Paysage et estampe -13

Le Val de Loing – Nemours

Nemours est le siège d’un château médiéval, devenu musée au XIXe siècle. Datant du XIIe siècle, l’édifice aurait été édifié par un dénommé Gauthier de Villebéon, personnage originaire de la petite aristocratie locale, mais qui prit une importance considérable à la cour royale en devenant successivement grand chambellan de Louis VII et de Philippe Auguste. Sis sur une berge de la rivière du Loing, il était destiné à en contrôler un gué, jugé stratégique pour le domaine royal, puis un pont. Favorisant un développement urbain autour de la place forte, Gauthier accordera en 1170 une charte de franchise aux nouveaux habitants, alors qu’une paroisse était déjà établie sur les hauteurs de la rive gauche, autour de l’église Saint-Pierre-Saint-Paul, sise aujourd’hui à Saint-Pierre-lès-Nemours (et que l’on peut voir en haut à gauche sur l’estampe ci-dessous). La ville sera entourée d’une enceinte au XIVe siècle.

« Nemours » Arthur Heseltine – Eau-forte – 19,2 x 26,3 cm (août 1896)
Album Fontainebleau et ses environs (Cl. G. Robin collection particulière)

La bâtisse céda son rôle de protection et de résidence seigneuriale à un siège de bailliage avec prison (1674-1796). Une société philanthropique y installa ensuite un atelier de filature pour les indigents mais, le château se dégradant et bientôt menacé de démolition, il fut acheté en 1810 par Anne-Antipas Hédelin, maire de Nemours, qui le rétrocéda à la commune l’année suivante, avec un projet d’école pour filles. En fait, l’usage fut divers : séchoir à laine et remise de tonneaux et de matériel forain, salle de danse puis théâtre de 300 places…

Si le lieu était par ailleurs fort pittoresque, puisqu’il inspira des dessins à Victor Hugo et participa à l’attrait de la ville de Nemours pour le cadre du roman d’Honoré de Balzac, Ursule Mirouët, son avenir semblait bien compromis jusqu’à ce que, au début du XXe siècle, il devienne un musée, sous l’impulsion de personnalités locales qui, pour ce faire, créèrent une association, la Société des Amis du Vieux Château : ainsi le sculpteur Justin-Chrysostome Sanson (1833-1910), nommé président d’honneur, le peintre paysagiste Ernest Marché (1864-1932), conservateur de 1911 à 1932, et le maître-imprimeur en taille-douce Adolphe-Charles Ardail (1835-1911), qui en fut le premier conservateur.

Né à Nemours, Adolphe Ardail entra comme apprenti pressier chez l’imprimeur Chardon où il sympathisera avec un certain Alfred Salmon (1825-1894), pour devenir ensuite « tireur » de cuivre dans la maison Salmon-Porcabeuf (rue Saint-Jacques à Paris), Auguste Porcabeuf (1835-1895) étant lui aussi natif de la ville ; à noter que son fils Alfred lui succèdera à son décès, et deviendra chef de la Chalcographie du Louvre en 1910.

Quant à Ardail, il devint un personnage charismatique, apprécié pour son goût de la belle épreuve et son habileté d’imprimeur : il excellait notamment dans l’art du retroussage, peu pratiqué alors, qui exprime des noirs « moelleux ». Son aura fut grande : « Être imprimé par Ardail, ou ne pas l’être du tout », disaient les artistes à cette époque, ainsi que le rapporte le collectionneur et écrivain d’art Henri Beraldi (1849-1931) dans Les graveurs du XIXe siècle, guide de l’amateur d’estampes modernes (1892). Et nombreux furent les artistes qui lui offrirent des gravures en remerciement. Lors d’un banquet offert par la Société des Aquafortistes français, le 19 mars 1904, un bronze réalisé en 1903 par Louis-Alexandre Bottée (1852-1940) fut remis à Adolphe Ardail pour le remercier de son engagement dans l’art de la gravure. L’œuvre est conservée au Musée d’Orsay, mais le moulage en plâtre se trouve au Château-Musée.

