Carton matière à graver

Livre d’artiste matrices en carton gravé (Cl. Joëlle Dumont)

« Le carton comme matière à graver »
Table ronde de Manifestampe
le mardi 15 novembre 2022
Maison des associations 75014 Paris

Graver sur carton était, jusqu’à très récemment, un peu honteux ; on ne s’en vantait pas, si bien qu’on ne sait pas bien depuis quand cette pratique est en usage. Et pour cause : le carton est considéré comme une matière pauvre, ce qu’elle est sur un plan économique, et trop peu noble, comparée au métal, au bois, ou même au linoleum. Mais peut-être que les vraies raisons du relatif mépris dans lequel il était tenu sont inverses : le carton est une matière riche, riche de possibilités, avec la diversité des différents types de carton, les techniques de gravure qui s’y prêtent, aussi bien en taille-douce qu’en relief, et la graver est un exercice difficile, pavé d’embûches, d’une technicité au moins égale à celle des grandes familles de gravure classique. De quoi rebuter plus d’un(e) graveur(e) aguerri(e) à d’autres techniques.

Pour cette table ronde, Manifestampe avait invité ce mardi 15 novembre 2022 les membres du collectif « Carton Extrême Carton » à partager leur expérience avec celles et ceux des artistes graveur(e)s qui avaient répondu à l’appel, une bonne vingtaine en tout, déjà adeptes de cette pratique, ou purs béotiens. Dominique Moindraut, Michèle Atman et Pascale Simonet nous ont livré leurs réflexions, leurs conseils plastiques et techniques, et apporté leurs valises de « voyageuses de commerce », véritables mallettes pédagogiques présentant toutes sortes d’exemples de cartons gravés, matrices et estampes. On voit que leur désir de promouvoir cette pratique est grand. En témoignent également le nombre et la qualité des expositions qu’elles ont proposées autant au public qu’aux artistes.

Alors, comment ça se grave, le carton ?

Avec difficulté, nous l’avons dit, surtout au moment de l’impression, l’essuyage pouvant être très long et complexe, le carton absorbant progressivement la couleur de l’encre qui lui est appliquée. Mais aussi avec jubilation, les possibilités étant infinies : grattage à la pointe, incision au cutter, découpages, traçage au stylo bille, frottage avec les outils le plus improbables, rajouts de matières ou de colle, jeux de couleur, etc. Les creux doivent être suffisamment marqués si l’on veut pouvoir imprimer en relief ; et la moindre petite griffure est fidèlement transmise à l’impression en taille-douce.

Bien sûr, il aura bien fallu choisir son carton en fonction du résultat désiré, brut ou satiné, lisse ou grumeleux ; l’enduire d’un liant protecteur avant ou après gravure, selon qu’on préfère attaquer le carton de front, ou bien s’assurer d’emblée de sa dureté ; bien laisser sécher ; trouver l’encre ad hoc, eau ou huile au choix, et être prêt à l’étendre généreusement ; sélectionner le bon papier, humide ou sec ; et surtout, surtout, ne pas mettre trop de pression, sous peine d’écraser les finesses de la gravure sur cette matière somme toute un peu molle.

« Plantes 1 » taille-douce en carton gravé de Michèle Atman

Bonne nouvelle : on peut faire beaucoup de tirages, quitte à reprendre certains détails en cours de route. Mauvaises nouvelles : le carton est très abrasif, il use les outils très vite ; il est aussi assez toxique, et nécessite le port d’un masque en cas d’addiction à cette technique1. Les participants déjà adeptes de cette pratique ont également rappelé que la matière carton est très pratique si l’on veut faire de grands formats.

Initiés et béotiens ont semblé très satisfaits de ce partage d’expérience, heureux d’avoir glané de précieuses informations, prêts à prendre ou reprendre les chemins buissonniers de la gravure sur carton.

Anne-Claire Gadenne

1Nota bene : ce sont les colles dont le carton est fabriqué qui sont nocives ainsi que les poussières, les peluches et les autres particules produites par l’action de graver. Les inhaler à fortes doses est donc dangereux. Il vaut mieux s’en protéger en cas de travail intensif et prolongé.

