Transe canadienne

Une des cloisons de la galerie Documents 15
avec quatre des estampes d’Ariane Fruit.
Les cartons disposés dans l’X, format raisin et plus, donnent l’échelle
(Cl. Maxime Préaud)

« Transe canadienne »
exposition d’Ariane Fruit
Galerie Document 15
15 rue de l’Échaudé 75006 Paris
du 8 avril au 7 mai 2022

Il y a quelques années, Ariane Fruit (née en 1975, lauréate de nombreuses compétitions dont le prix Gravix) présentait au public (à la galerie Document 15) une estampe aussi vaste qu’étonnante issue d’une gravure exécutée dans le linoléum même qui recouvrait le sol de son atelier : intitulée « Scène de crime », c’était un sujet d’intérieur. Elle présente aujourd’hui, tout au contraire, une suite de gravures en bois de plus petites dimensions mais quand même assez spacieuses inspirées des grandes étendues canadiennes qu’elle a récemment traversées en train. C’est un peu plus gai que la scène de crime, en tout cas plus aéré, très spectaculaire et tout à fait recommandé en période de confinement.

Il y a un petit catalogue, avec une préface d’Aurélie Sécheret, proposé au prix de 10 euros ; et des exemplaires de tête avec une estampe de l’artiste.

Maxime Préaud

Au royaume du Je(u)

Vernissage de l’exposition le 12 mars 2022 (Cl. Charlotte Moritz)

« Délires de livres »
Galerie à l’Écu de France
1 rue Robert Cahen 78220 Viroflay
du 12 mars au 10 avril 2022

Plusieurs semaines durant, les livres sont dans tous leurs états à l’Écu de France. Une étonnante exposition est en effet organisée dans la galerie d’art de Viroflay. Tantôt déchiré, sculpté, malmené, sublimé, imaginé, le livre y est transfiguré sous l’inspiration de créateurs toujours plus imaginatifs pour décloisonner les mots. Des images flottant en l’air, des peintures sur les murs, des formes plastiques lourdement ancrées au sol : une myriade d’œuvres, parmi lesquelles de notables estampes, offre ainsi une occasion toute trouvée pour le spectateur de se laisser aller à une déambulation ludique et introspective : thème de cette nouvelle édition de « Délires de livres », c’est aussi à la propre auscultation de son « je » qu’il pourra procéder en contemplant ces créations aux milles et un visages.

Pour aboutir à l’existence de cette expérience unique, il aura fallu entremêler les productions de plus d’une centaine d’artistes contemporains, originaires du monde entier. Un défi brillamment relevé par l’association Am’Arts, bien loin d’en être à son coup d’essai : l’évènement artistique « Délires de livres » souffle cette année sa quinzième bougie, après avoir déjà exposé plus de 500 créateurs aux quatre coins du globe. Le livre d’artiste, support des inventions de plasticiens se substituant, le temps d’un bouquin tiré à de rares exemplaires, à l’éditeur traditionnel, est ici au centre de cette fête lettrée. De quoi interroger notre rapport aux livres, ses pages et ses usages, en franchissant allègrement la frontière entre littéraire et artistique.

« Jeux des 7 familles » (Cl. Charlotte Moritz)

La profusion d’œuvres, proposée durant le parcours, constituent autant de miroirs tendus au spectateur. Elles peuvent déformer les portraits (« Joue avec moi », Ise), dénoncer un système (« The Human Condition », Mary Kritz), esquisser l’invisible qui nous lie (« La vie ensemble », Sun-Hee Lee). Point ainsi le regard d’artistes soucieux de remettre en perspective les raisons de l’écriture. Un mur de feuillets d’agenda détachés se dresse sur le couloir gauche attenant à l’entrée de la galerie viroflaysienne. Y sont inscrit pêle-mêle des rappels, des horaires de rendez-vous, des réminiscences des actions banales réalisées ce jour-là, à telle heure. Se souvenir et se battre semble définir l’écriture pour l’artiste Anne Billy, qui évoque dans cette architecture de papier, intitulé « Je, Jean-Marc, J’étais », le combat de son père contre la maladie d’Alzheimer. Dans le couloir opposé, « Lianes » de Rosemary Piolais, estampe de belle qualité, figure quant à elle le potentiel imaginaire du livre. Une femme, reflet du spectateur, semble s’y perdre dans un paysage impalpable et ivre de mots.