“Au maître imprimeur Ardail, les graveurs ses amis”
plâtre de Louis-Alexandre Botée – 24 x 23 cm (1904)
Château-Musée de Nemours et « Adolphe Ardail, imprimeur » Albert Ardail
eau-forte – 17,5 x 12,5 cm (1901) (Cl. Gérard Robin)

Il s’agit de la représentation allégorique d’une muse regardant une épreuve de gravure. On voit, sur la gauche, une presse à taille-douce derrière un support d’estampes et, sur la droite, Adolphe Ardail lui-même, en train de retoucher une planche. Son fils, Albert (1865-1914), fut l’élève de Charles Waltner (1846-1925). Graveur de talent, il travailla surtout dans la gravure d’interprétation ; il est aussi l’auteur de plusieurs estampes originales d’après ses propres dessins. Excellent portraitiste, il fit en hommage à son père ce portrait, alors que ce dernier prenait sa retraite. En remarques, au bas de la gravure, il ajouta les outils de l’imprimeur taille-doucier : brosse, tampon encreur, spatules et papier, symboliques du savoir-faire du maître.

On lui doit notamment une version de “La Muse Erato”, d’après le peintre François Boucher, une eau-forte gravée pour la Gazette des Beaux-Arts et imprimée par Alfred Salmon. Il exposa, de 1886 à 1914, dans le cadre de la Société des Artistes Français, de la Société des Peintres-Graveurs Français ainsi qu’aux Expositions Universelles de 1889 et 1900.

“La Muse Erato” Albert Ardail – eau-forte – 17,1 x 23 cm (1890)
(©The Met)

Une grande exposition leur fut consacrée en 2011 et 2012, sous le titre : Ardail, Père & Fils, graveurs et collectionneurs au XIXe siècle, sous la direction d’Arnaud Valdenaire, et de Julie Jousset, en charge des collections.

Si le Château-Musée renferme une grande collection de plus de 20 000 pièces diverses, il possède de 5 à 6 000 œuvres sur papier, dont un important fond d’estampes (3 000 pièces, allant du XVe au XXe siècle), fruit en partie de dons d’Adolphe Ardail, de son fils Albert et de Loÿs Delteil, célèbre critique d’art et expert parisien. Il fut enrichi par Jean-Bernard Roy, qui en fut conservateur de 1975 à 2006. Ainsi l’achat de quelques 200 œuvres de Célestin Nanteuil (1813-1873), considéré comme un artiste local grâce à ses séjours à Bourron-Marlotte, où il finit sa vie ; l’acquisition d’illustrations pour livres de sciences et des portraits de Simon-Charles Miger (1736-1820), natif de Nemours, des sérigraphies de Jean-Michel Folon (1934-2005), qui vécut longtemps non loin de Nemours, à Burcy.

À noter que la Bibliothèque nationale de France bénéficia également d’un don important d’estampes provenant d’Adolphe Ardail et de sa succession. Le “Catalogue des gravures contemporaines formant la collection Ardail”, établi en 1904 par Georges Riat, sous-bibliothécaire au Département des Estampes, fait état de 1 753 estampes, originales, d’interprétation et d’illustration.

Le Château-Musée, aujourd’hui sous la direction de Jérôme Fourmanoir, accompagné de Julie Jousset, en charge des collections, Marie Alias, pour l’accueil et la médiation et de Clodilde Leducq, chargée des publics et médiatrice culturelle, poursuit l’animation du musée, avec actuellement une belle exposition intitulée “Rêve d’Orient” (novembre 2021 – mars 2022) où l’œuvre peinte est majoritaire, mais laisse place à quelques gravures.

(à suivre)

Gérard Robin

Paysage et estampe – 12

Le Val de Loing (Bourron-Marlotte)