De Gibraltar à La Rochelle

« Le Cadet à la Perle » (détails)
Antoine Masson – Burin (1667)
(Cl : R. Joffrion)

« Sur la piste des chercheurs d’art »
Conférence de Gérard Robin
Président de l’association « Art Puissance 7 Events »
Médiathèque Michel Crépeau
28 octobre 2022

La Rochelle, c’est cette cité chargée d’Histoire, où l’appel du large transpire à chaque pas sur les pavés du port. Ses deux tours vigies, Tour de la Chaîne et Tour Saint-Nicolas qui encadrent une passe, saluent le départ des marins, tous explorateurs du mystère des aventures océanes petites ou grandes. Tout près de la Tour Saint-Nicolas, la Médiathèque Michel Crépeau accompagne au long cours l’expression culturelle de la mémoire du Nouveau Monde et de ses tribulations actuelles dans la diversité de ses créations.Dans ses « Rendez-vous de l’Art », une conférence-diaporama naviguant sur le fleuve de l’estampe, traversant les âges de sa source à la rade Chef de baye ouvrant sur la Mer Oceane par le Pertuis d’Antioche fut offerte gratuitement au public le vendredi 28 octobre 2022.

A 18h30, ce 28 octobre, un public nombreux prend place dans l’auditorium aux fauteuils accueillants disposés en gradins. En silence, une sérénité attentive est perceptible, un gage de qualité. Les membres du collectif rochelais « Quai de l’Estampe », hussards de la gravure charentaise ne manquent pas à l’appel. La conférence-diaporama peut commencer dont le sous-titre « Sur la piste des chercheurs d’art » ne peut qu’interpeller. Le feu vert est donc donné par le régisseur Manuel Groësil qui, par son professionnalisme accordé à une grande écoute et gentillesse, a mis à disposition les outils audio-visuels très performants de la médiathèque. Gérard Robin en scène et Maïté Robin au pupitre dans la régie-cabine entament alors, dans un ballet texte-images parfaitement maîtrisé, la grande et extraordinaire histoire de l’estampe. Texte et visuels chorégraphiés magistralement vont tenir en haleine le public durant 1h30. Ecoutons-voir.

Gibraltar ? On entre dans le dur du sujet avec deux gravures : « La grande promesse » d’André Bongibault, « Chaos cosmique » en guise de commentaire avec en regard la gravure rupestre néandertalienne datée de 37.000 ans avant J.-C. découverte dans la Gorham’s cave à Gibraltar, et l’eau-forte « La fuite » de Claude Tournon, sapiens sapiens moderne, annonce alors « La grande vache noire » gravure rupestre à Lascaux qui sort de l’écran, dans la demi-obscurité de la salle, tant la qualité de la photo est grande. Le ton de la conférence est annoncé !

Gérard Robin nous fait naturellement cheminer jusqu’à la notion de duplication au travers de choix judicieux et parfaitement documentés. Nous chevauchons les siècles, du Mas d’Azil en Ariège, lieu de maîtrise de l’art rupestre, au papier, en passant par les tablettes d’argile, le papyrus, le parchemin, pour aboutir à « la route du papier » partie de Chine il y a 4.000 ans, et nous atteindre enfin au VIIIe siècle après un stop en terres riveraines de la Méditerranée. Stop exploité par les arabes pour propager l’Islam. Toute la conférence sera ainsi sous-tendue par l’incontournable dualité : inventions, progrès technique et impératifs politiques, religieux et sociétaux. La richesse du propos, sa rigueur emportent l’adhésion. De belles enluminures éclairent notre regard sur cette période charnière avant l’éclosion de l’estampe nécessitant une matrice. Dans une remarquable recherche de visuels auprès de grandes institutions comme le « British Museum », la « Bibliothèque de France », le « Metropolitan Museum of Art » à New-York, très peu accessibles au grand public, des œuvres graphiques majeures sont offertes au regard. Il nous est alors proposé des connaissances approfondies sur la définition de l’estampe, les différentes techniques apparues en respectant leur cheminement historique. Ainsi, des reproductions de gravures majeures, comme celles de Jacopo de Barbosa, Dürer, Urs Graf, Cranach, Baldung… nous éblouissent d’autant que la finesse des images permet des agrandissements. Une approche vertigineuse des détails gravés.