La visite prendra ainsi rapidement la tournure d’un jeu de piste, le spectateur enjoint par les œuvres à se lancer irrémédiablement à la poursuite de son « je ». D’autant que le livre a été examiné sous toutes ses coutures et envisagé, dans le cadre de l’exposition, en ce sens : l’ensemble des dimensions et des usages du livre est convoqué au sein d’une scénographie léchée. Le livre en tant qu’objet réinventé, mais aussi la narration et son narrateur, le témoignage et la biographie, les évolutions de l’écriture et de la langue, la sonorité des mots et des phrases… La nouvelle perspective sur l’identité soumise par chaque œuvre sollicitera invariablement les sens du spectateur. Voyez ces petites fioles de laborantin de « Passage » de Magdéleine Ferru. A moins qu’elles ne soient des petites bouteilles jetées à la mer, chargées de sauver les mots de la noyade et le souvenir de l’oubli.

 « Je, pleinement » (Cl. Charlotte Moritz)

Certaines pièces exposées invitent même quant à elles à certains amusements, à l’instar de « Un coup de dés » de Nathalie Leverger. L’exercice surréaliste du cadavre exquis et les cocasses jeux de mots seront également de la partie dans cette exposition qui reste, à n’en point douter, un hommage aux mots et à l’acte d’écrire, restitué ici comme trait d’union indéfectible entre les hommes. D’ailleurs, une œuvre (« Mika d’eau » de Christine Pezet, Hélène Saïnz et Christine Verdini) octroie la possibilité d’investir votre propre plume et de superposer vos mots avec celles des autres participants de cette création collaborative. Preuve que, définitivement, le livre raconte bien nos histoires.

Hugo Roux

Livres d’artiste

L’affiche du Salon du livre de Sèvres (Cl. « Sévrienne des arts »)

« 10e Salon du livre de Sèvres »
Salle Alphonse Loubat
9 Grande rue 92310 Sèvres
11 au 13 février 2022

Les expositions de livres d’artiste déçoivent rarement le visiteur. En effet, ils sont souvent de denses moments où l’amateur et le simple curieux peuvent dialoguer en direct et longuement avec les artistes ou les éditeurs présents. Et, aussi, de pouvoir tenir entre les mains un objet qui constitue, bien plus que dans une exposition stampassine récurrente sur cimaises, un univers complet voulu par l’artiste et dont on peut compulser les pages à loisir. La création d’un livre d’artiste est un exercice difficile et périlleux car un tel objet ne supporte ni la médiocrité de sa conception ni celle de son exécution. L’artiste stampassin ou son éditeur s’y engage avec passion, certes, mais aussi avec quelques appréhensions. Au fil du temps et de quelques déboires, ils s’aguerrissent dans les multiples épreuves qu’il leur faut franchir avant d’aboutir à l’objet que l’on peut publier et offrir à la vente : le choix du texte, le sien ou celui d’un autre vivant ou mort, connu ou méconnu auquel on associe sa patte, le choix du silence de la parole ou l’éloquence graphique du propos, le choix du format élu et de la mise en page de tous les éléments qui la composent, le choix fondamental du papier et de son poids, l’exécution pas à pas de tous ceux-ci, l’impression sans faute de la typographie ou la calligraphie manuscrite des mots, des phrases et des paragraphes, la réalisation des images s’il y a lieu et, même s’il n’y a pas lieu, des pages, l’élaboration patiente de la couverture, de son dos et de son emboîtage avec ou sans complication helvète, etc. Bref, se confronter à un objet pas aussi simple qu’il apparaît usuellement sur les rayonnages de nos bibliothèques. À l’issue de ce parcours semé d’embûches, l’amateur peut enfin tenir en main dans le champ de son regard proche cet univers complet, celui de l’artiste et de l’auteur ici réunis dans cette aventure, à moins que ces deux derniers n’en fassent qu’un seul.

