Jean Lodge sillonne le bois

Galerie l’Angélus, Series
34, Grande Rue
77630 Barbizon
19 septembre – 18 octobre 2020

Vue de la galerie Séries (Cl. Gérard Robin)

A l’occasion des 37e Journées européennes du patrimoine, l’animation était grande dans les rues du village de Barbizon, mais sans excès en raison de la présence potentielle du Covid 19, les visages masqués pour les promeneurs non installés à la terrasse des cafés et déambulant à la découverte de la mémoire des Impressionnistes. Le temps était beau, d’une chaleur un peu lourde sous couverture nuageuse, mais propice à la flânerie. Face au musée Millet, l’une des galeries l’Angélus, – celle dénommée Series -, (car il en a deux autres : Fine Art et New Art), accueillait la présence d’une grande dame de la gravure : Jean Lodge.

 

Un bien grand plaisir de retrouver cette artiste sympathique et hors norme, d’échanger avec elle, et de revoir sans se lasser, sur cimaise ou en cartons, nombre de ses estampes dans une rétrospective allant de la litho à la taille-douce aquafortée et surtout burinée, et bien sûr  la taille d’épargne sur bois de fil, la matière qu’elle rattache à l’environnement boisé de son enfance et qui est aujourd’hui un support dans lequel elle excelle. De véritables merveilles, qui s’inscrivent dans une démarche qui la touche au plus profond d’elle-même, nécessaire, porteuse de révélations souvent insoupçonnées au fil des planches, et dans laquelle elle puise son souffle vital et se régénère en permanence.

Une vue de l’exposition (Cl. Gérard Robin)

La journaliste et écrivaine Laurence Paton, dans un bel article paru dans la revue Art & Métiers du Livre (n° 337, 2020), commence ses propos ainsi : « Regarder l’œuvre gravé de Jean Lodge et s’entretenir avec elle, c’est s’approcher progressivement d’une vérité biographique, historique et artistique, découvrir peu à peu le motif qui sous-tend tout son travail et à partir duquel elle crée ses images singulières. Comme dans la vie, en tout cas la sienne, c’est une quête permanente, et de l’arrière-fond de ses bois polychromes surgissent soudain des visages, le plus souvent féminins, des mains, des enfants, des papillons, des arbres, des clowns, des marais salants, des bribes de texte. Rien n’est donné d’avance, tout se dévoile et se dérobe en même temps. Parfois il faut s’éloigner de l’image pour la voir apparaître, et c’est alors comme si un fantôme venait à notre rencontre. Intuitivement mais savamment composées, ses gravures semblent construites autour d’une énigme, une énigme qui fait rêver ».

« Visage 17 », xylographie, 2015 (Cl. Gérard Robin)

Quant à son art, dans son approche technique, artistique et sensuelle, Jean Lodge le décrit ainsi, transcrit de l’américain par Gérard Sourd (Nouvelles de l’Estampe n° 201, 2005 : « Chaque planche possède son caractère propre. Je la respecte et travaille avec elle, j’utilise beaucoup de sortes de bois, parmi lesquels le mûrier, le poirier, l’érable, le tilleul, le noyer et le pin… La force, la direction du fil, le grain, et l’approche que je peux avoir d’une pièce sont les facteurs déterminants. » … « Quand je travaille, je cherche à introduire des mutations […], j’essaie d’accueillir l’imprévu. Faire une estampe est une aventure. L’image finale, telle qu’elle apparaît au tirage, doit “fonctionner“ uniquement par rapport à elle-même, et non par rapport à une image conçue à l’avance, ou préexistante. Si tel n’était pas le cas, il n’y aurait aucune raison de suivre la procédure complexe et indirecte d’élaboration d’une estampe. Pour moi, l’intérêt de travailler sur des “impressions“ n’est pas de produire des multiples ; c’est plutôt la possibilité qui m’est donnée de découvrir des images qui ne pourraient pas apparaître d’aucune autre façon. »

Et de conclure, avec le conservateur en chef honoraire au département des estampes et de la photographie de la BnF, Claude Bouret (Fondation Taylor, 2016) : « Une très vive sensibilité à la permanence du passé, de préférence le plus lointain, est la clé de son œuvre. Car elle puise ses images dans la technique de la xylographie, un medium magique pour apprivoiser les vibrations du temps ».