Suit une incise majeure, l’imprimerie typographique. L’invention de l’imprimerie à Mayence serait donc allemande. Une approche historique détaillée nous propulse vers le livre, tremplin de l’estampe indépendante avec le livre typographique utilisant les caractères mobiles, images dissociées. Nous voici au cœur de l’inventivité de la création des estampes dans ses techniques à venir. Rien n’est oublié, le papier, la matrice bois, la presse, oui, mais aussi les encres ! Le fil de l’histoire s’arrête un instant avec « Le Péché originel » et le « Calvaire » gravé en bois de fil par Cranach l’Ancien.

Un aparté historique, la chalcographie balbutie avec la transposition de la xylographie et sa taille d’épargne sur le cuivre (gravure en criblé) vite balayée au XVe siècle par une gravure sur cuivre au joli nom de « gravure en taille-douce » réalisée au burin, l’outil des joailliers. Joker ! De grands maîtres de la gravure abattent leurs cartes sur l’écran : le maître E.S, Schongauer, Mantegna… suivront de grands noms, Albrecht Dürer, Jean Duvet que nous découvrons dans « Le Mariage d’Adam et Eve ». Gérard Robin nous y serons habitués jusqu’à la fin de la conférence, nous offre une présentation didactique limpide de la technique du burin détaillée par des visuels épurés. Une clé de lecture supplémentaire des gravures pour les néophytes, mais pas que… peut-être.

À la pointe des inventions en cette fin du XVe et début XVIe siècle, la pointe sèche voit son sillon s’affermir chez les artistes. Les plus grands s’y sont commis souvent en duo avec le burin pour le bonheur de notre regard à l’écran. Et toujours un didacticiel bienvenu. Alors que nous nageons dans l’effervescence du bain des grands noms de la gravure de l’époque, Gérard Robin, avec un art consommé, nous plonge dans l’eau-forte en 1496 avec l’orfèvre Venceslas d’Olmutz, même si bien avant à Damas et Tolède les armes subissaient la morsure d’un mordant à des fins d’ornementation. Tous s’y mettent, de Urs Graff à Daniel Hopfer en passant par Dürer avec « L’Homme de douleur assis ». Nous plongeons alors ensemble dans le bouillon des mordants à forte personnalité pour émerger avec six reproductions sublimes de Dürer, qualité à couper le souffle sur grand écran.

Puis plage historique : relier la gravure à l’Histoire du XVIe siècle nous montre alors que les turpitudes actuelles sont pérennes ! Essoufflés, nous arrivons au XVIIe, traité comme il faut par Abraham Bosse dès 1645. Claude Gelée n’est pas loin et nous nous régalons avec la performance, en vernis dur, de Jacques Callot dans « La Fiera dell’ Impruneta » qui nous donne le vertige. De guerre lasse, en raison de l’affrontement protestants-catholiques, la gravure si prospère en Italie, France et Allemagne migre vers Anvers et Amsterdam. Le poids de l’histoire encore souligné. On se met au service des peintres comme Rubens et Hendrick Goltzius (peintre-graveur). À cet instant, la tête nous tourne, là où l’estampe de Goltzius est à sens renversé par rapport à l’huile « Dragon devant les compagnons de Cadmus » de Cornelis Cornelisz van Haarlem. Excellente touche pédagogique.

Une « perle » sortie des réserves de l’Artothèque de la médiathèque de La Rochelle nous est offerte sur le plateau de la scène et à l’écran : « Le Cadet à la Perle », un portrait de Henri de Lorraine, comte d’Harcourt, au burin en 1667 par Antoine Masson. Exemple intégral des possibilités acquises au burin pour magnifier la peau, le métal, les étoffes. Vertigineux. Bluffés seront les regardants qui s’approcheront de l’œuvre en fin de conférence.

En ce XVIIe siècle, tournant majeur, sur lequel la conférence s’attarde logiquement, chaque artiste, maître de ses techniques : burin, pointe sèche, eau-forte à toutes ses sauces (au vernis dur ou mou, à l’aquatinte) rivalise de prouesses, nous laissant un trésor d’œuvres majeures dont un témoignage historique comme la « Ratification du traité de Munster » au burin (1650) par Jonas Suyderhoef. De grands noms éclaboussent l’écran dont Claude Mellan, qualifié aujourd’hui d’« ayatollah du burin », avec « Le Cardinal de Richelieu » bien connu des Rochelais, et surtout pour « La Sainte Face » qui nous fait tourbillonner comme sur des patins à glace dans des arabesques où aucune trace ne se croise. Pour ne pas être en reste, un contemporain, Rembrandt nous conquiert alors avec ses trios : eau-forte, pointe sèche, burin, ou duos ou soliste comme : « Rembrandt gravant ou dessinant près d’une fenêtre », « L’Espiègle », « Autoportrait en mendiant ». Un réalisme confondant.

