Bas les masques !

Le port du masque, qu’il soit obligatoire ou conseillé, est devenu aujourd’hui un accessoire du visage comme la moustache, la barbe ou les boucles d’oreilles. Nul sommet international sans personnalités masquées où seuls les princes peuvent le mettre bas ! Sur cet accessoire le plus porté au monde, les Éditions de la BnF viennent de publier sous la direction de Patrick Le Bœuf « Masques »,  un ouvrage abondamment illustré à partir des fonds de Bibliothèque nationale de France. Il invite le lecteur à explorer les multiples aspects de cet accessoire remis dramatiquement au goût du jour avec la pandémie de covid 19. Subit et non-voulu, que cache-t-il ce masque, à défaut de protéger ? Comme l’écrit Damien Schoëvaërt-Brossault  : « Bas les masques ! Et montrons-nous tel que nous sommes ! Mais à visage découvert, que révélons-nous de nous-même ? Le visage semble dire avec évidence « je suis celui que tu vois ». Mais à quoi correspond ce que je vois, ou crois voir ? L’autre n’est-il pas toujours bien plus que ce que je peux, ou je veux, en voir ? A-t-on un « vrai » visage sous le masque de chair ? »

« Masques – Transcender, représenter, parader, punir, dissimuler, protéger », ouvrage broché de 220 pages, 140 illustrations, 22 x 27 cm, ISBN/EAN : 978-2-7177-2891-0 / 9782717728910, Paris, les Éditions de la BnF, 2 octobre 2022, en vente au prix de 39 €.

Nota bene : Présentation et signature de l’ouvrage le 8 décembre 2022 à la librairie de la Petite Égypte, 35 rue des Petits Carreaux 75002 Paris.

Claude Bureau

De Gibraltar à La Rochelle

« Le Cadet à la Perle » (détails)
Antoine Masson – Burin (1667)
(Cl : R. Joffrion)

« Sur la piste des chercheurs d’art »
Conférence de Gérard Robin
Président de l’association « Art Puissance 7 Events »
Médiathèque Michel Crépeau
28 octobre 2022

La Rochelle, c’est cette cité chargée d’Histoire, où l’appel du large transpire à chaque pas sur les pavés du port. Ses deux tours vigies, Tour de la Chaîne et Tour Saint-Nicolas qui encadrent une passe, saluent le départ des marins, tous explorateurs du mystère des aventures océanes petites ou grandes. Tout près de la Tour Saint-Nicolas, la Médiathèque Michel Crépeau accompagne au long cours l’expression culturelle de la mémoire du Nouveau Monde et de ses tribulations actuelles dans la diversité de ses créations.Dans ses « Rendez-vous de l’Art », une conférence-diaporama naviguant sur le fleuve de l’estampe, traversant les âges de sa source à la rade Chef de baye ouvrant sur la Mer Oceane par le Pertuis d’Antioche fut offerte gratuitement au public le vendredi 28 octobre 2022.

A 18h30, ce 28 octobre, un public nombreux prend place dans l’auditorium aux fauteuils accueillants disposés en gradins. En silence, une sérénité attentive est perceptible, un gage de qualité. Les membres du collectif rochelais « Quai de l’Estampe », hussards de la gravure charentaise ne manquent pas à l’appel. La conférence-diaporama peut commencer dont le sous-titre « Sur la piste des chercheurs d’art » ne peut qu’interpeller. Le feu vert est donc donné par le régisseur Manuel Groësil qui, par son professionnalisme accordé à une grande écoute et gentillesse, a mis à disposition les outils audio-visuels très performants de la médiathèque. Gérard Robin en scène et Maïté Robin au pupitre dans la régie-cabine entament alors, dans un ballet texte-images parfaitement maîtrisé, la grande et extraordinaire histoire de l’estampe. Texte et visuels chorégraphiés magistralement vont tenir en haleine le public durant 1h30. Ecoutons-voir.