Cela dit, hors les discours, il faut absolument redécouvrir, – ou découvrir pour ceux qui ne connaîtraient pas -, ces œuvres attachantes, mises en relief dans la galerie barbizonnaise de Iam et Bachar Farhat.

Gérard Robin

Jacques Houplain

Hommage à un des grands maîtres de la gravure

« Le verger abandonné » Jacques Houplain
(Cl. Perol-Schneider)

Né le 10 septembre 1920 à Luneray au pays de Caux, il nous a quittés le 22 février 2020 à Cassaignes dans les Corbières. Mon mari et moi avions toujours un grand plaisir à rendre visite à Jacques et à Annette Houplain, l’hiver à Montmartre dans leur petit appartement-musée parisien, l’été dans les Corbières à Cassaignes. Ils nous ont quittés tous les deux, d’abord Annette, maintenant Jacques l’a rejointe. J.-Ch. Gaudy, poète et ami décrit si bien l’extraordinaire personnage qu’était Jacques Houplain : « Un sage mi-chinois, mi-vigneron avec une voix-rocaille venue comme depuis l’origine du souffle et un caractère trempé, mais tout d’affabilité. N’en conte ni ne s’en laisse conter … et pourtant si talentueux conteur (ou épistolier) à la fabuleuse mémoire. C’est tout naturellement que dans son œuvre gravé se rencontrent, revivifiées, voire transmutées, les références culturelles venues de tous siècles et de tous pays, avec une gourmandise particulière pour nos sources mythologiques, toujours prétextes à rêverie et à délectation. »

 

En pensées, nous nous rendons parfois encore à un petit village de l’Aude, loin de tout. Nous suivons une route en colimaçon et montons jusqu’à une église face aux Pyrénées. Jacques Houplain et sa fille Jacotte ont décoré son fronton à fresque, il y a bien des années déjà. C’est là, dans le petit cimetière, que se trouve la dernière demeure de Jacques et d’Annette Houplain. En continuant notre chemin, les cris d’un paon debout sur le toit de l’atelier du graveur nous guident. Nous atteignons la dernière maison du village. Il ne faut surtout pas déranger l’artiste !

« Rêveries sous le cèdre » Jacques Houplain
(Cl. Perol-Schneider)

Revenons plutôt en fin d’après-midi quand le graveur arrête son travail. Il nous aura attendu, affûté sa faux et préparé un petit parking pour la voiture. Je l’entends encore : « J’aime traverser lentement l’espace séparant l’habitation de l’atelier, une diagonale d’un rectangle bordé de trois côtés par des murets, le quatrième en terrasse : vue vers le Levant, au-delà du Col du Paradis ». Annette nous ouvre sa belle maison-ferme, patinée par le temps et les souvenirs. Le graveur, assis sur le vieux sofa dans un recoin un peu caché par l’escalier qui monte à l’étage, se repose en écoutant de la musique classique. Sa pipe allumée, un verre de whisky à la main, il nous dit : « J’ai bien travaillé, je l’ai mérité ». Quand la musique s’arrête, il ouvre la porte du « Jardin du Milieu » avec le merveilleux bassin à la japonaise. Imprégné de l’amitié avec le graveur Kiyoshi Hasegawa, Jacques avait appris à lire des idéogrammes. Il en apprenait un tous les jours depuis des années. Puis, il est temps pour sortir les chaises longues, les tourner vers la montagne au loin et l’admirer sous les derniers rayons de soleil.

« Mer de nuages au-dessus de Bezis » Jacques Houplain
(Cl. Perol-Schneider)

Quand par bonheur l’aquafortiste nous ouvrait son atelier où chaque poste technique était installé bien séparé, notre regard fut irrésistiblement attiré par la pièce maîtresse : la séduisante presse taille-douce, objet séculaire qui inspirait le respect. La gravure n’y était posée – un moment toujours attendu avec appréhension par tous les graveurs – qu’après de longues heures d’un travail extrêmement méticuleux. Jacques Houplain examinait chaque détail, retravaillait, corrigeait sa plaque de cuivre avec une dextérité incroyable pour arriver au résultat souhaité. Partout dans cet atelier, pourtant bien rangé, le long des murs, contre le sol, sur des étagères, dans des niches, on voyait des éléments étonnants, cadeaux, souvenirs, collections de curiosités de pays lointains où l’artiste pouvait puiser son inspiration sans voyager au loin.