Avec subtilité le conférencier. nous fait alors quitter les rives des traits et hachures pour nous guider vers le clair-obscur en demi-teinte qu’est la manière noire apparue en 1642 avec Ludwig von Siegen. Moment émotion ! Sa gravure « Elisabetha » reine de Bohème (1643), témoigne de la naissance de cette technique dont les arcanes nous sont dévoilés avec force illustrations. Dénichées au « British Museum », des reproductions en gravure de portraits de maîtres tels que John Hoppner et Willem van de Velde II, par Wallerant Vaillant, William T. Annis, George Clint et les paysages de Francis Seymour Haden nous transportent outre-Manche où le mezzotint fait florès en noir et blanc.

L’écran qui mérite la couleur s’illumine alors avec le prisme d’Isaak Newton et Jacob Christoph Le Blon qui s’empare du spectre bleu, jaune, rouge pour encrer trois plaques gravées différemment et procéder au tirage, jouant ainsi sur le jeu des couleurs complémentaires par superposition. Le tour est joué et Jacques-Fabien Gautier d’Agoty, son élève, applique la recette avec bonheur en ajoutant une quatrième plaque encrée en noir pour augmenter le contraste. La quadrichromie est née, elle rayonne à l’écran avec « L’Ange anatomique », planche célèbre de son « Traité de Myologie ». En dessert, pour récompenser notre capacité d’écoute, « Le bol de fraises » en trichromie de Laurent Schkolnyk, graveur contemporain.

« L’Ange anatomique »
Jacques-Fabien Gautier d’Agoty – manière noire couleurs (1746)
(Cl : Rémy Joffrion)

Naturellement, nous ne pouvons pas échapper à Louis XIV, le roi soleil, pour la gravure ! La preuve par trois. Un : « Le Cabinet du roi » en 23 volumes donne du pain sur la planche à une armée de graveurs de talent dont Claude Mellan avec à l’écran une gravure en majesté « Le Code Louis XIV ». Deux : L’Édit de Saint-Jean-de-Luz du 26 mai 1660 qui, chacun sait, fut un tremplin royal offert à « Manifestampe » pour sa « Fête l’estampe ». Trois : Tambour ! « L’Académie des Sciences et des Beaux-Arts », imaginée et gravée par Sébastien Leclerc. L’Histoire donne parfois un coup de pouce à la création !

La gravure se réinvente toujours. Nous attendons fébrilement la suite, toujours au XVIIIe siècle que nous sommes. Courage ! Une éclaircie. L’aquatinte voit le jour, plusieurs graveurs s’y essaient en concurrence comme Jean Adam Schweikard et Jean Baptiste Le Prince. La projection nous éclaire magistralement sur cette technique, égayée avec Jean-François Janinet dans « Les Trois Grâces » et « La Toilette de Vénus » où la douceur du rendu est palpable. Parallèlement, de Castiglione le Génois à Benjamin Green le Britannique, la gravure au vernis mou s’affirme. L’eau-forte dans toutes ses déclinaisons a ses heures de gloire avec Tiepolo, Canaletto, Piranèse, Goya… sous l’œil influenceur des peintres comme Boucher, Fragonard. Nos yeux s’embuent. Pas de chômage, c’est le temps de « l’Encyclopédie Diderot-d’Alembert » aux 35 volumes dont 12 de planches. Encore un siècle à marquer d’une pierre blanche !

Avec gourmandise nous voilà propulsés dans le XIXe siècle où la pierre de Solenhofen s’impose avec Senefelder, écrivain en mal d’édition. La lithographie est née. Verbe et images nous font découvrir les méandres complexes de cette technique à l’ombre de la « Bête à cornes », la presse permettant dorénavant le tirage de superbes lithos comme « Fiametta » (1866) de Auguste Lemoine et « The Lake » (1918) de Bolton Braun.

