Paysage et estampe – 1

« Temps d’orage » de Charles-François Daubigny (Cl. Amorosart)

La période de pandémie que nous vivons aujourd’hui, attachée – pour combattre et abattre le coronavirus – à de nombreuses mesures qui visent à nous isoler, voire à nous confiner, pousse l’esprit à sortir de l’enfermement psychique ou physique, pour tenter une évasion, voyage sans risque de contamination, en chambre ou en atelier. C’est pourquoi je vous proposerai, puisque c’est là ma région de vie et de promenade, de m’accompagner, au gré d’une humeur positive, aux alentours de la forêt bellifontaine, au travers de beaux paysages qui la caractérisent, de Barbizon à Larchant, en passant par Nemours. De quoi envisager peut-être plus tard, les beaux jours venant et la situation s’améliorant, votre découverte des lieux fixés sur les estampes d’artistes notoires et inspirés.

La base artistique des représentations, que celles-ci soient peintes ou gravées, se réfère bien sûr à l’école de Barbizon, symbole de ce qui apparaîtra au XIXe siècle comme porteur d’un attrait novateur pour l’art pictural : celui du paysage. Cela demande quelques explications. En vérité, le paysage a toujours été présent dans l’imaginaire des artistes « picturaux »». Mais il ne l’était généralement pas pour lui-même ; il accompagnait la peinture (et la gravure) à “sujet”, cadre de scènes “composées”, mythologiques, historiques ou religieuses. Une empreinte paysagère qui était forte, en particulier chez les artistes hollandais, britanniques et, par voie de conséquence, chez les Français.

“Bacchanale”, d’après Nicolas Poussin
(Cl. © The Trustees of the British Museum)

La tradition classique, dès le XVIIe siècle, d’artistes comme Nicolas Poussin (1594-1665), dont voici l’interprétation gravée (eau-forte et burin) par Abraham Girardet (1764-1823) d’une huile sur toile intitulée “Bacchanale”, ou encore Claude Gellée, dit le Lorrain (≈1602-1682), s’imposera pour plusieurs générations comme un idéal de perfection. Cela, de même qu’au XVIIIe siècle, avec Antoine Watteau (≈1684-1721), peintre des fêtes galantes, ou encore Jean Honoré Fragonard (1732-1806), souvent jugé pour ses scènes frivoles et libertines, mais qui avait aussi une grande sensibilité pour la nature.

Mais au début du XIXe siècle, chez les grands peintres français, la tradition académique privilégiait en matière de création la pensée intellectuelle, dite à “sujet”, mise en scène dans des paysages composés à cet effet, à l’opposé d’une observation sensible de la nature, et qui serait un thème unique de représentation ou d’expression. La simple peinture du paysage, pour lui-même, n’étant perçu que comme étant d’un genre mineur. Régnaient alors à l’époque le courant du néo-classicisme, porté par un Jean-Louis David (1748-1825), et celui de l’élan romantique d’un Théodore Géricault (1791-1824), ou d’un Eugène Delacroix (1798-1863), dont voici la lithographie de l’une de ses huiles sur toile, “Sardanapale”, réalisée par le peintre-lithographe Achille Sirouy (1834-1904).

“Sardanapale”, lithographie de Achille Sirouy, d’après Eugène Delacroix
(Cl. © The Trustees of the British Museum)

D’autres œuvres peintes sont significatives, liées respectivement à ces artistes, comme “Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard”, “Le Radeau de la Méduse” ou “La Liberté guidant le peuple”. Mais c’est alors qu’apparut en peinture un “variant britannique” : lors du Salon de Paris de 1824, les toiles d’un peintre anglais, John Constable (1776-1837), représentant des scènes paysagères et rurales, firent sensation, notamment “La Charrette de Foin”, dont voici une “manière noire”, gravée en 1889 par Joseph Bishop Pratt (1854-1910).

“The Hay Wain”, manière noire de Joseph Bishop Pratt,
d’après John Constable
(Cl. Goldmark Gallery, Uppingham, UK)

Le tableau (aujourd’hui à la National Gallery, à Londres) fut le point d’orgue d’un ensemble d’œuvres qui obtint la Médaille d’Or du Salon, décernée par le roi Charles-Philippe de France, plus connu sous le nom de Charles X.

