académicien Claude Abeille, ce dernier y ajoutant… des gravures ! Si Claude Abeille présente des bronzes évocateurs sans doute de personnages en interrogation sur le réel, sous des formes aux élancements torturés et empreints d’une grande intériorisation, ses burins expriment picturalement une même force, évoquant dans leur état d’être ici « L’arpenteur », là « Le professeur », ou encore, ailleurs, un « Piano ». Une relation plastique symbiotique entre les trois et deux dimensions. Cette ouverture à la gravure, nouvelle dans l’esprit des galeristes, a trouvé un prolongement judicieux et remarquable dans l’invitation d’une troisième personnalité : Claude-Jean Darmon, correspondant de l’Institut, section gravure, et président de la gravure du Salon d’automne à Paris.

« L’Arpenteur »
Claude Abeille
Burin

Pour donner une vision très ouverte sur les « manières » de la gravure, Claude-Jean Darmon, orfèvre de la pointe sèche, – dont il tire élégamment une quintessence de vibrations subtiles -, s’était entouré de graveurs notoires, comme Yvonne Alexieff, avec ses évocations poétiques de la nature, mises en scène à l’eau-forte, au vernis mou, à l’aquatinte ou encore à la manière noire ; comme Carlos Lopez, nouveau président de l’association « La Taille et le Crayon », et qui, à l’eau-forte et sur Chine collé, traduit de belles transpositions de visions perçues de la baie d’un train en marche ; comme le bosniaque Safet Zec, brossant à l’eau-forte ou au vernis mou, rehaussés à la pointe sèche, des mains expressives, faites pour le travail ou la prière.

« Deux mains »
Zafet Zec
Vernis mou et pointe-sèche

Sans oublier, pour lui, au sous-sol voûté, et voisinant avec les œuvres d’Abeille, une grande gravure intitulée « Etreinte ». Au final un ensemble de treize gravures de qualité, pour celles en cimaises, offertes au regard du public. Encore merci à Claude-Jean Darmon pour le choix judicieux. Et, il est prévisible que, pour ses prochaines expositions, André Sinthomez ne se privera pas de joindre aux arts plastiques des « estampiers ».

Gérard Robin

Six ans de gravure

Jullien-Clément
Rétropective de six ans de gravure
24 août – 4 septembre 2018
Orangerie du Sénat, Paris.

Située sur la partie ouest du jardin du Luxembourg s’ouvre l’Orangerie du Sénat commandée par la régente Marie de Médicis, alors veuve de Henri IV,  lors de l’érection du Palais du Luxembourg, aujourd’hui siège du Sénat. Plusieurs orangeries se succédèrent au fil du temps. Le bâtiment présent, qui date de 1839, abrite aujourd’hui chaque hiver, sous d’amples verrières, plus de 200 plantes exotiques. L’été, celles-ci retrouvant place dans le jardin, le lieu accueille des expositions temporaires d’art contemporain, une initiative datant du XVIIIe siècle. Aucune lumière artificielle à l’intérieur pour éclairer les œuvres, seule la lumière naturelle, animée par le passage des nuages devant le soleil, donne une clarté environnante homogène des plus agréables.

Cette année, parmi les exposants, se trouve un graveur notoire d’origine marseillaise, monté spécialement du Var où il réside, pour présenter une rétrospective de six ans de gravure.
C’est Jean-François Jullien, dit Jullien-Clément. Habituellement, je consacre ma plume à des expositions de groupe, je fais cette fois une exception. À vrai dire, lorsque l’on parcourt ici les cimaises, où près de 70 œuvres s’offrent au regard, on y fait, côtoyant un ou deux autoportraits, la rencontre de personnalités incroyables, dans la cohabitation et le choix faits : Pascal, Dante, Nostradamus, Kafka, Goya, Don Quichotte ; sans oublier quelques musiciens : Pavarotti, Berlioz, Bach, Beethoven, Mozart, et même John Lennon…

« Confrontation aux quatre autoportraits »
(pointe sèche sur plexiglas)

de Jullien-Clément (Cl. Gérard Robin)

Donc beaucoup de monde traversant l’intimité intellectuelle de l’artiste, qu’évoque une gravure foisonnante et flamboyante où se croisent plusieurs techniques, de la taille-douce à la taille d’épargne, en particulier l’eau-forte sur zinc ou sur cuivre, agrémentée d’aquatinte et de roulette ; la pointe-sèche sur plexiglas ; et quelques linogravures. Ces personnages accompagnent une évocation estampière d’une grande richesse de pensée, alchimie picturale complexe mêlant gravité, souvent, et humour, où l’artiste se dévoile.

Une vue de l’exposition (Cl. Gérard Robin)

Il faut dire que Jullien-Clément, autodidacte d’une gravure qu’il a découverte il y a peu, – conformément au titre de sa rétrospective -, avait été auparavant, durant une quinzaine d’années, sculpteur et fondeur d’art. Il semble que ces techniques, qu’il affectionnait, se révélèrent cependant réductrices face à la dimension de son imaginaire et aux messages critiques ou oniriques qu’il souhaitait partager… Il ne pouvait tout exprimer en trois dimensions. Et l’estampe bidimensionnelle, avec le geste libre de la pointe, lui ouvrait d’autres champs de création mentale, bien plus amples et ouverts. Cela avec une verve que je qualifierais « hugolienne ».
Une gravure dense, à découvrir et à lire.

Gérard Robin