Le bois n’a pas dit son dernier mot. Il se redresse. « Le bois debout » gravé au burin en taille d’épargne voit le jour à Constantinople vers 1705 avec l’Arménien Grigor Marzwantsi. Popularisé 70 ans plus tard par le britannique Thomas Bewick, c’est un progrès considérable pour la gravure d’illustration grâce à la finesse des tailles au burin dans des bois très durs tels que le poirier et le buis. On doit son apparition en France à Ambroise Firmin-Didot. Des reproductions pertinentes illustrent le propos, sublimées par « Une histoire intime » du contemporain Jean-Marcel Bertrand. Avec les applications de l’estampe nous parcourons l’histoire et les paysages rochelais au travers du timbre-poste, de la cartographie… Les Rochelais, comblés, cheminent alors sur le port, dans les rues avec Octave de Rochebrune et Léon-Auguste Asselineau, puis avec des lithographies propres à attirer les touristes. Un clin d’œil aux graveurs du « Quai de l’Estampe » présents par les eaux-fortes de Philippe Cattelin représentant la Tour St Barthélémy, qui fut un temps l’hébergement de leur atelier.

Un rappel résumé de l’estampe de « fonction » nous remémore le cuisant revers subi avec l’apparition de la photographie. Mais l’estampe va rebondir avec l’estampe dite « originale ». Elle va conquérir le monde dont nous découvrons quelques belles réalisations des Inuits aux Aborigènes, en passant par le Japon…

À l’écran, une synthèse nous remémore tout le chemin parcouru. 50.000 ans. Pensez-donc, et tout cela en 90 minutes ! Les techniques récentes : la sérigraphie, la collagraphie, l’héliographie au grain et la digigraphie n’ont pas été développées… faute de temps. Révisons enfin les attributs d’identification des estampes. Gérard Robin pense à tout ! La conférence ferme ses volets sur une citation de Paul Valery, éloge aux graveurs.

Regard sur « Le Cadet à la Perle »
(Cl. Rémy Joffrion)

Mais… en bonus, un portfolio présente quelques 40 estampes contemporaines aux expressions artistiques diverses, avec un discret hommage posthume à Hélène Nué, tout récemment disparue, par « Attente » et un ex-libris « Cachou, le chat », deux burins sur cuivre. « Le Cadet à la Perle » attend le regard du public persuadé d’avoir participé à un voyage de grande qualité sur l’immense fleuve de l’estampe. Merci Gérard, merci Maïté.

Rémy Joffrion

Rédiger son catalogue raisonné

Au moment de la levée partielle du confinement, qui a sans doute été l’occasion d’effectuer quelques tris et rangements dans son fonds d’atelier, sa bibliothèque ou sa collection d’estampes, la rédaction republie bien volontiers cet écho qui pourra susciter un regain d’intérêt pour participer à la master-class « Catalogue », animée par Maxime Préaud.

Le samedi 10 mars 2018, dans le cadre de son assemblée générale annuelle, Manifestampe a organisé une causerie-débat ouverte au public, intitulée « Rédiger son propre catalogue raisonné ». Devant près d’une centaine de personnes, Maxime Préaud, ancien conservateur au Département des estampes de la Bibliothèque nationale de France, président honoraire de Manifestampe depuis 2016, a offert aux adhérents et au public venu en curieux un beau moment de partage. La thématique, qui concerne d’abord les artistes, touche aussi les familles d’artistes, les historiens d’art et ceux qui s’intéressent de près à l’estampe.

Dans un style direct teinté de beaucoup d’humour, Maxime Préaud a expliqué la différence entre un inventaire, un catalogue d’exposition et un catalogue raisonné. Il a invité les artistes à prendre de bonnes habitudes, noter et recueillir tout ce qui se rapporte à la création de leur œuvre au fil du temps. L’assistance a manifestement beaucoup apprécié les conseils apportés et l’a sollicité de plusieurs questions. Elles ont donné lieu à des réponses utiles et précises, pimentées de jeux de mots et de traits d’humour auquel le public s’est lui-même volontiers prêté sur ce sujet bien sérieux.