Brigitte Perol-Schneider

Jacques Houplain en quelques dates

1940 – Beaux-Arts de Paris, atelier-peinture de Pougheon.
1945 – Atelier-gravure de Dupas. Invité à exposer à « La Jeune Gravure Contemporaine », Galerie Sagot-Le-Garrec Paris. Rencontre avec Pierre Guastalla. Il se lie d’une grande amitié avec Kiyoshi Hasegawa.
1946 – Membre titulaire de « La Jeune Gravure Contemporaine » et invité par la « Société des Peintres-Graveurs -Français ».  Études en Histoire de l’art.
1947 – Boursier à Amsterdam, il rédige un mémoire sur Hercules Seghers. L’influence du graveur hollandais se montre surtout dans sa peinture et ses gravures anciennes.
1948 – Ses études à l’École Estienne lui apportent une technique parfaite qui convient à son travail méticuleux. Il se range lui-même parmi les « maniéristes ». Jusqu’à la fin de sa carrière il a réalisé des livres pour la bibliophilie.  Sociétaire du « Salon d’Automne », en Gravure et Livre illustré. Après 2 ans en boursier à Alger, il enseigne de l’histoire de l’art à l’École nationale supérieure des Arts appliqués à Paris.
1956 – Membre, puis en 1969, vice-président de la « Société des Peintres-Graveurs français ».
1989 – Membre de la « Société asiatique ».
1993 – Membre d’honneur de « Pointe et Burin ». Jacques Houplain m’encourage à fonder « Gravure Passion ». Il participera à toutes les manifestations de cette triennale internationale de 1994-2015. Grand prix Baudry de la Fondation Taylor à Paris.
2010 – Importante rétrospective et édition de « Rêveries d’un graveur solitaire », cadeaux de ses filles pour ses 90 ans, à la galerie franco-japonaise de Tenri,  à Paris. Grande exposition à la Galerie Sagot-le-Garrec. Exposition à Cassaignes, Corbières, une autre et dernière en 2014.

« Je souhaite que mes estampes, seulement encrées du noir à l’exemple des monochromes, fassent imaginer ”les cinq couleurs” arc en ciel, né de la brume. » Jacques Houplain

Yvon Le Corre

Expositions
de septembre-octobre 2020
Chapelle des Paulines
rue Paul Raoul

22220 Tréguier
Chapelle des Ursulines
place des Patriotes
Lannion

Tél. : 02 96 37 99 10

Un cuivre gravé d’Yvon Le Corre (Cl. Brigitte Perol-Schneider)

Notre ami le peintre, marin, aventurier, écrivain, graveur, imprimeur Yvon Le Corre est décédé, mardi après-midi, le 25 août 2020, à Tréguier dans les côtes d’Armor à l’âge de 81 ans. Avant de nous quitter, il a réussi à mettre encore une fois deux expositions sur pied et à terminer son livre «60 ans de peinture», en 20 exemplaires, typographie à l’ancienne avec des lettres mobiles, une merveille dans une impression parfaite. Les deux expositions à la Chapelle des Ursulines à Lannion et à la Chapelle des Paulines à Tréguier constituent un bel hommage à cet homme remarquable, droit dans ses idées, un pur de pur, qui défendait les droits de l’homme à sa façon.

Chapelle des Paulines à Tréguier (Cl. Brigitte Perol-Schneider)

Il a eu lui-même le temps de voir encore une fois ce bel ensemble de ses grandes peintures accrochées, ses aquarelles et croquis de voyages avant de terminer « sa vie de peinture et de la mer », comme il définissait son parcours extraordinaire. Fidèle à ses idées, il avait trouvé un marin digne non pour lui vendre, mais pour lui faire cadeau de « Girl Joyce » son dernier bateau.

Chapelle des Ursulines à Lannion (Cl. Brigitte Perol-Schneider)

Nos condoléances et sympathies à son épouse, la jolie Azou, sa muse, son grand amour et à ses enfants.

Brigitte Perol-Schneider et Jacques Perol