Si Grez-sur-Loing fut, à l’image de Barbizon, un centre d’attraction majeur pour les artistes, d’autres petits villages de la région ont accueilli des artistes, comme Marlotte (aujourd’hui Bourron-Marlotte). Un nom, cité dans l’ouvrage de Mario Proth, “Voyage au pays des peintres”, qui présente le Salon des beaux-arts de 1875, au Palais de l’industrie à Paris, retient notre attention : C’est Heseltine, celui de deux frères, graveurs paysagistes anglais qui fréquentèrent la région, spécialisés dans la manière de l’eau-forte, alors dans l’air du temps. À ce propos, citons quelques lignes de Mario Proth qui, après avoir évoqué la taille directe au burin, avec le constat interrogatif que « Son exposition n’est ni bonne, ni mauvaise. Le temps est passé des estampes merveilleuses. Quand reviendra-t-il ? D’autres siècles peut-être le reverront. », conclut quelques évocations d’artistes par cet aparté : « En somme, la gravure moderne, très-habile, très savante, respectueuse des bonnes traditions, ne nous offre rien de transcendant. » Mais son adhésion à l’estampe est ailleurs, ce qui lui fait écrire : « Une invasion charmante et que nous bénissons à chaque occasion nouvelle, c’est celle de l’eau-forte. Reléguée longtemps au musée des souvenirs et étrangetés du temps jadis, l’eau-forte a eu tardive, mais rapide et triomphante, sa renaissance romantique. Des artistes tels que Flameng lui ont rendu la vie ; des éditeurs de bonne volonté, Cadart en tête, lui ont rendu le mouvement. Le monde de la grande librairie lui a fait fête. Elle a repris la vogue, et il n’est guère de peintre désormais qui n’essaie pour sa pensée ce mode original de traduction. Aussi l’exposition d’eaux-fortes devient-elle chaque année plus importante et mieux fournie. M. Legros, nous l’avons dit et le redisons volontiers, est le maître de l’eau-forte moderne, et nous recommandons tout spécialement aux amateurs l’intéressante notice publiée sur Legros aqua-fortiste par M. Poulet Malassis. Avant tous, l’auteur de La Petite Marie méritait une récompense. Mais encore une fois pourquoi se laisse-t-il oublier à Londres? MM Courtry et Le Rat ont enlevé les médailles. Et l’on a vivement admiré les eaux-fortes de MM. Lançon, Bodmer, Maxime Lalanne, Querroy, Polémont, Laguillermie, Gustave Greux, Heseltine. »

Heseltine ! Ne sachant lequel des deux frères est évoqué ici, nous citerons d’abord John Postle (1843-1929) qui, de passage dans la forêt de Fontainebleau en fit, de 1878 à 1897, une soixantaine d’eaux-fortes. Le château-musée de Nemours en possèderait trois, gravées entre 1882 et 1894.

Paysage rural, près de Marlotte, John Postle Heseltine (1911),
eau-forte – 19,6×29,8 cm, The British Museum

John Postle est issu d’un milieu familial de grande sensibilité artistique, avec un grand père maternel, William Norfor, grand amateur d’art, et une mère, Mary, qui avait reçu l’enseignement du dessin de John Bernard Crowe, oncle de John Berney Ladbrooke (1803-1879), son propre professeur de dessin (et de français). Envoyé en 1859 (il a seize ans) en Allemagne, à Hanovre, pour apprendre l’allemand, Il aurait alors été initié à la gravure sur cuivre par le major van Usslar-Gleichen. Son parcours est dès lors exemplaire. Exposant sa première eau-forte à la Royal Academy en 1869, il rejoignit le Etching Club en 1877, avant d’être membre fondateur en 1880 de la Society of Painter-Etchers. Il fut aussi un grand collectionneur d’œuvres d’art et, à partir de 1893, sera nommé administrateur au conseil de direction de la National Gallery à Londres.

Moins connu en Angleterre que son frère John, Arthur Joe (1855-1930), marqué par l’exemple de son aîné, qui fut déterminant dans son orientation, devint une figure marquante de la région Sud Seine & Marnaise.
Son tempérament anglais l’engageait à être lui aussi paysagiste. C’est à la suite d’un apprentissage de peinture en 1873 à Paris, où il fut l’élève de Carolus Duran, l’un des membres fondateurs de la Société des Beaux-Arts (SNBA) avec Jean-Charles Cazin et John Postle, qu’il découvrit dès 1874 la région de Grez où, durant près d’une année, il résida à l’Hôtel Chevillon en compagnie de nombreux artistes. Mais son esprit était en quête de paysages nouveaux, propres sans doute à le séduire. Ce ne sera qu’après sa découverte de l’Italie, en 1877, et un long périple en Grande Bretagne, effectué après son mariage en 1882 avec Célie-Caroline, fille du sculpteur et lithographe Louis Guillet et sœur de Marie, l’épouse de Jean-Charles Cazin, qu’il fera son choix de résidence et s’installera à Marlotte, y achetant en 1899 une petite propriété où il aménagera un atelier, doté d’une vieille presse taille-douce.
Il y aura pour voisin un compatriote peintre, Henry Edward Detmold (1854-1924), rencontré dans l’atelier de Carolus Duran et également séduit par la région.