Gibraltar ? On entre dans le dur du sujet avec deux gravures : « La grande promesse » d’André Bongibault, « Chaos cosmique » en guise de commentaire avec en regard la gravure rupestre néandertalienne datée de 37.000 ans avant J.-C. découverte dans la Gorham’s cave à Gibraltar, et l’eau-forte « La fuite » de Claude Tournon, sapiens sapiens moderne, annonce alors « La grande vache noire » gravure rupestre à Lascaux qui sort de l’écran, dans la demi-obscurité de la salle, tant la qualité de la photo est grande. Le ton de la conférence est annoncé !

Gérard Robin nous fait naturellement cheminer jusqu’à la notion de duplication au travers de choix judicieux et parfaitement documentés. Nous chevauchons les siècles, du Mas d’Azil en Ariège, lieu de maîtrise de l’art rupestre, au papier, en passant par les tablettes d’argile, le papyrus, le parchemin, pour aboutir à « la route du papier » partie de Chine il y a 4.000 ans, et nous atteindre enfin au VIIIe siècle après un stop en terres riveraines de la Méditerranée. Stop exploité par les arabes pour propager l’Islam. Toute la conférence sera ainsi sous-tendue par l’incontournable dualité : inventions, progrès technique et impératifs politiques, religieux et sociétaux. La richesse du propos, sa rigueur emportent l’adhésion. De belles enluminures éclairent notre regard sur cette période charnière avant l’éclosion de l’estampe nécessitant une matrice. Dans une remarquable recherche de visuels auprès de grandes institutions comme le « British Museum », la « Bibliothèque de France », le « Metropolitan Museum of Art » à New-York, très peu accessibles au grand public, des œuvres graphiques majeures sont offertes au regard. Il nous est alors proposé des connaissances approfondies sur la définition de l’estampe, les différentes techniques apparues en respectant leur cheminement historique. Ainsi, des reproductions de gravures majeures, comme celles de Jacopo de Barbosa, Dürer, Urs Graf, Cranach, Baldung… nous éblouissent d’autant que la finesse des images permet des agrandissements. Une approche vertigineuse des détails gravés.

Suit une incise majeure, l’imprimerie typographique. L’invention de l’imprimerie à Mayence serait donc allemande. Une approche historique détaillée nous propulse vers le livre, tremplin de l’estampe indépendante avec le livre typographique utilisant les caractères mobiles, images dissociées. Nous voici au cœur de l’inventivité de la création des estampes dans ses techniques à venir. Rien n’est oublié, le papier, la matrice bois, la presse, oui, mais aussi les encres ! Le fil de l’histoire s’arrête un instant avec « Le Péché originel » et le « Calvaire » gravé en bois de fil par Cranach l’Ancien.

Un aparté historique, la chalcographie balbutie avec la transposition de la xylographie et sa taille d’épargne sur le cuivre (gravure en criblé) vite balayée au XVe siècle par une gravure sur cuivre au joli nom de « gravure en taille-douce » réalisée au burin, l’outil des joailliers. Joker ! De grands maîtres de la gravure abattent leurs cartes sur l’écran : le maître E.S, Schongauer, Mantegna… suivront de grands noms, Albrecht Dürer, Jean Duvet que nous découvrons dans « Le Mariage d’Adam et Eve ». Gérard Robin nous y serons habitués jusqu’à la fin de la conférence, nous offre une présentation didactique limpide de la technique du burin détaillée par des visuels épurés. Une clé de lecture supplémentaire des gravures pour les néophytes, mais pas que… peut-être.

