Rencontre avec la science et l’art

Musée Bernard d’Agesci
26 avenue de Limoges
79000 Niort
Fête de la science : du 5 au 13 octobre 2019
François Verdier : du 1 octobre au 3 novembre 2019

Première originale au Musée Bernard d’Agesci de Niort qui, pour l’ouverture de la Fête de la science, a fait appel à l’art, accueillant à la fois une conférence sur l’estampe, complétée de séances d’impression taille-douce, et organisé une exposition sur un artiste graveur notoire de la ville et professeur de gravure : François Verdier [1945-2014]. Une belle manifestation, dans le cadre lumineux du grand hall du musée, où la façade est une immense baie vitrée semée dans sa partie supérieure de petits carrés verts, symboles des lentilles d’eau du marais poitevin proche. Ajoutons à cela les présences d’un bronze central du XVIIe siècle, dit “Apollon du Belvédère” (d’après l’Antique), attribué à Hubert Le Sueur [c.1580-c.1658], et deux beaux plâtres du XIXe siècle, d’un sculpteur local, Baptiste Baujault [1828-1899], et l’on est déjà sous le charme d’un lieu de rencontre exceptionnel.

Façade du musée (Cl. Gérard Robin)

L’exposition “estampière”, en symbiose avec la science et, pour le présent, l’ornithologie, est illustrée de spécimens sur le thème de la collection d’Histoire naturelle du musée. On est confondu par le talent de l’artiste François Verdier, tant sur les œuvres oiselières en cimaises, inscrites dans le papier, que dans la vision des tailles qui animent dans la lumière les planches de cuivre présentes. S’y ajoute, sous le regard de l’Apollon, une presse taille-douce, voisinant avec un présentoir d’outils et de produits de la chimie des diverses “manières”. De quoi déjà répondre à nombre d’interrogations des visiteurs !

Le vernissage se fit autour de l’épouse de l’artiste, Marie-Hélène Verdier, et en présence de personnalités locales : Élisabeth Maillard, vice-présidente de l’Agglomération du Niortais, en charge de la culture et du patrimoine historique ; Laurence Lamy, conservatrice en chef du patrimoine et directrice du musée, âme de la manifestation ; Stéphanie Auger-Bourdezeau, attachée de conservation des collections, et Rémy et Michèle Joffrion, anciens élèves du maître. Des instants chargés d’émotion, où la figure emblématique locale de François Verdier fut évoquée, en partie dans son art, éclatant dans les œuvres présentes, mais surtout dans son action pédagogique, car il fut professeur de dessin et de gravure à l’École municipale d’arts plastiques de Niort, et forma des graveur(e)s dont plusieurs sont devenu(e)s de belles signatures de l’estampe. Un être de caractère qui fut marqué par la rencontre en 1977 d’un peintre-graveur lyonnais, Marc de Michelis, prix de Rome de gravure [1966], qui le sensibilisera au dessin et l’initiera à l’eau-forte et à la pointe sèche ; puis par celle en 1984 d’Albert Decaris [1901-1988], Premier prix de Rome de gravure [1919], qui le confortera dans l’usage du burin.

Le grand hall avec la presse (Cl. Gérard Robin)

Son œuvre est considérable : plus de 1000 gravures ! Dont le catalogue raisonné serait en cours, attendu dans l’impatience que l’on devine.
Je pourrais y ajouter, concernant son enseignement, le témoignage d’anciens élèves, qui en ont gardé le souvenir vivant : « François Verdier accompagnera longtemps encore ses très nombreux élèves, comme une vigie, une référence, un engagement. Chacune de leurs gravures sera dorénavant prétexte à le questionner… de loin ! “Ai-je gravé l’essentiel, une idée-force s’impose-t-elle ?”. Ses sourires, ses silences, ses agacements, ses encouragements, ses piques pertinentes et traits d ‘humour habiteront toujours nos inquiétudes sur la matrice, souvenir de cette émulation joyeuse “au cul de la presse”, où les échecs révélés étaient toujours une promesse de réussite… François Verdier, une exception ! ».

« La bécasse aux épagneuls » François Verdier (Cl. Gérard Robin)

Que dire de plus ! Le vernissage de l’exposition porta la marque de son souvenir. Une impression forte ! Plusieurs de ses élèves, que l’on rencontre souvent dans les salons, étaient présents, de même que Cédric Neau, actuel professeur de gravure à l’école d’arts plastiques de Niort, qui anime un atelier d’une vingtaine de graveurs, répartis en deux sections, sachant qu’il y a aussi une liste d’attente pour une troisième… Tout ceci pour montrer la vitalité de l’estampe en région niortaise.
Et la manifestation de se poursuivre les lendemain et surlendemain, sous les yeux des visiteurs de l’exposition, par des démonstrations d’impression taille-douce qui ajouteront la dynamique du savoir-faire des acteurs, Michèle et Rémy Joffrion. Initiative notable, convier la responsable des collections, Stéphanie, à revêtir le tablier des imprimeurs, – une première pour elle -, et, sous la conduite conjointe des intervenants, expérimenter les diverses phases d’une impression : de l’encrage au paumage jusqu’à la phase finale du passage sous presse.