Par ailleurs sociétaire du Salon national des Beaux-Arts en 1900, la renommée locale de Arthur Joe Heseltine fut importante, et le château-musée de Nemours possède, en dehors d’un certain nombre de ses œuvres, un beau portrait de lui, peint par l’anglais Allan Deacon (1895-1914), une huile sur toile de 1,2×1,04 m.

Portrait de l’artiste par Allan Deacon (1898) Château-Musée de Nemours
Photo RMN-Grand Palais René-Gabriel Ojéda.
« Marlotte » – Arthur Joe Heseltine, eau-forte (1894) – 16,8 x 20,8 cm
Recueil ‘Fontainebleau et ses environs »
(Collection particulière,
Cl. Gérard Robin)

En 1993, une grande exposition lui fut consacrée, organisée par le conservateur d’alors, Jean-Bernard Roy. Celui-ci avait écrit dans le catalogue, évoquant ses eaux-fortes : « Ses paysages sont parfois rendus d’une manière un peu sèche, mais toujours d’une extrême fidélité ; les dessins préparatoires aussi précis et exacts que possible en témoignent ». S’y ajoutant, sous la plume de Claudie Pugliesi-Conti, ce commentaire : « Il nous laisse l’œuvre d’un paysagiste séduit par le charme rural de l’Île-de-France, sans surcharge anecdotique, ce qui permet d’apprécier la clarté de son trait. La présence humaine est rare dans son œuvre, toujours discrète. La construction de ses dessins fait penser à J. Constable : un premier plan vide qui invite à entrer dans le paysage puis des éléments horizontaux, des barrières par exemple qui lui donnent sa solidité. »

Arthur Joe vivra à Marlotte jusqu’à sa mort (une voie du village lui a été dédiée, dite Passage Heseltine), parcourant la campagne, exprimant, comme le souligne Claudie Pugliesi-Conti dans son texte : « … le bonheur paisible que lui procure la nature, avec son crayon, et sa pointe de graveur – puisqu’il pratiquera beaucoup l’eau-forte, technique qui connut un renouveau au XIXe siècle avec les artistes romantiques influencés par l’Angleterre. » J’ajouterai que les gravures de Heseltine me semblent être aussi, en regard de sa sensibilité, œuvres de peintre, en plus d’être souvent témoignages d’un passé aujourd’hui en partie masqué par le présent, et parfois donc de nostalgie pour qui habite en ces lieux.

« Bourron » John Postle Heseltine (septembre 1894) eau-forte – 19,8×26,7 cm Recueil « Fontainebleau et ses environs »
(Collection particulière, Cl. Gérard Robin)

Heseltine imprimait lui-même ses gravures, et celles-ci, il faut le reconnaître, n’ont pas la qualité d’impression que leur aurait donnée un maître-imprimeur comme le Nemourien Adolphe Ardail (1835-1911), que nous évoquerons dans le prochain opus. Tirées en peu d’exemplaires, les eaux-fortes étaient parfois rassemblées en recueils, offerts par l’artiste à ses amis à l’occasion des fêtes de fin d’année.

(À suivre)

Gérard Robin

Paysage et estampe – 11

Le Val de Loing (Grez) – 2

Grez-sur-Loing, une fois encore. “Grez-sur-Loing, village de peintres”. J’ai retrouvé un petit article que j’avais proposé pour la revue municipale de Saint-Pierre-lès Nemours, Saint-Pierre magazine, en octobre 1996, à la sortie du roman de Philippe Delerme : “Sundborn ou les jours de lumière”. Le voici : « Nous sommes en 1919, Ulrick Tercier, le narrateur du récit, se souvient… C’étaient quelques 35 ans plus tôt, autour de la maison familiale d’été de Grez et les bords du Loing à l’ombre de la tour de Ganne : la petite communauté scandinave formée des peintres Carl Larsson, Christian Krohg, Soren Krøyer,… de l’écrivain August Strindberg, qui avait envahi l’hôtel Chevillon ; son attirance pour ces artistes venus chercher cette qualité de lumière tant vantée par les impressionnistes ; les journées chaleureuses et insouciantes passées en leur compagnie ; sa première rencontre à la gare de Nemours, avec Julia Lundgren, venue rejoindre le groupe ; la fin d’une adolescence et le début d’une aventure !