Visite du maire de Sèvres sur le stand « Le bois gravé »
(Cl. Claude Bureau)

Le dixième Salon du livre d’artiste organisé par la « Sévrienne des arts » offrait donc ces univers multiples et variés aux visiteurs, amateurs et curieux, pendant trois jours sur les neuf stands mis à disposition dans la salle Alphonse Loubat. Sur celui de l’association « Le bois gravé », fondée par le regretté Claude Bouret et Gérard Blanchet, Jean-Claude Auger, son actuel président, accueillait avec affabilité les visiteurs. Depuis plus de trente ans, l’association édite chaque année un cahier en souscription, soit une monographie sur un artiste xylographe ou bien un numéro consacré à deux artistes graveurs sur bois. La couverture de ce numéro présenté en porte-folio (21×34 cm) est constituée d’une gravure dur bois originale de l’artiste choisi et celui-ci comprend, en sus du cahier imprimé agrémenté de nombreuses reproductions, une autre xylographie originale du même format (21×34 cm). De plus, chaque souscripteur a le bénéfice de recevoir avec le portfolio de l’année une autre xylographie à plat au format jésus ou raisin de l’artiste mis en avant cette année-là. Ces éditions régulières réservent parfois bien des surprises. Par exemple, Deborah Boxer, très connue pour ses estampes en taille-douce où des objets usuels et dérisoires composent une saga chaque fois renouvelée, a fait l’objet du numéro 30 du Bois gravé, avec une étude signée de Maxime Préaud, dans lequel on découvre les nombreuses reproductions de remarquables xylographies méconnues de Deborah Boxer.

Le collectif « Carton extrême carton » profitait de ce Salon pour lancer « La collection du carton gravé ». Il s’agit d’une série de livres d’artiste en figures imposées : un format à la française ou à l’italienne de 13×18 cm, avec un emboîtage obligatoirement en carton, à l’intérieur duquel, au choix de l’artiste est glissé le livre soit plié en accordéon, soit plié ou pas en portfolio, soit broché ; le livre peut être avec ou sans parole mais il doit se composer d’une majorité d’estampes réalisées à partir de matrices en carton gravé, et la collection est réservée aux membres du collectif ou à ses invités. D’ores et déjà, cette collection énumère 13 titres qui sont présentés au fur et à mesure des événements organisés par « Carton extrême carton ».

L’éditeur « La boîte à gants » quant à lui proposait sur son stand une série de livres d’artiste imprimés par des procédés numériques en couleurs. Parmi eux, se remarquait un sujet classique : « Les signes du zodiaque », sur un texte de Vincent Pagès avec des illustrations de Josse Goffin et une mise en page graphique de Béatrice Jean, encartés en portfolio sous un emboîtage toilé. Les « Éditions de la ville haute » peuplaient de leurs reliures originales leur table de présentation.

Dialogue entre des visiteurs et les « Éditions de la ville haute »
(Cl. Claude Bureau)

Louis-Dominique Héraud, xylographe accompli, s’est lancé depuis quelque temps dans l’édition de ses livres d’artiste. Ses deux premiers livres, qu’il qualifie volontiers de trop classiques, n’ont, quoi qu’il en dise, pas pris une seule ride. Sous leur emboîtage toilé, il s’agit de « L’ange du bizarre » d’Edgar A. Poe et « Le vin » de Charles Baudelaire, accompagnés des eaux-fortes originales de L.-D. Héraud. Il leur préfère aujourd’hui ses leporellos xylographiés sur chaque page ou, mieux encore, des portfolios de ses estampes dont les images accompagnent les textes de deux dames qu’il a choisi d’illustrer : Marie-José Bernard, sa compagne, et Corinne Hoex aux exigences typographiques précises.

Nonobstant nos bourses et les rayonnages de nos bibliothèques dont les dimensions ne sont pas infinies, il ne faut jamais manquer de visiter une exposition de livres d’artiste. On y satisfait toujours le bonheur du regard et on y découvre souvent, peut-être trop souvent rechigne notre bourse, quelques univers artistiques que l’on veut et que l’on peut garder précieusement et jalousement entre ses deux mains avant de les placer précautionneusement sur le rayonnage de son choix.

Claude Bureau