Journée des défunts

Convoi funèbre au boulevard de Clichy
par Félix Buhot (Cl. Gérard Jouhet)

Ce lundi 2 novembre 2020, c’est comme chaque année la « Journée des défunts », je préfère cette dénomination à la « Fête des morts ». C’est l’occasion de vous présenter deux gravures qui sont dans l’esprit de cette date. Tout d’abord : « Convoi funèbre au boulevard de Clichy » par Félix Buhot (1887). De toutes les gravures sur Montmartre par Buhot, c’est de mon avis la plus belle et aussi la plus rare (hormis peut-être pour la rareté « Montmartre le 14 juillet 1892 »). Eau-forte, pointe sèche et aquatinte. Les œuvres de Buhot sont rarement numérotées, il est difficile de donner la quantité d’épreuves tirées. Le texte que l’on trouve en bas à gauche de la gravure :

« Insouciant Flaneur, ennemi des Chloroses*
Ce croque-mort défunt trouvait plaisant de voir
Sur des ciels Parisiens aux tons bleus gris ou roses
Deux ou trois corbillards se détacher en noir
Félix Buhot 1887 ».

Sur la gravure, le convoi tourne pour entrer dans l’avenue Rachel où se trouve l’entrée du cimetière de Montmartre. Le lieu est parfaitement situé avec sur le bâtiment l’inscription du magasin « À la Place de Clichy ». Le pont Caulaincourt n’existe pas encore, le projet est mis en chantier en 1888. Ici ce que l’on nomme les marges symphoniques sont très discrètes par rapport à d’autres gravures de Buhot. En haut essentiellement, plus à gauche et à droite, on voit des cigognes en vol. Autrement quelques fleurs et feuilles. Les hiboux dans l’arbre, que symbolisent-ils ? La sagesse, la mélancolie, la mort, je vous laisse décider. On retrouve régulièrement dans ses gravures des humains malmenés par les éléments.  Il vient de pleuvoir et il fait froid, un vrai temps de novembre.

Il existe trois états de cette gravure, ici le second état (a priori) avec un fond légèrement bleuté. Sous la signature, le tampon rouge à l’encre de Félix Buhot qui garantit l’authenticité de ses gravures.  Vous remarquerez que l’oiseau entre ses deux initiales ressemble à un hibou.

La Mort en fourrures par Eugène Delâtre (Cl. Gérard Jouhet)

La seconde gravure ne représente pas Montmartre en tant que paysage mais on peut y voir un lien avec Montmartre. Son titre : « La Mort en fourrures » (vers 1897) par Eugène Delâtre. Eau-forte et aquatinte en couleurs. Les spécialistes sont d’accord pour y voir une représentation de la prostitution et d’un résultat, la syphilis. La mort, le froid, quelques arbres morts eux aussi ? Peu importe où nous sommes. Les pensionnaires des maisons closes sont là pour vous accueillir dans leurs belles tenues mais voilà ce qui vous attend.  Toulouse-Lautrec nous a magnifiquement montré l’intérieur de ces demeures montmartroises avec leurs pensionnaires mais jamais il ne montre que cela peut mal se terminer pour le client.  Il est certain qu’il en connaissait les risques, pour lui on connaît la fin.

À ce jour, trois exemplaires de cette rare gravure en couleurs sont répertoriés, ils portent les numéros 5, 11 et 12. Le nombre d’épreuves tirées est inconnu. L’épreuve qui se trouve à la Bibliothèque nationale de France porte le numéro 5 et est nommée différemment : « En visite ». Je préfère presque plus ce titre qui nous laisse imaginer la Mort venant chercher sa victime en se cachant sous la forme d’une belle élégante…

*La chlorose était autrefois une anémie par carence de fer chez les jeunes filles. C’est également une carence en chlorophylle des plantes.

Gérard Jouhet

Gérard Jouhet, collectionneur et secrétaire de l’Association « Les Amateurs d’Estampes », présente régulièrement sur sa page personnelle Facebook des publications sur l’estampe. En septembre 2020, l’association était invitée au « Salon du livre rare et de l’estampe » au Grand Palais. Les œuvres présentées couvraient cinq siècles d’estampes (de 1515 à 2019). Son idée est que, pour faire aimer les estampes d’aujourd’hui, il faut montrer et expliquer les estampes d’hier. L’écho ci-dessus est un exemple de ses publications (comme elles sont « public », elles peuvent être partagées). Pour mémoire à propos de Buhot : en voici une, une deuxième et une troisième. Et, de Delâtre, avec entre autres… : en voici une et une deuxième.

Expositions indemnes

Une vue de l’exposition du « Trait » à Saint-Aubin (Cl. Christine Moissinac)

Hommages aux municipalité qui consacrent temps, énergie et finances à accueillir et encourager des manifestations artistiques. Cependant pour qu’un événement ait lieu, il faut qu’en face existe un opérateur, le plus souvent une association qui va apporter le contenu, le cœur du projet. Deux acteurs indispensables qui se complètent, s’entraident, se soutiennent. Pari gagné mais paris risqués ! En voici deux exemples.

« Iles » exposition de « Le Trait »
6 juin au 7 juillet 2020
La Halle
72bis rue Pasteur
14750 Saint-Aubin sur mer

D’un côté, la ville de Saint-Aubin sur mer, une toute petite commune, deux mille huit cent trente sept habitants au dernier recensement, qui dispose d’une salle d’exposition de grande qualité. Et, de l’autre, une association, « Le Trait », qui comme toutes les autres vit grâce à l’engagement et l’énergie de ses membres, et en particulier de son très regretté président Maurice Maillard décédé au début de l’année. Peu de moyens donc, mais une belle exposition rassemblant dix-sept artistes, sur un thème riche en symbole, les İles. Au sens où l’entendait Chardin : « la peinture est une île dont je n’ai fait que côtoyer les bords ». Et encore : « l’art ne serait-il pas de ces des lieux rêvés, inaccessibles et improbables de retrait solitaires ». À chacun le sien dans la plus
grande liberté, avec comme seule contrainte la rigueur de la technique qui est une des exigences des membres de l’association.