Dès lors, au travers de cette inspiration paysagiste, – marquée par l’école anglaise et les échanges artistiques qui suivirent –, naquit, sous la houlette de peintres souvent marqués par l’attractivité des paysages italiens et en rupture avec la tradition parisienne, ce qu’un marchand d’art anglais, David Croal Thomson (1855-1930), appela plus tard, en 1890, en titre d’un livre dédié : « The Barbizon school of painters, Corot, Rousseau, Diaz, Millet, Daubigny, etc., – l’École de Barbizon ». Y était décrite cette nouvelle vision picturale, non académique, à la fois mélange de réalisme, de romantisme et de classicisme, qui correspondait à une rupture, douce mais majeure entre tradition et modernité. Ce qui n’est pas sans nous apparaître aujourd’hui comme la marque, – notamment à travers le traitement sensuel de la peinture –, d’un pré-impressionnisme. Certains de ces artistes s’adonnaient à l’estampe (eau-forte principalement ou lithographie) ; d’autres, exclusivement peintres, eurent leurs œuvres interprétées par des “stampassins”… Barbizon sera notre prochaine étape…
(à suivre…)

Gérard Robin

Une collection s’expose

Une vue de l’exposition (Cl. Gallix)

« Animaux et Graveurs / Gravures de collection »
Exposition d’estampes
23 janvier au 15 avril 2921
Gallix
5 rue Pierre Sémard 75009 Paris

« Nos amies les bêtes / Nos amis les graveurs », ainsi, naïvement, pourrait s’intituler l’exposition présentée par Bertrand Renaudineau et Laurence Paton dans l’espace annexe des bureaux de la société Gallix, bien connue par ailleurs pour la remarquable suite de films sur l’estampe qu’elle réalise et produit (cf. mon article « Gallix, des films sur l’estampe », Arts et Métiers du livre n° 339 – juillet-août 2020 –, p. 39-45). Mais c’est sous le titre plus sérieux d’« Animaux et Graveurs / Gravures de collection », que s’est ouverte le samedi 23 janvier 2021 et ce jusqu’au samedi 6 février inclus cette manifestation installée dans le local qui a naguère abrité momentanément l’association Manifestampe. Toutes les pièces sont tirées de la collection de Gallix, et témoignent d’un goût éclectique qui s’étend alphabétiquement de Ash à Velly, chronologiquement de Max Klinger à Pablo Flaiszman et zoologiquement avec une prédilection (des artistes ou des collectionneurs, la question est ouverte) pour l’âne, star incontestée de l’exposition.

« Le massacre de la rue Transnonain » d’Honoré Daumier
(Cl. Congress Library)

En même temps Gallix présentera le dernier film de la série Impressions fortes : « Le massacre de la rue Transnonain » 1 d’Honoré Daumier, film de 47 minutes réalisé en vidéo HD par Bertrand Reneaudineau et Gérard-Émmanuel da Silva, et la lithographie de Quentin Préaud : « En attendant le grand soir », composée pour cette occasion.

« En attendant le grand soir » de Quentin Préaud (Cl. Gallix)

Le port du masque est obligatoire. Pour respecter la distanciation en vigueur, le nombre de visiteurs sera limité et nous pouvons être amenés à vous demander de patienter. Ensuite, les visites auront lieu du mardi au samedi de 14h à 18h. Si vous le désirez, vous pouvez prendre rendez-vous par mail ou téléphone avec Bertrand Renaudineau (06 08 92 19 05)

Maxime Préaud

1 Célèbre lithographie d’Honoré Daumier. À la suite de l’insurrection parisienne des 13 et 14 avril 1834, les occupants du 12, rue Transnonain (située à l’angle de l’actuelle rue Beaubourg et de la rue de Montmorency) sont massacrés par la troupe en représailles d’un coup de feu qui aurait été tiré d’une maison voisine sur un officier. Publiée dans la presse et exposée, la lithographie de Daumier, qui entend témoigner et protester contre cette sanglante répression, donne un immense retentissement à l’événement et constitue un sommet dans l’art d’Honoré Daumier.