Une action totale et spectaculaire, riche d’enseignements… De quoi bouleverser chez beaucoup la perception de l’art de l’estampe, – en sus des explications techniques des deux intervenants sur les différentes formes de gravure -, et cela tant pour l’officiante que pour le public présent (adultes et enfants). Et Rem d’ajouter : « Nous remercions Stéphanie de s’être prêtée à l’expérience, s’y impliquant volontiers et totalement, jusqu’à sentir le geste qui va conduire à la naissance de l’estampe ; son intervention fut géniale vis-à-vis du public, qui a pu ainsi vivre une véritable leçon d’impression, propre à lui faire appréhender la technicité de cette étape incontournable : le transfert de l’encre de la matrice à l’estampe ». Au final, une belle initiative des artistes niortais, soutenue, il faut le dire, par les instances du Musée Bernard d’Agesci.

Gérard Robin

Estampes XXL

« Estampes monumentales XXL »
du 25 mai au 15 septembre 2019
Musée des beaux-arts de Caen
Le Château
14000 Caen

Sous ce titre choisi par le Musée des Beaux-arts de Caen, ont été exposés des artistes parmi les plus connus du public comme Alechinsky, Baselitz, Serra, Tapies, Brown, Dine, etc. aux côtés d’autres plus jeunes : Marie-Ange Guilleminot, Christian Schwarzwald, Patrick Gabler, Julie Mehretu, Christiane Baumgartner, Djamel Tatah, Frédérique Loutz, Claude Closky, Agathe May et Bruno Hellenbosch. L’estampe classique, telle que nous la connaissons, est bousculée par leurs recherches sur les supports, certains parfois surprenants (tissu d’ameublement, papier peint ou encore caoutchouc), par la notion de multiple et le mélange des techniques.

« Sixième journée » de B. Hellenbozch (Cl. Christine Moissinac)

À l’entrée du musée, une œuvre de B. Hellenbosch, ou plutôt le dixième d’un travail monumental (100 plaques de bois réunies 10 par 10), inspiré par le Décaméron de Boccace et sa structure décimale. Dix journées donc, chacune composée de dix thèmes faisant appel à dix narrateurs. Ici, la sixième journée : autour du Don Quichotte de Picasso, où abondent librement de multiples éléments visuels issus d’autres histoires souvent puisées dans notre mémoire et parfois venus de loin.

Un des panneaux de « Bruit de fond » (Cl. Christine Moissinac)

En parallèle, à la galerie Mancel, neuf étudiantes de l’Esam Caen/Cherbourg présentaient « Bruit de fond » constitué de cinq matrices de bois gravées encrées en noir de 2m50 de côté chacune : Amélie Asturias, Elisa Bertin, Lucille Jallot, Haniyeh Kazemi, Jéromine Lancial, Salomé Lapleau, Margaux Le Pape, Sonia Martins et Adèle Vallet nous invitent à nous pencher sur notre civilisation et les vestiges qu’elle engendre, sujet tout à fait d’actualité.

Christine Moissinac

Synchronies invisibles

« Synchronies invisibles »
Fondation Taylor
1 rue La Bruyère
75009 Paris
du 5 au 28 septembre 2019

Fidèle à son goût pour les manifestations internationales, l’association « Graver Maintenant » a conçu, avec l’université Feevale de l’État de Rio Grande do Sul, un projet d’échanges France – Brésil dont le résultat est une singulière exposition.

Superbement installée dans l’atelier des quatrième et cinquième étages de la Fondation Taylor, Synchronies Invisibles intrigue le visiteur. S’il n’est pas averti, il sera sans doute troublé au premier abord, comme le suggère la première de couverture du catalogue.

Vue plongeante de l’atelier (Cl. Josiane Guillet)

L’accrochage propose des groupes de trois unités : une gravure encadrée (qui figure sur la « bonne page » du catalogue), une seconde gravure sans cadre, et un fragment de gravure dont on se rend assez vite compte qu’il est un extrait de la seconde. Le cartel indique d’abord le nom de l’artiste dont l’œuvre est encadrée, et, en dessous, celui de l’autre estampe. On s’interroge sur la raison d’être du fragment, puis germe l’idée qu’il y a un lien à découvrir entre l’œuvre encadrée et ce morceau d’estampe.

Le spectateur tente alors de reconstruire le parcours de l’artiste qui a reçu l’extrait original d’une gravure inconnue et en a fait, chacun à sa manière, le point de départ d’une nouvelle œuvre. La lecture des œuvres devient aussi stimulante que le défi représenté par ce carré dont on devine qu’il a pu susciter, après examen attentif et décryptage technique, perplexité, agacement ou enthousiasme chez le destinataire.

Trois des trente-deux œuvres accrochées (Cl. Josiane Guillet)

Se projeter dans le carré, chercher des indices et des correspondances, mobiliser son énergie créatrice pour être, parfois, entraîné loin des chemins habituels ; chacun des trente-deux artistes a rédigé un texte qui témoigne de son expérience. La Brésilienne Lurdi Blauth, initiatrice du projet, a repris la couleur, abandonnée depuis une décennie, en travaillant à partir de l’extrait de gravure de Dominique Moindraut. L’urubu de Clair de lune de Nara Amélia Melo da Silva entre en résonance avec l’image spéculaire d’Isabel Mouttet. L’estampe de Christine Gendre-Bergère, inspirée par le contexte champêtre d’Arlete Santarosa, dénonce l’usage mortifère des pesticides en détournant un tableau de Courbet. Michèle Atman s’attache au jeu du blanc et du noir de la Brésilienne Clara Bohrer pour exprimer sa propre dialectique du « blancgrisnoir ». Marinês Busetti adopte le carré de Pascale Simonet pour en faire le module de création d’une matrice complexe.

Le flou se dissipe progressivement dans le regard du visiteur, les liens apparaissent, les images se combinent, les synchronies se dévoilent (ou non) et la quatrième de couverture du catalogue, métaphore de la visite, devient alors lisible.

Josiane Guillet