113° Salon d’Orléans
9 au 25 octobre 2020
Collégiale Saint-Pierre le Puellier
45000 Orléans

Une vue du Salon d’Orléans (Cl. Christine Moissinac)

Il s’agit d’une grande manifestation organisée annuellement par la Société des artistes 6rléanais, dans la collégiale Saint-Pïerre le Puellier, lieu dédié aux expositions proposées et subventionnées en partie par la Ville d’Orléans. Cette année, plus de cent exposants, peintres, graveurs, sculpteurs, céramistes et plus de cinq mille visiteurs malgré la situation sanitaire. Pour ce cent treizième Salon, un invité d’honneur, le sculpteur japonais Tetsuo Harada et un hommage à Maurice Genevoix, fondateur de cette société. Depuis dix ans existent des liens étroits avec les ateliers Moret qui décernent un prix à un exposant graveur consistant en l’impression d’une plaque en vingt tirages et qui ont présenté cette année quatre artistes, Thomas Fouque, Mikio Watanabé,  Nathalie Grall et Ariane Fruit, par ailleurs habitués du palmarès du prix Gravix.

Christine Moissinac

50 ans d’édition d’estampes

« La gravure originale »
50 ans d’édition d’estampes
Fondation Taylor
1 rue La Bruyère  75009 Paris
2 au 24 octobre 2020

Les trois éditions 2020 de « La gravure originale »
José San Martin, George Rubel et Cécile Combaz
(Cl. Gérard Robin)

C’est une grande histoire que celle de l’estampe. Ce medium pluriel dans son essence et singulier dans ses capacités expressives multiples qui en firent au fil du temps jusqu’à nos jours un medium d’expression exceptionnel, se place toujours au plus haut de l’échelle des arts de l’image. Une permanence continuelle, antérieure à l’invention de l’imprimerie, imprégnée d’un geste créateur qui remonte à la Préhistoire. Avec parfois des périodes difficiles, comme lorsque apparut la photographie, et plus près de nous quand l’iconosphère prit son ampleur planétaire.

En  France, en réaction à ces difficultés, fut alors lancée le mouvement Manifestampe, création légitime pour contrer une perte de lisibilité existentielle de l’estampe, tant dans le grand public que dans l’esprit de certains acteurs du monde de l’art. Des personnalités comme Christian Massonnet, amateur passionné de gravure, Michel Cornu, taille-doucier, Dominique Neyrod, Catherine Gillet, Dominique Aliadière, Claude Bureau, graveurs, Maxime Préaud, Céline Chicha, conservateurs à la BnF, entre autres, en furent les fondateurs et Louis-René Berge, buriniste académicien, le premier président de la Fédération nationale de l’estampe – Manifestampe

Mais, il y avait aussi, parallèlement, et c’est de grande importance, des associations de graveurs qui soutenaient la connaissance de l’art et quelques clubs d’amateurs destinés à satisfaire un public averti et à aider les artistes par des commandes d’édition en souscription. En particulier celui de La Gravure Originale, fondé, lors d’un Manifeste en 1970 par un grand amateur de gravures, Alain Weil, aujourd’hui président d’honneur, et actuellement dirigé par Christian Massonnet. Le Club fête en ce moment son jubilé à la Fondation Taylor, un lieu d’aide ouvert sur les arts plastiques que Jean-Michel Mathieux-Marie a qualifié à juste titre d’être en particulier un havre d’excellence pour l’estampe.

Les deux présidents Alain Weil et Christian Massonnet
(Cl. Gérard Robin)

À l’actif de La Gravure Originale (que je connais et fréquente depuis une vingtaine d’années) 50 ans d’existence qui ont participé à la vitalité de la gravure et de l’estampe en général. Elle s’offre aujourd’hui au regard, au sein d’une exposition exemplaire sur les quatre niveaux de l’immeuble du baron Taylor, du sous-sol à l’atelier. Près de 140 artistes, dans des expressions des plus diverses, sont ici exposés. Un lieu de découvertes et de rencontres, où le port du masque s’oublie presque, tant l’intérêt est grand, donnant une note exotique aux rencontres. Beaucoup d’intérêt donc, sans oublier les conférences qui accompagnent l’événement.

La salle en sous-sol de la Fondation Taylor (Cl. Gérard Robin)

Pour marquer la manifestation, un catalogue de qualité a été édité : 183 pages d’illustrations et de textes, dont celui sous la signature de Michel Melot, ancien directeur au département des estampes et de la photographie de la BnF. On y trouve aussi un rappel des principales “manières” composantes de l’estampe, la relation de contacts lors de visite d’ateliers. Et bien sûr la chronologie des éditions et le répertoire des œuvres exposées. Pour les illustrations, l’esthète pourra regretter un choix de rendu (densité soutenue) peu fidèle à la réalité visuelle des estampes, mais le catalogue mérite de figurer dans les bibliothèques de chacun. Il est symbole d’un moment d’histoire de la gravure originale. Il reste à faire vœu que cette action, dans les moments difficiles que nous vivons, perdure et s’enrichisse de créations nouvelles.

Gérard Robin