Prix de l’Académie 2021

Présidence de la séance solennelle de l’Académie des beaux-arts
De g à d : Laurent Petitgirard, Alain Charles Perrot, Astrid de La Forest
(Cl. Maïté Arnaudet-Robin)

Une parenthèse, ce matin-là, avant de prendre la route pour Paris et rejoindre le Quai de Conti, pour vivre la séance solennelle de rentrée 2021 de l’Académie des beaux-arts, un message douloureux s’était affiché sur l’écran de notre ordinateur, envoyé par le président de “La Taille et le Crayon” : le décès de Claude Bouret, président honoraire et ancien conservateur en chef au département des estampes et de la photographie de la BnF, passionné de gravure (en particulier la taille d’épargne sur bois), et avec lequel nous avions souvent travaillé pour la création des catalogues d’expositions sises à la fondation Taylor. Un être d’exception dont le souvenir restera gravé dans notre mémoire. L’une des rencontres artistiques en sa compagnie avait eu lieu chez une artiste séquano-marnaise, devenue depuis académicienne… Pensée qui nous conduit naturellement à l’Académie.

L’Académie des beaux-arts fêtait une rentrée particulière, puisque supprimée l’an passé en raison de la situation sanitaire. Rappelons que : “Parmi ses missions, l’Académie des beaux-arts s’efforce de distinguer l’apparition de nouveaux talents, dans toutes les disciplines artistiques, grâce aux nombreux prix qu’elle accorde chaque année sur ses fonds propres ou avec le soutien de la générosité des donateurs qui lui font confiance…” La séance solennelle sous la coupole, agrémentée d’un programme musical animé par la Maîtrise de Sainte-Anne d’Auray et l’Orchestre Colonne, concourait à proclamer le palmarès des prix de l’année 2021, après une ouverture de cérémonie précédée, sous les roulements de tambour de la garde républicaine, par l’arrivée des académiciens et correspondants, et le discours du président de l’Académie, Alain Charles Perrot, entouré de la vice présidente, Astrid de La Forest de la section gravure, et du secrétaire perpétuel, Laurent Petitgirard.

Auparavant, comme il est de tradition, il y eu le moment du souvenir, pour saluer la mémoire des confrères disparus depuis la séance 2020.
En section gravure, fut évoqué l’académicien Pierre-Yves Trémois (1921-2020), premier grand prix de Rome de peinture en 1943, avant de se consacrer à la gravure. Et le président de dire : “C’est avec le burin dont il est le maître incontesté et respecté qu’il connaît une renommée internationale”. Amoureux du trait et adepte de la ligne pure, il avait été élu à l’Académie en 1978, au fauteuil de Paul Lemagny (1905-1977), premier Grand prix de Rome de gravure (1934).

Pierre-Yves Trémois
(Cl. Académie des beaux-arts)

Fut également évoqué le correspondant James McGarrell (1930-2020), américain né à Indianapolis, peintre célèbre mais graveur de grand intérêt, auteur de gravures généralement figuratives, souvent consacrées au corps féminin. Un hommage lui fut décerné, écrit par Rémi Mathis dans la version en ligne des Nouvelles de l’Estampe du 10 décembre 2020.

Récipiendaires des prix de gravure : Camille Pozzo di Borgo, Olivier Besson
Mireille Baltar et Siemen Dijkstra (Cl. Maïté Arnaudet-Robin)

Quant au palmarès annoncé par Astrid de La Forest, quatre prix concernèrent la gravure. Le Prix Pierre Cardin, créé en 1993 et perpétué grâce à son neveu, Rodrigo Basilicati-Cardin, fut décerné à Camille Pozzo di Borgo, une artiste italienne formée à l’Accademia di Belle Arti di Brera de Milan et à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, et dont la création artistique (pointe sèche sur polycarbonate) s’articule “autour du monde animal et de l’anatomie humaine”.