À la pointe des inventions en cette fin du XVe et début XVIe siècle, la pointe sèche voit son sillon s’affermir chez les artistes. Les plus grands s’y sont commis souvent en duo avec le burin pour le bonheur de notre regard à l’écran. Et toujours un didacticiel bienvenu. Alors que nous nageons dans l’effervescence du bain des grands noms de la gravure de l’époque, Gérard Robin, avec un art consommé, nous plonge dans l’eau-forte en 1496 avec l’orfèvre Venceslas d’Olmutz, même si bien avant à Damas et Tolède les armes subissaient la morsure d’un mordant à des fins d’ornementation. Tous s’y mettent, de Urs Graff à Daniel Hopfer en passant par Dürer avec « L’Homme de douleur assis ». Nous plongeons alors ensemble dans le bouillon des mordants à forte personnalité pour émerger avec six reproductions sublimes de Dürer, qualité à couper le souffle sur grand écran.

Puis plage historique : relier la gravure à l’Histoire du XVIe siècle nous montre alors que les turpitudes actuelles sont pérennes ! Essoufflés, nous arrivons au XVIIe, traité comme il faut par Abraham Bosse dès 1645. Claude Gelée n’est pas loin et nous nous régalons avec la performance, en vernis dur, de Jacques Callot dans « La Fiera dell’ Impruneta » qui nous donne le vertige. De guerre lasse, en raison de l’affrontement protestants-catholiques, la gravure si prospère en Italie, France et Allemagne migre vers Anvers et Amsterdam. Le poids de l’histoire encore souligné. On se met au service des peintres comme Rubens et Hendrick Goltzius (peintre-graveur). À cet instant, la tête nous tourne, là où l’estampe de Goltzius est à sens renversé par rapport à l’huile « Dragon devant les compagnons de Cadmus » de Cornelis Cornelisz van Haarlem. Excellente touche pédagogique.

Une « perle » sortie des réserves de l’Artothèque de la médiathèque de La Rochelle nous est offerte sur le plateau de la scène et à l’écran : « Le Cadet à la Perle », un portrait de Henri de Lorraine, comte d’Harcourt, au burin en 1667 par Antoine Masson. Exemple intégral des possibilités acquises au burin pour magnifier la peau, le métal, les étoffes. Vertigineux. Bluffés seront les regardants qui s’approcheront de l’œuvre en fin de conférence.

En ce XVIIe siècle, tournant majeur, sur lequel la conférence s’attarde logiquement, chaque artiste, maître de ses techniques : burin, pointe sèche, eau-forte à toutes ses sauces (au vernis dur ou mou, à l’aquatinte) rivalise de prouesses, nous laissant un trésor d’œuvres majeures dont un témoignage historique comme la « Ratification du traité de Munster » au burin (1650) par Jonas Suyderhoef. De grands noms éclaboussent l’écran dont Claude Mellan, qualifié aujourd’hui d’« ayatollah du burin », avec « Le Cardinal de Richelieu » bien connu des Rochelais, et surtout pour « La Sainte Face » qui nous fait tourbillonner comme sur des patins à glace dans des arabesques où aucune trace ne se croise. Pour ne pas être en reste, un contemporain, Rembrandt nous conquiert alors avec ses trios : eau-forte, pointe sèche, burin, ou duos ou soliste comme : « Rembrandt gravant ou dessinant près d’une fenêtre », « L’Espiègle », « Autoportrait en mendiant ». Un réalisme confondant.

Avec subtilité le conférencier. nous fait alors quitter les rives des traits et hachures pour nous guider vers le clair-obscur en demi-teinte qu’est la manière noire apparue en 1642 avec Ludwig von Siegen. Moment émotion ! Sa gravure « Elisabetha » reine de Bohème (1643), témoigne de la naissance de cette technique dont les arcanes nous sont dévoilés avec force illustrations. Dénichées au « British Museum », des reproductions en gravure de portraits de maîtres tels que John Hoppner et Willem van de Velde II, par Wallerant Vaillant, William T. Annis, George Clint et les paysages de Francis Seymour Haden nous transportent outre-Manche où le mezzotint fait florès en noir et blanc.