Texte de la causerie-débat de Maxime Préaud

« Rédiger son propre catalogue raisonné est comme écrire son journal d’artiste, mettre un peu d’ordre et de raison dans ses activités artistiques, préparer l’enrichissement de ses futurs souvenirs. Le catalogue raisonné peut en partie se définir par ce qu’il n’est pas. Il n’est pas une simple liste comme celle des courses que l’on fait au marché. Il n’est pas l’inventaire d’une collection, donc limité à cette réunion de documents et à l’espace qui la contient, encore que cet inventaire puisse être fait avec raison. Il n’est pas non plus un inventaire dressé par un notaire après un décès, décrivant les objets au fur et à mesure de leur apparition. Il n’est pas un catalogue qui se contenterait de brèves descriptions cliniques, même accompagnées d’images comme le Liber veritatis de Claude Lorrain. Il n’est pas non plus un catalogue d’exposition, où sont sélectionnées dans un but particulier un certain nombre d’œuvres, lesquelles sont ou devraient être accompagnées d’un commentaire, lequel serait sûrement plus intelligent s’il existait un catalogue raisonné des œuvres considérées. Le catalogue raisonné est plus que tout ce que je viens de décrire à la fois. Il est une accumulation où se mêlent les informations techniques et précises sur les œuvres et leur fabrication avec les sentiments et les faits à l’origine de leur création : les lieux, les histoires entendues, les conversations, les textes qui les ont inspirées, aussi bien que les premières pensées, les dessins préparatoires, les photographies, les coupures de journaux, les travaux des autres. Puis la description des différentes opérations qui ont mené à l’œuvre, les épreuves d’état, les épreuves d’essai, le tout réuni estampe par estampe en un dossier semblable au dossier d’une affaire criminelle. Et toutes ces informations sont classées de façon à s’insérer rationnellement dans un ensemble organisé.

Maxime Préaud pendant son intervention (Cl. Marianne Durand-Lacaze)

Certains pensent et même disent : « Moi, ce qui m’intéresse c’est le moment présent, la création d’aujourd’hui, du passé faisons table rase, hier n’a pas d’importance », et c’est vrai peut-être, jusqu’au moment où, un peu plus âgé, un peu trop actif, on commence à mélanger les souvenirs et ne plus être capable de répondre de façon précise à certaines questions. Certains sont trop modestes pour croire mériter un catalogue personnel. Mais en l’occurrence il ne s’agit pas de mérite ni de gloire, mais de méditation sur sa propre existence. Certains, et c’est peut-être la catégorie la plus nombreuse, sont simplement négligents : ils ne rangent rien, ne classent rien, ne retrouvent rien, comme si les œuvres auxquelles ils consacrent pourtant une bonne partie de leur existence, de l’énergie, et de l’argent (car on ne s’enrichit pas toujours en gravant) n’avaient finalement aucune importance à leurs propres yeux. Je trouve que c’est une insulte à la vie et à l’art.

Il est vrai qu’on s’imagine souvent, lorsqu’on est jeune, qu’on se souviendra de tout. L’expérience montre que ce n’est jamais vrai. Et il faut en plus penser à sa femme ou à son mari, à ses enfants, à ses amis. Même un vieux célibataire grincheux peut avoir un ou quelques amis. Que vont-ils faire de cette pagaille que vous envisagez de laisser derrière vous ? Alors qu’un bon catalogue leur faciliterait la tâche, s’ils voulaient garder quelque mémoire de vous.

Rédiger le catalogue raisonné de l’œuvre de quelqu’un d’autre relève de la même logique et demande la même organisation. La grosse différence est que la source première des informations, c’est-à-dire l’artiste, est absente, et qu’il faut reconstituer l’ordre et l’organisation de la partie laborieuse de son existence. L’exercice commence par une description minutieuse de chaque estampe, et se continue par une recherche dans les fonds d’archives, familiales quand il s’agit d’un être proche (courrier, photographies, coupures de presse, cartons d’invitations, etc.) ou publiques (archives notariales, collections diverses, sources imprimées de diverses natures) s’il s’agit d’un artiste plus ancien. »

Suite à cette présentation, de nombreuses questions ont été posées par l’auditoire. Leurs réponses pourront être affinées dans le détail au cours de la master-class organisée sur ce sujet par Manifestampe et à laquelle tous les curieux de thème ont été invités à s’inscrire.

Marianne Durand-Lacaze

Vous souhaitez approfondir ce sujet ?

Pour comprendre à plusieurs comment « Mettre un peu d’ordre dans ce qui peut apparaître comme un désordre ? » aux yeux de l’artiste et de ses proches, inscrivez-vous à l’une des sessions d’une après-midi du cycle de master-classes animées par Maxime Préaud.
Pour cela, la demande d’inscription doit être motivée et envoyée par mail à contact@manifestampe.org . Participation gratuite pour les membresde Manifestampe à jour de leur cotisation et de 50 euros la séance pour les personnes extérieures.