Monolithes

Galerie 43, depuis l’extérieur (Cl. Alain Cazalis)

« Monolithes’
Par Dominique Aliadière et Alain Cazalis
Galerie 43
43 rue Vandrezanne 75013
Jusqu’au 11 décembre, tous les jours de 14 à 19h,
en présence d’un des artistes

Monolithes, détails (Cl. Alain Cazalis)

Alain Cazalis nous propose toujours des surprises. Ici, méditant sur un lointain passé, comme son complice occasionnel Dominique Aliadière, il le recrée. Il nous présente des monolithes d’un genre nouveau et de dimensions raisonnables, à la mesure de notre siècle médiocre. Il lui suffit de remplacer la feuille de papier sur laquelle on imprime habituellement ses estampes par de la terre, cuite, vernie et teintée. Ainsi disposons-nous d’estampes d’une espèce particulière, difficiles à ranger dans des albums mais parfaitement adaptées à notre spacieux salon aux cloisons surchargées. S’y ajoutent de magnifiques dessins et des monotypes très colorés, qui répondent au noir-et-blanc costaud de Dominique Aliadière. Gravés en bois (il y a aussi une grande pointe-sèche) et imprimés « normalement » sur papier, les mégalithes de ce dernier, menhirs, dolmens et autres cromlechs disent le côté préhistorique, quasiment éternel, de l’artiste. Passionnant et superbe.

Galerie 43, le mur Aliadière (Cl. Alain Cazalis)

Maxime Préaud

Hommage à Folon

« Lointains un Homme » (suite Lointains) – 1986
Eau-forte et aquatinte (Cl : Gérard Robin)

« La Gravure dans tous ses états »
Salle de la Sablonnière
rue de la Cave de Châtenoy 77140 Larchant
du 5 au 20 novembre 2022

Dans le cadre des « Rencontres de Larchant en pays de Nemours », une manifestation ambitieuse et réussie que celle proposée par Laurence Manesse Césarini et la mairie de Larchant, village rural du Sud Seine & Marne (77140), qui enserre une basilique remarquable, et qui fut jadis, à l’époque médiévale, un relais d’étape sur la route de Compostelle. Et sous le titre : « La Gravure dans tous ses états », fut donné un bel hommage à Jean-Michel Folon, avec présentation de 46 estampes (en partie sous la forme d’état ou de bon à tirer) et des vitrines renfermant divers objets portant son empreinte graphique.

Deux espaces étaient dédiés à l’artiste, un troisième étant consacré à un ensemble de onze planches sur l’historique de la gravure, de son lointain passé à aujourd’hui, le temps présent s’exprimant de surcroit au travers de quelques tailles d’épargne à la gouge sur le Jazz dues à Stéphane Lalou, dernier graveur de Folon, ainsi que de portraits d’écrivains par Pierre Colombier, gravés dans une liberté technique plurielle très personnelle, cela en correspondance avec leurs écrits.

De g. à dr. : Pierre Colombier, Gaëtan Saint-Rémy, Daniele Folon, Stéphane Lalou, Laurence Manesse Césarini et Vincent Mével. (Cl. Gérard Robin)

Lors du vernissage, en présence de Danièle, la sœur de Folon, du maire Vincent Mével et de diverses personnalités du département, le public fut nombreux et séduit, une audience qui perdura dans les diverses séquences de la manifestation, avec entre autres : de la musique avec le quatuor à cordes Zadkine lors du vernissage, des démonstrations de gravure, une conférence intitulée « Quand Semprun retrouve Folon, il est question de Walter Benjamin », donnée par l’organisatrice, dissertant sur l’authenticité de l’œuvre d’art ; une performance en musique, « La geste du graveur », signée Stéphanie Hésol et Sergio Capasso. Mais aussi la visite de grottes ornées à proximité, qui nous ramènent aux premiers gestes de gravure, sans doute au Mésolithique… Déjà tout un programme de qualité, en l’honneur du maître !

On sait que Jean-Michel Folon (1934-2005), ayant quitté la capitale, vécut un certain temps à Burcy, petit village situé non loin de là. Depuis plusieurs années, l’église est ornée de vitraux dont il a dessiné les motifs, cadeau fait au village en échange de la destruction du château d’eau jouxtant celle-ci. Mais le point d’orgue de l’hommage fut la projection, en avant-première en France, les 6 et 19 novembre, ― la première mondiale ayant eu lieu en mars dernier au FIFA de Montréal ―, d’un portrait intime et singulier de l’artiste, documentaire réalisé par l’auteur et réalisateur Gaëtan Saint-Rémy, et projeté en sa présence.