Commence pour Ulrick, spectateur d’une quête de la pureté et du bonheur, une chronique intimiste ponctuée des passions et des rêves qui animent ces artistes, des pulsions qui réunissent et défont. Son voyage à leur suite, lorsque d’autres lieux les solliciteront, le conduira de Grez à Skagen, à la pointe septentrionale du Jutland danois, sur cette côte sauvage où s’affrontent les eaux du Skagerrak et du Kattegat, source d’inspiration des peintres Michael et Anna Ancher ; de Skagen à Sundborn, en Dalécarlie suédoise, sur la rive du lac Toftan, dans “Lilla Hyttnäs” la maison de Carl ; de Sundborn à Giverny, où Julia rencontra Claude Monet…, de Sundborn à Grez… »

En marge de la présence des colonies d’artistes, on peut citer un lieu notable de Grez, la grande propriété bourgeoise du Domaine de la Bouleaunière (XIXe siècle) qui, de 1834 à 1839, appartint au comte Gabriel de Berny. Mariée très jeune, Laure de Berny devait tomber amoureuse d’Honoré de Balzac, beaucoup plus jeune qu’elle, et celui-ci, partageant ce sentiment, y séjournera en sa compagnie à plusieurs reprises : c’est là qu’il aurait écrit ”Ursule Mirouët“, publié en 1841, dont plusieurs scènes se déroulent à Nemours. Parmi ses diverses conquêtes, Laure fut à la fois son amante, sa confidente et son inspiratrice. Elle restera chez Balzac la “Dilecta”, l’aimée… “Le Lys dans la vallée” n’évoquerait-t-il pas cette liaison au travers du personnage de la comtesse de Mortsauf ? Ce que l’on sait moins, c’est que l’écrivain, par ailleurs homme de divers projets quelque peu risqués, acheta par exemple une imprimerie, grâce notamment à son aide financière. Les affaires allant mal et pour éviter la faillite, c’est un fils Deberny (on note l’abandon de la particule nobiliaire), Charles Lucien Alexandre (1809-1881), fondeur de caractères typographiques, qui s’investira dans l’affaire et la redressera. Saint-Simonien, il sera l’un des organisateurs des retraites ouvrières. Quant aux fonderies, devenues Deberny, elles furent liées par la suite à la fonderie des frères Peignot, jusqu’en 1972.

“La tour de Ganne, vue du pont de Grès”
Fernande Sadler – eau-forte (Collection particulière)

Évoquer Grez-sur-Loing, c’est aussi mentionner des personnalités locales qui s’y distinguèrent. Ainsi, Fernande Sadler (1869-1949), qui en fut à plus d’un titre une grande figure. Venue dans la capitale pour étudier l’art à l’Académie Julian, exposant ensuite au Salon de Paris, c’est au cours d’un séjour aux environs de Fontainebleau qu’elle découvrit le village de Grez. Séduite, elle s’y installa, en 1904, peignant et gravant de nombreux paysages et scènes de genre. Mais aussi en participant à la vie locale. Sur les conseils de Charles Moreau-Vauthier, elle commença en 1910 à réunir une collection de peintures pour la ville, qui donna naissance au musée local, enrichi au fil des ans par les donations de divers artistes de passage. Elle fut membre de la Société historique et archéologique du Gâtinais, et publia deux ouvrages sur la commune : “Promenade archéologique à Grez-sur-Loing” (1901) et “Grès-sur-Loing“ (1906), une notice historique de plus de 500 pages illustrée de six de ses gravures, dont “La tour de Ganne, vue du pont de Grès”. Fernande Sadler devint maire de Grez-sur-Loing de 1945 à 1947.