Le Prix d’encouragement de l’Académie revint à Olivier Besson. Un artiste multiforme, qui a apprit la gravure à l’École nationale des beaux-arts de Paris. Il se consacre à l’illustration, voire à l’écriture de livres pour enfants, et anime des ateliers de gravure destinés aux jeunes.

Le Prix Mario Avati, créé en 2013 en hommage au graveur Mario Avati (1921-2009) grâce à la donation d’Helen et Mario Avati, fut attribué conjointement à Mireille Baltar et à Siemen Dijkstra. Mireille Baltar s’est formée à la gravure dans les ateliers parisiens de Johny Friedlaender
et de Lacourière-Frélaut. Utilisatrice de la taille-douce, elle travaille aujourd’hui la gravure sur carton, avec découpe au cutter ou incision à la pointe, y joignant par exemple l’ajout de vernis de qualités différentes, susceptibles de donner des valeurs de gris (à la manière de l’aquatinte), ou encore du plastique adhésif pour la valeur blanche. Son thème principal est celui d’un bestiaire où s’égarent parfois des humains… Deux entretiens avec l’artiste ont été successivement réalisés dans les Nouvelles de l’Estampe par Marie-Cécile Miessner et par Jean-Bernard Roy, mis en ligne en 2019.

Quant à Siemen Dijkstra, il est un artiste néerlandais dont le thème créatif est la nature, le paysage, qu’il travaille au travers de grandes estampes nées de la manière dite à bois perdu, présentant parfois de 10 à 18 couches imprimées. Une vision de la végétation exprimée de façon magistrale, suggestive des subtilités de la lumière et des couleurs, à laquelle il manque, aux dires de l’artiste, le rendu des odeurs… Un catalogue lui a été consacré lors d’une grande exposition à la Fondation Custodia.

Pour clore la séance solennelle, le discours du secrétaire perpétuel Laurent Petitgirard aura pour titre : “Le droit moral, ultime rempart des créateurs”. Une évocation instructive que l’on peut consulter ou enregistrer sur le site de l’Académie des beaux-arts. Sortie de la Coupole sous une haie de gardes républicains, sabre au clair.

Gérard Robin

Paysage et estampe – 10

Le Val de Loing (Grez)

Si Barbizon se trouvait en terre agricole et à l’orée de la forêt, Grez, était, – et est -, au Sud de Fontainebleau, un village en bordure de rivière, le Loing, dans un cadre particulièrement pittoresque. Contrairement à Barbizon, le lieu fut par le passé un bourg important, appelé Grès-en-Gâtinais, qui fut fortifié au début du XIIe siècle, doté d’un château (où plusieurs personnalités royales séjournèrent, comme Blanche de castille, Philippe Le Bel et Jean Le Bon ; Louise de Savoie, mère de François 1er, y mourut en 1531) ; l’entrée en ville se faisait par trois portes et un pont à dix arches, qui traversait la rivière et une zone marécageuse ; sa particularité étant de présenter, pour faciliter le passage de l’eau en cas de crue, des culées à pans coupés en aval et en pointe en amont. Un petit port fluvial, une halle et plusieurs moulins animaient la cité, avoisinant une importante Commanderie, dite de Beauvais (“Beauvoir-lès-Grès”), fondée par les Templiers au début du XIIIe siècle. Victime des vicissitudes de l’histoire, ce qui devint un village a conservé quelques vestiges du passé, dont le pont, la tour dite de Ganne et une belle église : il sera, de 1860 à 1914, un havre d’accueil important d’artistes, à l’égal de Barbizon.

