Salon d’Automne 2018

Salon d’automne
25 au 28 octobre 2018
Avenue des Champs-Élysées
75008 Paris

François Cheng, de l’Académie française, commence ainsi l’éditorial du catalogue du Salon 2018 : « Salon d’Automne. Ce nom est proprement magique par sa sonorité… Il l’est également par l’image qu’il évoque. L’automne est bien la saison où la nature atteint sa plénitude de formes et de couleurs. »

Une comparaison qui lie, depuis 1903 – et cette année encore -, la 115e édition de cette grande manifestation située depuis quelques années sur les Champs Élysées, dans de grandes longères bâchées et toilées, et orchestrée par sa présidente, Sylvie Koechlin. Et, parmi les 850 artistes exposants qui alimentent les onze sections principales du salon, pas moins de 84 artistes « estampiers » étaient présents, auxquels s’ajoutaient ceux du livre d’artiste (soit un total d’amoureux de l’image gravée qui dépasse les 90).

Un espace réservé à l’estampe (Cl. Gérard Robin)

Les artistes de la section gravure se partagent cinq rubriques : burin et pointe sèche, eau-forte au trait et de teinte, manière noire, techniques mixtes et spécifiques, xylographie et linogravure.
Il n’y a pas la place ici pour les nommer tous, hors bien sûr, déjà, la sélectionnée du J.G.S A. 2017, le prix Jeune Gravure, initié en 1987 par le président de section Claude-Jean Darmon : María Chillón, adepte de la taille à l’outil, et qui dispose de ce fait d’un espace personnel d’exposition.

Espace Maria Chillón (Cl. Gérard Robin)

Pour avoir assisté et participé à l’accueil des artistes et à la mise en cimaises des œuvres, au préalable disposées en désordre au long des cloisons lors de leur réception, la transformation visuelle des lieux, après l’accrochage par l’équipe des bénévoles présents sous l’œil avisé du président, devient presque surprenante tant l’ensemble met en valeur les estampes de chaque exposant.
Car, si la gravure est un lieu à part dans une manifestation pluridisciplinaire d’arts plastiques, elle l’est non pas par sa seule singularité esthétique, mais surtout ici dans son organisation en cimaises, par la mise en place avisée des œuvres, avec la respiration nécessaire entre chacune, l’harmonie des relations graphiques, le respect d’une présentation d’ensemble des sept espaces dédiés à l’estampe. Et, cela, selon le choix judicieux du président, mais aussi émanant des avis des uns et des autres artistes participant à l’accrochage. Au final, agrémentée de quelques belles sculptures, c’est un bel espace, avec pour le public allant et venant dans la grande travée centrale une ambiance apaisante, à laquelle s’ajoutent un niveau et une diversité qui montrent une fois encore la vitalité de la gravure contemporaine.

Un autre espace de la section gravure (Cl. Gérard Robin)

À noter aussi, en fin de salon, l’attribution de diverses récompenses, comme le prix Taylor pour le grand bois gravé « Typhon », de Nathalie Van de Walle ; le prix des Amis du Salon d’Automne pour la grande taille-douce en eau-forte et pointe sèche « Sous l’arbre » de Zafet Zec, et le prix Jean Anouilh, décerné par la fille du dramaturge, Colombe Anouilh d’Harcourt, à Sylvie Abélanet et ses eaux-fortes « Vallée de la Perplexité » et « Vallée de la Plénitude II ».

Points d’orgue de la manifestation, le samedi 27 octobre, plusieurs faits marquants : Celui d’une intéressante conférence-projection de Claude-Jean Darmon, axée sur l’estampe d’interprétation d’hier et d’aujourd’hui, dans laquelle il propose des remarques pertinentes et originales. Puis, celui de la projection du récent film de Bertrand Renaudineau et Gérard Emmanuel da Silva, – tiré de leur collection de documentaires : « Impressions fortes », consacrés à des gravures allant du passé à la période actuelle. Le thème choisi ici évoquant la technique dite du « clair-obscur », qui marque les débuts au XVe siècle de la gravure en couleurs en taille d’épargne, en s’articulant autour d’une estampe d’interprétation, « Diogène et le bipède sans plumes », crée par l’Italien Ugo da Carpi d’après le Parmesan. Enfin, pour clore la soirée, celui de l’interprétation d’une sonate posthume de Franz Schubert, par l’excellent pianiste d’ascendance persane Nima Sarkechik. Un final brillant, beau complément en adéquation avec les propos du conférencier.