L’écran qui mérite la couleur s’illumine alors avec le prisme d’Isaak Newton et Jacob Christoph Le Blon qui s’empare du spectre bleu, jaune, rouge pour encrer trois plaques gravées différemment et procéder au tirage, jouant ainsi sur le jeu des couleurs complémentaires par superposition. Le tour est joué et Jacques-Fabien Gautier d’Agoty, son élève, applique la recette avec bonheur en ajoutant une quatrième plaque encrée en noir pour augmenter le contraste. La quadrichromie est née, elle rayonne à l’écran avec « L’Ange anatomique », planche célèbre de son « Traité de Myologie ». En dessert, pour récompenser notre capacité d’écoute, « Le bol de fraises » en trichromie de Laurent Schkolnyk, graveur contemporain.

« L’Ange anatomique »
Jacques-Fabien Gautier d’Agoty – manière noire couleurs (1746)
(Cl : Rémy Joffrion)

Naturellement, nous ne pouvons pas échapper à Louis XIV, le roi soleil, pour la gravure ! La preuve par trois. Un : « Le Cabinet du roi » en 23 volumes donne du pain sur la planche à une armée de graveurs de talent dont Claude Mellan avec à l’écran une gravure en majesté « Le Code Louis XIV ». Deux : L’Édit de Saint-Jean-de-Luz du 26 mai 1660 qui, chacun sait, fut un tremplin royal offert à « Manifestampe » pour sa « Fête l’estampe ». Trois : Tambour ! « L’Académie des Sciences et des Beaux-Arts », imaginée et gravée par Sébastien Leclerc. L’Histoire donne parfois un coup de pouce à la création !

La gravure se réinvente toujours. Nous attendons fébrilement la suite, toujours au XVIIIe siècle que nous sommes. Courage ! Une éclaircie. L’aquatinte voit le jour, plusieurs graveurs s’y essaient en concurrence comme Jean Adam Schweikard et Jean Baptiste Le Prince. La projection nous éclaire magistralement sur cette technique, égayée avec Jean-François Janinet dans « Les Trois Grâces » et « La Toilette de Vénus » où la douceur du rendu est palpable. Parallèlement, de Castiglione le Génois à Benjamin Green le Britannique, la gravure au vernis mou s’affirme. L’eau-forte dans toutes ses déclinaisons a ses heures de gloire avec Tiepolo, Canaletto, Piranèse, Goya… sous l’œil influenceur des peintres comme Boucher, Fragonard. Nos yeux s’embuent. Pas de chômage, c’est le temps de « l’Encyclopédie Diderot-d’Alembert » aux 35 volumes dont 12 de planches. Encore un siècle à marquer d’une pierre blanche !

Avec gourmandise nous voilà propulsés dans le XIXe siècle où la pierre de Solenhofen s’impose avec Senefelder, écrivain en mal d’édition. La lithographie est née. Verbe et images nous font découvrir les méandres complexes de cette technique à l’ombre de la « Bête à cornes », la presse permettant dorénavant le tirage de superbes lithos comme « Fiametta » (1866) de Auguste Lemoine et « The Lake » (1918) de Bolton Braun.

Le bois n’a pas dit son dernier mot. Il se redresse. « Le bois debout » gravé au burin en taille d’épargne voit le jour à Constantinople vers 1705 avec l’Arménien Grigor Marzwantsi. Popularisé 70 ans plus tard par le britannique Thomas Bewick, c’est un progrès considérable pour la gravure d’illustration grâce à la finesse des tailles au burin dans des bois très durs tels que le poirier et le buis. On doit son apparition en France à Ambroise Firmin-Didot. Des reproductions pertinentes illustrent le propos, sublimées par « Une histoire intime » du contemporain Jean-Marcel Bertrand. Avec les applications de l’estampe nous parcourons l’histoire et les paysages rochelais au travers du timbre-poste, de la cartographie… Les Rochelais, comblés, cheminent alors sur le port, dans les rues avec Octave de Rochebrune et Léon-Auguste Asselineau, puis avec des lithographies propres à attirer les touristes. Un clin d’œil aux graveurs du « Quai de l’Estampe » présents par les eaux-fortes de Philippe Cattelin représentant la Tour St Barthélémy, qui fut un temps l’hébergement de leur atelier.