Cela grâce à deux auberges. L’Hôtel Beauséjour, devenu Pension Laurent, qui devint la propriété à la fin des années 1880 de l’américain Francis Brooks Chadwick et de son épouse suédoise Emma Löwstädt-Chadwick, qui hébergèrent un temps les artistes. L’Hôtel Chevillon, issu de l’Hôtel de la Marne, petite auberge rachetée en 1860 par Jules et Marguerite-Virginie Chevillon (voir le Cahier n° 3 de “Artistes du Bout du Monde” de l’automne 2006), aujourd’hui siège d’une fondation suédoise « La Fondation de Grez-sur-Loing » pour l’accueil d’artistes, écrivains ou compositeurs, principalement scandinaves (inaugurée en 1994 par la Reine de Suède). S’y ajouta en 1858 l’ouverture à Bourron-Marlotte d’une gare de chemin de fer, qui mettait Grez à trois kilomètres à pied, à travers champs. Le village reçut la visite de Corot, mais surtout accueillit plusieurs artistes de Barbizon à partir de 1830.

Dans les années 1870, quatre colonies, venant de l’étranger, se succédèrent : britannique et irlandaise (vers 1975), dont le peintre-graveur paysagiste anglais Arthur Joe Heseltine (1859-1930), de passage dans la région de Fontainebleau et qui en fit, de 1878 à 1897, une soixantaine d’eaux-fortes ; américaine (vers 1876), dont le peintre canadien William Blair Bruce (1859-1906) ; scandinave (1882), dont le peintre suédois Karl Nordström (1855 – 1923) ; japonaise (1890), dont Kuroda Seiki (1966-1924).

Deux de ces artistes, William Blair Bruce et Karl Nordström, y rencontrèrent leur compagne, chacune ayant des affinités pour la gravure. William Blair Bruce avait appris la peinture dite académique à Paris, à l’Académie Jullian. Parallèlement, il avait été séduit par l’élan paysager de l’École de Barbizon et séjourna dans le village de 1882 à 1884. Grez-sur-Loing devait aussi le retenir, de par son cadre attrayant, y avant aussi rencontré d’autres artistes séduits par le lieu, comme les peintres suédois Carl Larsson et son épouse Karin, Bruno Liljefors, des personnalités comme Christian Krohg, Peter Severin Krøyer ou le dramaturge August Strindberg. C’est aussi là, à l’été 1885, que naquirent ses amours avec la Suédoise Carolina Benedicks (1856-1935), femme de talent, avant tout sculpteure (elle avait été l’élève à Paris de Alexandre Falguière), mais aussi aquarelliste et graveuse. Après des fiançailles en 1886, le couple s’était l’année suivante installé à Grez, tout en prenant quelques libertés pour visiter l’Europe. Ils devaient se marier en décembre 1888 à Stockholm. Et c’est ensuite la lumière de la Baltique qui les firent se fixer, à partir de 1900, sur l’île de Gotland : “Brucebo”, leur villa-atelier, devenant un rapidement un lieu de rencontre artistique et intellectuelle (nombre d’invités ayant d’ailleurs séjourné dans les années 1880 et 1890 à Grez-sur-Loing). Le couple n’oublia jamais Grez, il y vinrent à plusieurs reprises. Voici une des peintures de William, exposée au Nationalmuseum de Stockholm, et présentant l’atelier en plein-air (vraisemblablement dédié à la gravure) de sa femme, à l’Hôtel Chevillon.

“Atelier de plein air” – William Blair Bruce
Huile sur toile – 73 x 92 cm
The National Museum of Fine Arts – Stockholm.

Carolina était par ailleurs une battante. Membre en 1913 du Conseil municipal de Väskinde, sur l’île de Gotland, elle s’était engagée pour le droit de vote des femmes, ayant accueilli deux ans auparavant les déléguées d’une conférence – la 6e – de “l’Alliance internationale des femmes”. Un article de Mickael Karisson et Laria Lantto, dans le Cahier n° 8 (automne 2012) de “Artistes du Bout du Monde”, évoque la vie du couple et l’engagement de Carolina de “peindre pour la postérité”. Karl Nordström, quant à lui, était un garçon qui n’avait pas été admis à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Stockhölm (jugée d’ailleurs à l’époque pour une vision vieillotte de l’art) et, qui de ce fait était libre de toute influence. Son esprit avait été séduit par la liberté impressionniste” d’artistes comme Claude Monet ou Alfred Sisley. C’est en fait à Grez qu’il fit ses premiers pas artistiques. Un peu en retrait de la vie de la colonie nordique, il se lia d’amitié avec Auguste Strindberg. C’est en 1882 qu’il rencontra la xylographe Tekla Lindeström (1856-1937). Il l’épousa en 1885.