Grès-sur-Loing – Notice historique (couverture)
Fernande Sadler – Eau-forte (Collection particulière)

Pour nous plonger plus profondément dans l’estampe, une autre personnalité de l’art s’impose : Abel Justin Mignon (1861-1936), qui fut l’élève des peintres Jean-Léon Gérôme (1824-1904) et Alfred Loudet (1836-1898), et formé à la gravure par Louis-Pierre Henriquel-Dupont (1797-1892). Le cahier n° 9 (printemps 2014) édité par “Artistes du bout du monde” lui rend hommage. J’en prélève quelques lignes. « Abel Mignon a vécu de nombreuses années à Grez avec ses cinq enfants, avant de prendre, en 1925, la direction de l’École Comairas instituée en 1875 (Fondation Taylor) à Fontainebleau, école d’art qui existe toujours. Sa fille Yvonne lui succèdera quelques années plus tard. […]
Abel Mignon souhaite être peintre mais son père accepte plus volontiers qu’il apprenne la gravure dont l’aspect artisanal est plus noble à ses yeux, ce qui permet de remporter le premier second prix de Rome par la suite.
Il multiplie Honneurs, Médailles et Prix. Il réalise des affiches, grave des billets et des timbres. Il excelle dans cette spécialité et réalise en 1927, le premier timbre gravé en taille-douce. […] » Ce poinçon du timbre Caisse d’Amortissement, “Le Travail”, a été gravé d’après un dessin d’Albert Turin. Membre de l’Association des Artistes français et lauréat de l’Académie des Beaux Arts à deux reprises, il fut fait chevalier de la Légion d’Honneur en 1908.

En haut : “Le Travail” (émission en 1928)
Dessin : Albert Turin – Gravure : Abel Mignon – 36 x 21,45 mm
En bas : “Yvonne” par Abel Mignon – Taille-douce
Collection privée Nicole & Xavier Labruyère

Quant à sa fille Yvonne Suzanne Mignon (1891-1978) représentée sur la gravure au-dessus et devenue Madame Bouisset-Mignon, elle devint graveuse à la pointe sèche et au burin. Membre de la Société des Artistes français, elle fut Médaille d’Or du Salon en 1929.

Parmi les visiteurs de Grez, on pourrait citer la peintre allemande Jelka Rosen, qui y acheta une propriété, y résidant avec son mari, le compositeur anglais Frederick Delius, et puis tous ceux ou celles qui ne firent que passer et visiter le Val de Loing ou s’y installer. Évoqué par Yves Dodeman dans la rubrique Plein cadre du Cahier n° 8 d’Artistes du Bout du Monde (Automne 2012), Kiyoshi Hasegawa (1891-1980) vint à Grez, sans doute sur la recommandation de son maître Seiki Kuroda (1866-1924), épris de ce village où il séjourna à partir de 1890 durant près de deux ans et demi. On sait qu’ensuite Kuroda, de retour au Japon, introduisit les techniques de la peinture occidentale moderne en son pays. Foujita ne manqua pas, lui aussi, de visiter Grez.

Ce lieu de Grez-sur-Loing, aujourd’hui d’une notoriété bien plus modeste que celle de Barbizon, – car dénué de galeries -, serait en fait, curieusement, beaucoup plus connu à l’étranger que dans l’hexagone, en particulier au Japon !
Aujourd’hui encore, nombre d’artistes japonais, pour ne parler que d’eux, viennent découvrir le village. D’autre part, il faut saluer l’action exemplaire d’une association grézoise dans la réhabilitation de la mémoire culturelle du village et, au travers de cela, la mise en relief de la beauté de son site.
Il s’agit de l’association “Artistes du Bout du Monde”, dont la présidente actuelle est Nelly Dumoulin, et qui fut portée durant nombre d’années par la présidente d’honneur, Claire Leray, et son équipe. La dénomination de celle-ci interpelle. Elle vient d’un lieu-dit situé en bordure du Loing, en amont du vieux pont de Grez. « Le Bout du Monde » est un endroit reculé dont le nom, pourtant connu des habitants, ne figurerait sur aucune cartographie ! Mais il est le sujet de quelques cartes postales anciennes.

(à suivre)

Gérard Robin