Petite odyssée

« Reci » de Jérémie Salomon, rizographie (Cl. Galerie Jahidi)

Toujours en quête d’estampes à regarder, par les temps moroses que nous traversons, le réseau Internet, malgré les réticences et les précautions exprimées dans mon précédent écho, présente pour cela quelques ressources à ne pas négliger. Armé du fouet d’Indiana Jones et de la ruse d’Ulysse, il est vivement conseillé d’entreprendre une telle navigation afin d’emplir les longues soirées d’hiver pendant le deuxième couvre-feu.

Le site de Manifestampe offre, dans la liste de ses membres qui ont adhéré à la fédération, plus de cinq cents môles d’embarquement vers des sites dédiés à l’estampe. Ici, le navigateur novice se trouve confronté à l’embarras de choix délicats car, quelquefois, le début du voyage le mène vers quelques liens brisés ou bien vers la fatidique erreur 404 (la page que vous demandez n’est pas disponible…), tous récifs redoutés des marins chevronnés. Malgré ces aléas peu nombreux, dus à un défaut de mise à jour par le propriétaire négligent du môle, une petite odyssée bien choisie s’avère passionnante et capable de peupler la tête de nombreux imagos de belle estampe.

Dans le livre de bord de ce périple, on peut signaler quelques pages qui offrent sans parcimonie de quoi rassasier les regards. Celles ouvertes par les galeries sont les plus abondantes d’imagos toujours traités avec le respect qui se doit. En voici quatre d’entre elles avec, en bonus, une bouteille jetée à la mer.

La plus vénérable mais néanmoins très active a été fondée en 1881. Dénommée maintenant Galerie Sagot-Le Garrec, elle est dirigée par Nicolas Romand. Sise au quartier Latin à Paris, elle possède un fonds très important d’estampes patrimoniales, modernes et contemporaines dont la visite vaut, comme on écrit dans le guide pneumatique, le détour.

« Blés primitifs en Velay » d’André Jacquemin
(Cl. Galerie Sagot-Le Garrec)

Une parmi les plus jeunes galeries a été ouverte en 2012 par Ghizlaine Jahidi, qu’elle a dénommée simplement Galerie Jahidi. Celle-ci s’attache à promouvoir de jeunes artistes stampassins qui se lancent dans l’exploration, hors des sentiers battus, de ce médium qu’est l’estampe. Quand on y accoste, on se réserve bien des surprises.

La troisième, plus pluridisciplinaire, consacre une large part de son fonds à l’estampe et aux livres d’artiste que l’on peut découvrir sur son stand au Salon Page(s) quand il reprendra sa course. Dirigée par Évelyne Schumm-Braunstein, cette galerie éponyme promeut des artistes qui ne sont pas stampassins première langue. Ainsi, perçoit-on ici les différentes facettes expressives dont usent certains que l’on connaissait seulement comme stampassines ou stampassins. Une escale à partir de ce môle s’impose.

« Nudo » de María Chíllon, burin (Cl. Galerie Schumm-Braunstein)

Hasard des fortunes de mer, une galerie d’outre-Atlantique et même d’outre-Pacifique mérite plus qu’un détour. Il s’agit de The Annex Galleries, étatsunienne fondée il y a cinquante ans en Californie. Dotée d’un fonds considérable, elle se consacre aux estampes du monde entier et du XIXe, XXe et XXIe siècles avec une prédominance pour son fonds américain. Chaque estampe répertoriée dans ses pages, en deux formats d’imago, bénéficie d’une notice circonstanciée et exhaustive et pour de nombreux artistes d’une courte biographie. On peut appeler sur nos écrans ces estampes par technique, par artiste ou par continent. Une escale qu’il faut garder précieusement dans la mémoire de nos portulans.

Enfin, comment ne pas conclure sur la bouteille à la mer qui vient de s’échouer sur la plage de nos écrans. Celle de l’exposition virtuelle du Salon d’automne 2020 qui devait se tenir les 17 et 18 octobre 2020 et qui a été annulé à cause de Confinement II. Dans sa section Gravure, on peut y admirer un imago de chacun des trente-six exposants ainsi que celui d’un hommage à Jacques Houplain (1920-2020). Mais il vaut mieux pour y naviguer se munir d’une embarcation du dernier cri, reliée à un réseau qui ne soit pas cacochyme. Bon vent alors dans toutes ces odyssées stampassines où il est nécessaire de bien choisir ses cartes afin de tracer ses propres routes dont celle publiée ici veut rester un simple choix personnel parmi toutes les possibles.

Claude Bureau