Lorsque plus tard il rentra en Suède, habité par son expérience francilienne, il s’opposa à l’Académie des Beaux Arts suédoise et fut l’un des éléments du mouvement réformateur qui se développait alors, et participa à la constitution à Göteborg de la Société des Artistes. Il y prit des responsabilités, devint d’abord secrétaire, ensuite président pendant plus de trente ans. Une responsabilité qui lui permit de moderniser la vision artistique d’alors, tant dans l’enseignement artistique que de l’organisation des expositions. Un article de Alf Elmberg, dans le Cahier n° 9 (printemps 2014) de “Artistes du Bout du Monde”, présente le parcours de cet artiste exceptionnel.

“La fiancée de l’artiste” – Karl Nordström
Huile sur toile – 54 x 36 cm
The National Museum of Fine Arts – Stockholm.

Voici le portrait qu’il fit de sa fiancée, alors qu’elle gravait un bois de bout, avec sur le front une sorte de visière en tissu pour protéger ses yeux de la luminosité de la fenêtre. Tekla Lindeström, xylographe de profession, grava nombre d’œuvres de son mari et même d’autres artistes. On peut voir certaines de ses œuvres à Stockholm au Nationalmuseum ou au Prins Eugens Waldemarsudde.

Xylographie – 20,1 x 14,1 cm (1929)
Tekla Nordström
© The Trustees of the British Museum

En dehors de ces colonies, nombre de personnalités partagèrent ce climat propice à l’accueil du monde des arts au sens large : écrivains, musiciens,… Le lieu vit, entre autres, la naissance d’une passion, en 1876, entre le futur romancier écossais Robert Louis Stevenson et l’artiste peintre californienne Fanny Osborne. Leur rencontre est évoquée par Nelly Dumoulin, dans la rubrique Plein cadre du cahier n° 3 d’Artistes du Bout du Monde (Automne 2006), précisant que ses promenades dans la forêt de Fontainebleau inspirèrent à l’écrivain quelques écrits dédiés : “Notes en forêt” et “Le Trésor de Franchard”, qui précédèrent l’écriture de “L’Île au trésor” et de tant d’autres romans.

Évoqué en début d’article, le pont de Grez s’était signalé plus récemment, en novembre 1984 d’après Le Parisien, pour avoir été “emballé” par le couple Christo (pseudonyme de Christo Javachef, artiste plasticien d’origine bulgare, et Jeanne-Claude), en essai préliminaire à l’“empaquetage” du Pont Neuf à Paris, en septembre 1985.

(à suivre)

Gérard Robin

Paysage et estampe – 9

Thomery en Val de Loing

Poursuivant notre voyage en Val de Loing, un lieu privé nous convie à faire étape : le château de By, qui trouverait son origine au XVe siècle, d’abord en tant que rendez-vous de chasse puis résidence d’un Officier de la Cour de Fontainebleau. Les bâtiments actuels datent en fait principalement du début du XVIIe siècle… Situé sur la commune de Thomery, ce qui est devenu aujourd’hui un lieu muséal fut, pendant quarante ans, à partir de 1859, la demeure et atelier de Marie Rosalie Bonheur, alias Rosa Bonheur, artiste peintre et sculptrice animalière.