Un rappel résumé de l’estampe de « fonction » nous remémore le cuisant revers subi avec l’apparition de la photographie. Mais l’estampe va rebondir avec l’estampe dite « originale ». Elle va conquérir le monde dont nous découvrons quelques belles réalisations des Inuits aux Aborigènes, en passant par le Japon…

À l’écran, une synthèse nous remémore tout le chemin parcouru. 50.000 ans. Pensez-donc, et tout cela en 90 minutes ! Les techniques récentes : la sérigraphie, la collagraphie, l’héliographie au grain et la digigraphie n’ont pas été développées… faute de temps. Révisons enfin les attributs d’identification des estampes. Gérard Robin pense à tout ! La conférence ferme ses volets sur une citation de Paul Valery, éloge aux graveurs.

Regard sur « Le Cadet à la Perle »
(Cl. Rémy Joffrion)

Mais… en bonus, un portfolio présente quelques 40 estampes contemporaines aux expressions artistiques diverses, avec un discret hommage posthume à Hélène Nué, tout récemment disparue, par « Attente » et un ex-libris « Cachou, le chat », deux burins sur cuivre. « Le Cadet à la Perle » attend le regard du public persuadé d’avoir participé à un voyage de grande qualité sur l’immense fleuve de l’estampe. Merci Gérard, merci Maïté.

Rémy Joffrion

Derrière les paupières

« Série rouge », ensemble de sérigraphies (65×55 cm) 2009 (Cl. C. Valentin)

BnF: Françoise Pétrovitch, Derrière les paupières
Site François-Mitterrand – Galerie1
Quai François-Mauriac, Paris 75013
18 octobre 2022 – 29 janvier 2023
mardi – samedi 10 h > 19 h, dimanche 13 h > 19 h, fermeture lundi et jours fériés

La Bibliothèque nationale de France met en lumière l’œuvre graphique et imprimé de Françoise Pétrovitch en exposant un remarquable ensemble dont certaines pièces sont montrées pour la première fois. Une occasion unique pour se plonger dans la démarche expérimentale de l’artiste à travers des techniques qui lui sont familières. « Elle a été initiée à la gravure dès l’âge de 15 ans lors de sa préparation au brevet d’art graphique. Elle intègrera la section arts appliqués de l’École normale supérieure de Cachan avant de compléter sa formation en taille-douce dans l’atelier de Michel Henri Viot. »

Autant dire qu’elle aborde ce médium en artiste confirmée avec une maîtrise évidente, une fluidité et une porosité des techniques libre et vivante. Son approche est celle d’une artiste boulimique, avide d’expérimentations, comme si le passage d’une technique à l’autre était un élément libérateur de son inventivité, à partir de ses sujets de prédilection qui reviennent sans cesse. Elle n’assujettit pas la technique à son contenu, c’est l’inverse qui l’intéresse : « J’ai cru un moment donné que le sujet commandait ses techniques, je me suis rendu compte que non », dit-elle simplement. Les sujets, enfants, adolescents, gants, animaux, restent donc à l’état de motifs dont il ne reste que le cerne dans lequel la technique va s’exprimer avec la plus grande liberté. Son rapport à la technique semble donc être son sujet, en un premier temps, une règle du jeu qui va convoquer toute les techniques de gravure avec une grande jouissance ludique contenue par la rigueur qu’impose chaque procédé. Cela donne lieu à un trait délicat et poétique en gravure taille-douce, un travail des surfaces précis et vibratoire dans l’aquatinte, des variations et densités de couleur très maîtrisées qui montent dans la sérigraphie.