« Janvier 1992 (détail) », Eau-forte avec aquatinte, (Cl. Gérard Robin)

Une évocation qui donne parole à l’artiste, dans une narration cinématographique qui ne se veut pas classique et organique, c’est-à-dire basée sur une chronologie sur la vie et l’œuvre, mais recomposée selon le choix de l’auteur au travers d’archives radio et télévisuelles. Une démarche personnelle, mais dans un choix d’images et de sons choisis pour exprimer, d’une manière plus profonde, la sensibilité de l’artiste, et d’opérer finalement pour le public une rencontre intime avec lui. S’y ajoutent les commentaires de proches, comme Danièle Folon et Colette Portal, sa première épouse, ainsi que de personnalités qui l’ont bien connu comme Rufus, Pierre Alechinsky,… ou encore la galeriste Cristina Taverna, qui dit qu’ « il y a dans son œuvre un silence qui parle beaucoup »

Et Jean-Michel Folon de se raconter dans sa découverte de la maison de Burcy, un lieu en bordure de champs dont il apprécie justement le grand silence avec son atelier ouvert sur la ligne d’horizon. Cadre propice à une création où les couleurs généralement en légèreté et transparence disent souvent des choses plus graves qu’elles n’y paraissent, des couleurs dont il aime aussi qu’elles se rencontrent jusqu’à vivre ensemble des instants d’amour. Cela avec la volonté, dans un monde où se côtoient l’injustice et la laideur, mais aussi la beauté, de choisir cette dernière pour rester positif et surmonter les drames personnels de la vie et participer à lutter contre ceux sociétaux, lorsqu’ils se présentent…

Un grand personnage, aux multiples facettes, tout de simplicité et d’empathie pour autrui, que j’ai eu le privilège, il y a bien des années, de rencontrer à Burcy et de l’interviewer. Un souvenir à partager, peut-être… (voir ci-dessous1)

Gérard Robin

1L’entretien avec Jean-Michel Folon a été publié en 1997 par la revue municipale de Saint-Pierre-lès-Nemours, pour en télécharger le facsimilé au format PDF cliquez sur ce lien : https://www.manifestampe.net/public-doc/Entretien-Folon-Robin.pdf

 

 

Derrière les paupières

« Série rouge », ensemble de sérigraphies (65×55 cm) 2009 (Cl. C. Valentin)

BnF: Françoise Pétrovitch, Derrière les paupières
Site François-Mitterrand – Galerie1
Quai François-Mauriac, Paris 75013
18 octobre 2022 – 29 janvier 2023
mardi – samedi 10 h > 19 h, dimanche 13 h > 19 h, fermeture lundi et jours fériés

La Bibliothèque nationale de France met en lumière l’œuvre graphique et imprimé de Françoise Pétrovitch en exposant un remarquable ensemble dont certaines pièces sont montrées pour la première fois. Une occasion unique pour se plonger dans la démarche expérimentale de l’artiste à travers des techniques qui lui sont familières. « Elle a été initiée à la gravure dès l’âge de 15 ans lors de sa préparation au brevet d’art graphique. Elle intègrera la section arts appliqués de l’École normale supérieure de Cachan avant de compléter sa formation en taille-douce dans l’atelier de Michel Henri Viot. »

Autant dire qu’elle aborde ce médium en artiste confirmée avec une maîtrise évidente, une fluidité et une porosité des techniques libre et vivante. Son approche est celle d’une artiste boulimique, avide d’expérimentations, comme si le passage d’une technique à l’autre était un élément libérateur de son inventivité, à partir de ses sujets de prédilection qui reviennent sans cesse. Elle n’assujettit pas la technique à son contenu, c’est l’inverse qui l’intéresse : « J’ai cru un moment donné que le sujet commandait ses techniques, je me suis rendu compte que non », dit-elle simplement. Les sujets, enfants, adolescents, gants, animaux, restent donc à l’état de motifs dont il ne reste que le cerne dans lequel la technique va s’exprimer avec la plus grande liberté. Son rapport à la technique semble donc être son sujet, en un premier temps, une règle du jeu qui va convoquer toute les techniques de gravure avec une grande jouissance ludique contenue par la rigueur qu’impose chaque procédé. Cela donne lieu à un trait délicat et poétique en gravure taille-douce, un travail des surfaces précis et vibratoire dans l’aquatinte, des variations et densités de couleur très maîtrisées qui montent dans la sérigraphie.