Gérard Robin

Portraits de famille

Galerie Schumm-Braunstein
9 rue de Montmorency
75003 Paris
14 septembre-20 octobre 2018

Certains connaissent beaucoup plus Éric Fourmestraux par ses estampes que par les autres domaines artistiques dont il use pour s’exprimer. Amoureux de la chose imprimée et passionné de typographie, il met souvent en scène l’estampe dans des ensembles multiformes particulièrement bien construit à dessein. Cette récente exposition personnelle : « Portraits de famille », le montre d’autant plus qu’il a su, ici, fendre l’armure de son graphisme impeccable et laisser poindre ses passions, ses douleurs, ses amours qui s’entremêlent au fil du temps et que cette mise en espace rend d’autant plus poignantes.

Dès l’entrée de la galerie, le fac-similé photographique de la monumentale cheminée du château du Plessis-Trévise donne le ton. Le visiteur n’entre pas là dans le badin. Deux, voire trois, visages le regardent. « Le troisième jour (à Philippe F.) », pointe sèche toute en tailles douces sur fond immaculé, expression pensive et quelque peu inquiète. L’un dans le médaillon mouluré du manteau de la cheminée ; l’autre en un puzzle qui s’éparpille sur le rideau de fer de l’âtre, rideau tombé définitivement sur la vie de son père dont la main droite protège son regard vers ceux qu’il a aimés.

En entrant (Cl. Éric Fourmestraux)

Presque face à face, entre l’entrée et la devanture, un grand portrait en pied, sa mère, lui répond : « Rester debout (à Françoise F. née Bégué) », pointe sèche gravée sur briques de lait déployées. Une évocation sensible et pudique de la volonté et du désespoir face au naufrage de la vieillesse et de la maladie.
Puis, sur la gauche, dans la lumière de la vitrine, vibre comme en contrepoint de cette vie cessante, le séduisant portrait aux crayons d’une pulpeuse repasseuse, Juliette, son amoureuse, qui semble vouloir lisser avec son fer le portrait d’une autre repasseuse qui a été roulée par le destin.

En respiration, une série d’estampes de petit format se proposent à la vue : des portraits à la pointe sèche qui associent à chacun un objet familier ou préféré, le tout siglé du point rouge d’Éric. Parmi eux, toujours, celui de Juliette accompagnée d’un flacon de parfum au ventre arrondi. D’autres œuvres, plus ou moins discrètes, disposées ça et là entre quelques antiques portraits de famille.

Au fond de la galerie, on s’arrête volontiers pour de nombreux instants devant l’étrange machinerie de Patrick Tresset qui frétille, trépidante et lancinante, face à un Éric Fourmestraux immobile et stoïque. L’automate, avec ses capteurs affolés et ses bras articulés, lui tire trois portraits-robots dont l’un a été reproduit, trait pour trait, par Éric.en trente estampes intitulées : « EF par Patrick Tresset ». La notion de portrait est ainsi mise en un abîme où un automate portraiture l’artiste qui reproduit manuellement le dessin mécanique du robot sur une estampe, tel un possible auto-portrait automatique de l’artiste et ainsi de suite…

En sortant (Cl. Éric Fourmestraux)

Enfin, au sortir de la galerie, ne pas rater, non la marche, mais en pivotant de 270° sur la droite, collée sur le mur extérieur de la galerie et offerte aux regards des passants, une frise en reprise des images imprimées par Éric Fourmestraux, frise où, avec le temps, tout passe, trépasse et s’efface.