Dans les lithographies, une dimension picturale fait écho à ses encres sur papier également présentes dans l’exposition. Les imperfections de la pierre vont servir à mettre en valeur la matière liquide traitée de façon picturale et librement déposée sur la matrice dans un geste rapide et sûr.

« Garçon au squelette » lithographie (160×120 cm) 2016 (Cl. C. Valentin)

Françoise Pétrovitch joue, et elle à la grâce de faire partager son amour de la matière avec les nombreux artisans avec lesquels elle œuvre. Car cette travailleuse acharnée chasse en meute, elle se nourrit de ses expérimentations et construit pierre par pierre en échangeant avec les nombreuses structures partenaires qu’elle sollicite et qui la suivent, passant d’une structure spécialisée dans une technique à une autre. Elle construit aussi sûrement sa carrière qu’elle fait monter les densités de couleur dans ses lavis d’encre sur papier. Elle fédère avec intelligence autour d’une vision du monde plutôt fine, non dépourvue d’humour parfois (elle insère une ancienne photo de jeunes rugbymen testostéronés dans une lithographie représentant un gant féminin, peut-être de velours, déserté par une main, peut-être de fer). Une vision ouverte et non clivante, laissant libre cours aux interprétations de chacun sur le contenu. Un travail incessant, passant d’un médium à l’autre, peinture, céramique, dessin, gravure, livres d’artiste, abordé avec une finesse d’observation sur ce qui l’entoure qui laisse l’observateur en balance, entre la simplicité précise de son trait, sa maîtrise technique, son imaginaire délicat et son attrait pour les fausses simplicités de la vie dont elle expérimente l’incidence par la matière, à travers des témoignages tout aussi simples et délicats.

« Vue VIII » lithographie et collage 2018 (Cl. C. Valentin)

C’est peut-être dans ses livres d’artiste qu’on distingue le mieux les liens qu’elle tisse avec ceux qu’elle observe et avec lesquels elle peut dialoguer. Ses impressions offset ou gravées sont autant de conversations décalées avec des textes qui la touchent. Dans le recueil « j’ai travaillé mon comptant », elle dessine dans l’espace d’un livre d’artiste ce que lui inspirent les témoignages doux-amers de retraités sur leur vie de labeur, recueillis lors d’une résidence dans une maison de retraite à Hennebont dans le Morbihan. Des lectures très diverses peuvent susciter son intérêt comme la correspondance entre Calamity Jane et sa fille, elle a réalisé en dialogue avec cette lecture des linogravures, photogravures, gravures en taille-douce et typographies qui ont donné lieu à un livre d’artiste éponyme en 2016.

« Calamity Jane » livre d’artiste détail 2016 (Cl. C. Valentin)

Rien d’invasif, a priori. Mais une réalité parallèle instillée à petites doses, à partir de ce qui pourrait apparaître comme des points de détail, un monde qui n’est pas si docile qu’il y paraît et qui dévoile une intériorité silencieuse et ambiguë que chaque recherche compulsive expérimentant techniques, matières, échanges, couleurs, procédés semble éloigner chaque fois un peu plus d’une définition stable de ce qui touche à l’existence.

À la BnF F. Mitterrand  jusqu’au 29 janvier 2023

Christel Valentin

Nota bene :
– L
es citations de cet écho sont tirées de l’introduction de Cécile Pocheau Lesteven (conservatrice en chef au département des estampes et de la photographie à la BnF), publiée dans le catalogue de l’exposition. Ce catalogue est co-édité par la BnF et le Fonds Hélène & Édouard Leclerc, un ouvrage de 18 euros, 230 x 270 mm, 80 pages, 100 illustrations environ, bilingue.
– Michel Henri Viot a fondé en 1976 et animé jusqu’en 2011 l’atelier de gravure de l’ENS Cachan où Françoise Pétrovitch a été étudiante pendant deux ans.