Le château de By à Thomery
(Cl. Archives départementales de Seine & Marne)

Rosa Bonheur est une artiste hors des normes, qui mérite d’être évoquée, non seulement parce qu’elle fut une figure artistique marquante du Val de Loing, mais aussi du fait de sa renommée qui devait s’étendre bien au-delà de nos frontières. Elle est fille d’un peintre et professeur de dessin, Raymond Bonheur, qui avait découvert et adhéré à la doctrine du Saint-Simonisme, prônant l’émancipation de la classe ouvrière, mais aussi des femmes : des pensées qui, au XIXe siècle, étaient novatrices mais généralement peu comprises, voire rejetées par l’aristocratie et la gent masculine.
La petite Rosalie se montrant douée pour le dessin, son père l’avait alors poussée à développer ses capacités artistiques et à s’épanouir dans sa passion naissante. Cependant, délaissant bientôt les siens par son adhésion à ce mouvement idéologique, il laissa paradoxalement sa famille dans une situation d’abandon, jusqu’à sombrer dans la misère et Sophie, sa femme, en mourut. Un vécu qui devait marquer profondément Marie Rosalie, qui en éprouva sans doute une certaine distanciation vis à vis des hommes, préférant le célibat et la compagnie des femmes. Mais sa grande motivation fut sa liberté d’être et pour cela, son indépendance financière. Aussi travailla-t-elle son art avec opiniâtreté, s’y consacrant de toute son âme, et participant à de grandes expositions.

Rosa Bonheur
Manière noire (1896) de Joseph Bishop Pratt,
d’après Consuelo Fould
© The Trustees of the British Museum

Elle fut une personnalité locale hors norme, à plus d’un titre, gagnant une notoriété internationale. Marie Borin, en avant-propos d’une biographie sur l’artiste Rosa Bonheur, écrit : « Rosa Bonheur, peintre du XIXe siècle (1822-1899), a fait briller la France dans le ciel d’Angleterre et des États-Unis pendant plus d’un demi siècle. Elle a contribué à donner aux femmes une autre idée d’elles-mêmes que celle imposée par l’obscurantisme misogyne ». Il lui fallut se distinguer dans cet univers essentiellement masculin qui baignait la société. Le goût pour la nature et la représentation animale était alors dans l’air du temps. On en trouve des exemples dans l’école de Barbizon, mais d’autres artistes d’essence naturaliste comme par exemple le peintre Constant Troyon (1810-1865), s’y adonnent.

Rosa Bonheur partageait ce sentiment. Ce qui lui fit quitter son atelier parisien du 32 de la rue d’Assas pour gagner le château de By qu’elle acheta grâce à la vente de ses œuvres. Faisant appel à un architecte, Jules Saulnier, elle y fit construire un grand atelier de style néogothique. Un lieu idéal pour s’adonner pleinement à son art, tout en cultivant une personnalité atypique pour son époque. Indépendante d’esprit, elle s’habillait en homme, ce qui était alors interdit aux femmes, sauf par autorisation spéciale obtenue auprès de la Préfecture de police (loi du 16 Brumaire l’an IX ou 7 novembre 1800) “au vu du certificat d’un officier de santé”. Elle portait les cheveux courts et fumait des havanes. Elle aima des femmes : ainsi les artistes peintres Nathalie Micas (1824-1889) et Anna Elizabeth Klumpke (1856-1942), qui partagèrent successivement sa vie,… et sans doute une liaison avec la cantatrice Marie Caroline Miolan-Carvalho, qui fut en mars 1859 la première Marguerite dans Faust de Gounod, sur la scène parisienne du Théâtre Lyrique, et qu’elle aurait fréquentée entre 1866 et 1872. Cela dit, tout au long de sa vie, elle contribua à affirmer le rôle de la femme dans le milieu artistique.