Dans les lithographies, une dimension picturale fait écho à ses encres sur papier également présentes dans l’exposition. Les imperfections de la pierre vont servir à mettre en valeur la matière liquide traitée de façon picturale et librement déposée sur la matrice dans un geste rapide et sûr.

« Garçon au squelette » lithographie (160×120 cm) 2016 (Cl. C. Valentin)

Françoise Pétrovitch joue, et elle à la grâce de faire partager son amour de la matière avec les nombreux artisans avec lesquels elle œuvre. Car cette travailleuse acharnée chasse en meute, elle se nourrit de ses expérimentations et construit pierre par pierre en échangeant avec les nombreuses structures partenaires qu’elle sollicite et qui la suivent, passant d’une structure spécialisée dans une technique à une autre. Elle construit aussi sûrement sa carrière qu’elle fait monter les densités de couleur dans ses lavis d’encre sur papier. Elle fédère avec intelligence autour d’une vision du monde plutôt fine, non dépourvue d’humour parfois (elle insère une ancienne photo de jeunes rugbymen testostéronés dans une lithographie représentant un gant féminin, peut-être de velours, déserté par une main, peut-être de fer). Une vision ouverte et non clivante, laissant libre cours aux interprétations de chacun sur le contenu. Un travail incessant, passant d’un médium à l’autre, peinture, céramique, dessin, gravure, livres d’artiste, abordé avec une finesse d’observation sur ce qui l’entoure qui laisse l’observateur en balance, entre la simplicité précise de son trait, sa maîtrise technique, son imaginaire délicat et son attrait pour les fausses simplicités de la vie dont elle expérimente l’incidence par la matière, à travers des témoignages tout aussi simples et délicats.

« Vue VIII » lithographie et collage 2018 (Cl. C. Valentin)

C’est peut-être dans ses livres d’artiste qu’on distingue le mieux les liens qu’elle tisse avec ceux qu’elle observe et avec lesquels elle peut dialoguer. Ses impressions offset ou gravées sont autant de conversations décalées avec des textes qui la touchent. Dans le recueil « j’ai travaillé mon comptant », elle dessine dans l’espace d’un livre d’artiste ce que lui inspirent les témoignages doux-amers de retraités sur leur vie de labeur, recueillis lors d’une résidence dans une maison de retraite à Hennebont dans le Morbihan. Des lectures très diverses peuvent susciter son intérêt comme la correspondance entre Calamity Jane et sa fille, elle a réalisé en dialogue avec cette lecture des linogravures, photogravures, gravures en taille-douce et typographies qui ont donné lieu à un livre d’artiste éponyme en 2016.

« Calamity Jane » livre d’artiste détail 2016 (Cl. C. Valentin)

Rien d’invasif, a priori. Mais une réalité parallèle instillée à petites doses, à partir de ce qui pourrait apparaître comme des points de détail, un monde qui n’est pas si docile qu’il y paraît et qui dévoile une intériorité silencieuse et ambiguë que chaque recherche compulsive expérimentant techniques, matières, échanges, couleurs, procédés semble éloigner chaque fois un peu plus d’une définition stable de ce qui touche à l’existence.

À la BnF F. Mitterrand  jusqu’au 29 janvier 2023

Christel Valentin

Nota bene :
– L
es citations de cet écho sont tirées de l’introduction de Cécile Pocheau Lesteven (conservatrice en chef au département des estampes et de la photographie à la BnF), publiée dans le catalogue de l’exposition. Ce catalogue est co-édité par la BnF et le Fonds Hélène & Édouard Leclerc, un ouvrage de 18 euros, 230 x 270 mm, 80 pages, 100 illustrations environ, bilingue.
– Michel Henri Viot a fondé en 1976 et animé jusqu’en 2011 l’atelier de gravure de l’ENS Cachan où Françoise Pétrovitch a été étudiante pendant deux ans.