Une exposition qu’il ne faut pas manquer même pendant le fric-frac de la Fiac.*

Claude Bureau

* Allusion à une autre œuvre présentée et accrochée à une patère : « é(f)ric et fiac », taille d’épargne et découpe, 74 exemplaires.

Noirs et Couleurs

« Noirs et couleurs »
La taille et le crayon
Fondation Taylor
1 rue La Bruyère 75009 Paris
4 au 27 octobre 2018

Ce mois d’octobre 2018, la Fondation Taylor à Paris se distingue et brille des couleurs d’artistes plasticiens notoires, tels les peintres, Esti Levy et Ljubomir Milinkov, et le sculpteur, Zheng Zhen Wei. Une belle découverte plurielle à faire, s’y ajoutant les noirs de l’une des grandes signatures de l’estampe : Nathalie Grall.

Nathalie Grall : « Le minois du minou »,
roulette électrique et burin sur chine appliqué (Cl. Gérard Robin)

Celle-ci offre au regard, sur les cimaises du rez-de-chaussée, un florilège de ses créations, des plus anciennes aux plus récentes, plus d’une trentaine de gravures, où excelle le burin, ici et là allié au diamant ou au berceau et au grattoir. De l’efflorescence de signes à des silhouettes élégantes et fluides, de « L’envolée de l’embellie » à « Le minois du minou », tout un imaginaire sensible qui chaque fois enchante. Ainsi qu’elle l’écrit : « Être graveur, c’est pour moi un moyen de capter les signes fugitifs de la vie et de les transcrire sur le cuivre ». Une gravure originale, qui porte sa griffe quelle que soit la diversité graphique des créations, et où elle est sans doute plus peintre que dessinatrice. Car ne dit-on pas qu’elle aime porter son dessin, directement sur le cuivre, à l’aide du pinceau et de la gouache, pour ensuite figer la spontanéité à l’outil de taille ?

Kiyoshi Hasegawa : xylogravures (Cl. Gérard Robin)

Ensuite, dans l’atelier, au quatrième étage, « Noirs et couleurs » sont un autre grand rendez-vous à ne pas manquer, proposé par « La taille et le crayon » et concocté par son nouveau président, Carlos Lopez, et son équipe. Sous ce titre même, autour d’un hommage à Kiyoshi Hasegawa, – présent au travers d’un bronze sculpté par Georges-Louis Guérard en 1973 -, et dont on découvre des gravures inédites en taille d’épargne de la période 1913-1932, six invités sont à découvrir ou redécouvrir.

Vue partielle de l’exposition (Cl. Gérard Robin)

Ainsi : Baptiste Fompeyrine, auteur de belles images colorées qui mettent en scène, – comme lui-même l’écrit -, les figures et les mystères qui peuplent ses jardins de souvenirs.
Didier Hamey, dont la pointe sèche génère, au travers du plexiglas initial, des scènes oniriques et surréalistes, toutes empreintes de poésie, où souvent flirtent ou s’épousent l’animal et le végétal.
Dominique Neyrod, touchée par la nature dans ses rythmes, ses structures et ses teintes, des perceptions qu’elle exprime avec vigueur, telle la peintre qui sommeille en elle, au travers des eaux-fortes au trait et de teinte.
Sylvain Salomovitz, dont les tailles d’épargne sont un peu à l’image de ses aquarelles, denses et fortes, et dont il maîtrise l’impression tant à la presse qu’au frotton et même à la cuillère.
Raúl Villulas, également adepte de la taille d’épargne, celle du bois de fil dont il ne refuse pas les défauts de structure, pour accompagner ou renforcer des évocations de caractère, où l’élément humain croise parfois des oiseaux à l’apparence hitchcockienne.
Suo Yuan Wang, orfèvre de cœur, qui transcrit son imaginaire en taille-douce, par l’eau-forte au trait et de teinte, cela dans une expression dynamique indéfinissable, sublimée par le noir ou le gris des fonds, dans des compositions qui semblent des méditations, que l’on imagine culturellement inspirées des fondements d’espace et de temps qui composent notre univers.

Gérard Robin