Attirée par les grandes compositions, Rosa Bonheur ne toucha pas à l’estampe. D’autres s’en chargèrent pour elle, participant à la reproduction et la diffusion de ses œuvres, lithographie ou gravure. Son grand succès est dû à “The Horse Fair”, le “Marché aux chevaux”, qui fut exposé grâce à Ernest Gambart, marchand d’art et alors agent de l’artiste, en mai 1855 à Londres, lors de la seconde Exposition annuelle de l’École française des Beaux-Arts. Ce qui fera écrire à William Rossetti, dans “Art News from England”, que Rosa est : « Une femme merveilleuse, une femme sans précédent en Art pour sa force et ses capacités dans tous les domaines. »

“The Horse Fair” Rosa Bonheur
Étude préliminaire et huile sur toile © The Met
Gravure de William Henry Simmons © British Museum

Cette peinture montre un marché aux chevaux qui s’est tenu à Paris sur le boulevard de l’Hôpital, près de l’asile de la Salpêtrière, dont on devine dans le fond à gauche le dôme de la chapelle Saint-Louis. L’étude préliminaire (craie noire, lavis de gris, rehauts de blanc sur papier beige), qui mesure 13,7 x 33,7 cm, donnera une huile sur toile (1852-1855) de 244,5 x 506,7 cm. Quant à l’estampe, réalisée en 1871 par William Henry Simmons (1811-1882), elle serait une gravure mixe, eau-forte et manière noire, de 31,2 x 49,4 cm.

Si Rosa Bonheur ne fut pas graveuse, la lithographie et la gravure participèrent à la diffusion de ses huiles, qui furent nombreuses, et justement récompensées. Déjà, à l’Exposition universelle de Paris, la “Fenaison en Auvergne” avait reçu une médaille d’or. Aux salons de 1848 et 1855, elle fut la première artiste féminine à recevoir la croix de la Légion d’honneur au titre des Beaux-arts, de la main même de l’impératrice Eugénie, qui se rendit tout spécialement à By, le 10 juin 1865, pour lui remettre sa distinction de Chevalière. Elle fut promue officière de cet ordre en avril 1894 et fut la première femme à recevoir la “rosette”, le 12 mai, de la part du président de la République Sadi Carnot. Et Marie Borin d’ajouter dans sa bibliographie : « La visite du président de la République, comme celle trente ans auparavant de l’impératrice de France dans l’atelier d’une peintre, et la Légion d’honneur, marquent la reconnaissance officielle du pouvoir politique d’un lieu féminin de création, légitimant aux yeux de tous la liberté artistique des femmes. »
L’ultime récompense que reçut Rosa Bonheur fut, clôturant une liste impressionnante distinctions artistiques, celle posthume de Médaille d’honneur du salon de la Société des Artistes Français, le 29 mai 1899.
Un monument portant le grand bronze d’un taureau réalisé d’après une de ses statuettes animalières, lui fut dédié, offert par Ernest Gambart à la ville de Fontainebleau et érigé en 1901 sur la place Denecourt (devenue aujourd’hui place Napoléon Bonaparte). Mais, durant l’Occupation, suite à la loi du 11 octobre 1941 promulguée par le régime de Vichy, il sera, comme nombre de statues en France, démonté pour être fondu au bénéfice de l’Allemagne.

Pour l’anecdote, signalons que Rosa Bonheur reçu dans son atelier, le 25 septembre 1889, un certain colonel Cody, plus connu sous le nom de Buffalo Bill, qu’elle avait rencontré lors de l’exposition universelle de Paris où il présentait son spectacle du Far West. Une association, créée en 2005 par Éliane Foulquié : « Les amis de Rosa Bonheur”, s’attache à promouvoir l’œuvre de l’artiste et à faire connaître sa vie et les lieux où elle a vécu. Quant au château de By (12, rue Rosa Bonheur – 77810 By-Thomery), ex-propriété des descendants de la famille d’Anna Klumpke, il est rouvert au public, après les travaux de rénovation entrepris par sa nouvelle propriétaire, Katherine Brault.
Un lieu de mémoire (www.chateau-rosa-bonheur.fr), presque inchangé depuis le décès de Rosa Bonheur, à découvrir absolument ! Et pour qui en souhaiterait en apprendre plus, une biographie est à conseiller, celle de Marie Borin, intitulée : “Rosa Bonheur, une artiste à l’aube du féminisme” (Pygmalion, 2011).

(à suivre)

Gérard Robin