La Maison enchantée

Félicien Rops, Celle qui fait celle qui lit Musset, héliogravure, 1879

Agathe Sanjuan,
La Maison enchantée, 352 pages
Les Éditions Aux forges de Vulcain, 2022, Bussy-Saint-Martin 77600
20 euros – ISBN : 9-78237305-12-16

Ce joli roman, qui semble spécialement fait pour les amateurs d’estampes, raconte l’histoire d’une collectionneuse. Mais il ne s’agit pas de rencontres amoureuses, en tout cas pas au sens rohmérien du terme. Séduite par une image de Félicien Rops (« Celle qui fait celle qui lit Musset »), la jeune Zoé s’interroge sur les motivations des collectionneurs de toutes sortes.

De fil en aiguille, l’auteure décrit d’une plume généreuse une collection fantasmatique « totale », dont certains pourraient rêver. Zoé cependant connaît ses limites, ses moyens la contraignant à se contenter de l’estampe, ce qui n’est tout de même pas si mal et est pour elle l’occasion de découvrir les richesses presque infinies de ce médium. Après quelques détours, le plaisir d’une eau-forte pleine d’esprit de Jean-Jacques de Boissieu, « Les Grands Charlatans », c’est la contemplation d’une des plus mystérieuses estampes de Rodolphe Bresdin qui met le comble à la satisfaction de Zoé, lui insufflant les développements oniriques les plus complexes. Voilà un bel hommage à Chien-Caillou, joliment écrit.

Jean-Jacques de Boissieu, Les Grands Charlatans, d’après Karel Dujardin,
eau-forte et pointe sèche, 1772

Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir de quelle œuvre de Bresdin il s’agit. Même s’il n’a pas bien saisi le titre du livre, il n’aura pas trop de mal à le découvrir, Agathe Sanjuan dévoilant en fin de volume – faut-il le regretter ? – toutes les solutions aux quelques mystères de son roman.
*
J’ajouterai un mot. Au cours d’une promenade récente dans la montagne de Reims, devant les hêtres tortillards qui sont un des ornements de sa forêt il était inévitable que je pense à Bresdin, au point de me demander si ces arbres ne l’avaient pas inspiré dans son travail. Ce que je ne crois pas, finalement. Mais je me suis dit une fois de plus que, s’il m’était facile de rêver, comme Zoé, devant ou dans une estampe de Bresdin, je ne comprenais pas comment faire devant un gribouillage de Hartung ou une oblique de Geneviève Asse (pour ne prendre que ces deux exemples au hasard).

Maxime Préaud

Transe canadienne

Une des cloisons de la galerie Documents 15
avec quatre des estampes d’Ariane Fruit.
Les cartons disposés dans l’X, format raisin et plus, donnent l’échelle
(Cl. Maxime Préaud)

« Transe canadienne »
exposition d’Ariane Fruit
Galerie Document 15
15 rue de l’Échaudé 75006 Paris
du 8 avril au 7 mai 2022

Il y a quelques années, Ariane Fruit (née en 1975, lauréate de nombreuses compétitions dont le prix Gravix) présentait au public (à la galerie Document 15) une estampe aussi vaste qu’étonnante issue d’une gravure exécutée dans le linoléum même qui recouvrait le sol de son atelier : intitulée « Scène de crime », c’était un sujet d’intérieur. Elle présente aujourd’hui, tout au contraire, une suite de gravures en bois de plus petites dimensions mais quand même assez spacieuses inspirées des grandes étendues canadiennes qu’elle a récemment traversées en train. C’est un peu plus gai que la scène de crime, en tout cas plus aéré, très spectaculaire et tout à fait recommandé en période de confinement.

Il y a un petit catalogue, avec une préface d’Aurélie Sécheret, proposé au prix de 10 euros ; et des exemplaires de tête avec une estampe de l’artiste.

Maxime Préaud

Ra’anan Levy

La Galerie Dina Vierny (Cl. M. Préaud)

« Ra’anan Levy – Gravures »
Galerie Dina Vierny
7 décembre 2021 – 29 janvier 2022
36 rue Jacob 75006 Paris

La Galerie Dina Vierny présente sur ses cimaises un choix d’estampes relativement récentes de Ra’anan Levy. Né en 1954 à Jérusalem, partageant aujourd’hui sa vie entre Paris et Florence, ce peintre et graveur franco-israélien est soutenu depuis longtemps par la Galerie Maeght. Il a d’ailleurs bénéficié l’an dernier d’une grande exposition de ses peintures à la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, avec un superbe catalogue (Ra’anan Levy / L’épreuve du miroir) agrémenté d’une préface du commissaire de l’exposition, Hervé Lancelin, et d’une étude de Julia Beauquel, « Le reflet des choses »).

Vue partielle de l’exposition
(copyright Galerie Dina Vierny © Romain Darnaud, 2021)

La présente manifestation est consacrée à ses estampes. Il y traite les mêmes sujets que dans ses peintures, c’est-à-dire des intérieurs vides aux portes multiples qui n’ouvrent sur rien, des bouches d’égout et des caniveaux, des pontons plus ou moins ruinés à marée basse, des autoportraits grimaçants et des mains noircies d’encre entrelacées d’angoisse. Bref, des thèmes parfaits pour compenser la niaiserie de Noël où nous risquons de nous noyer. Il y a tout de même une ânesse mignonne qui apporte un peu de douceur dans cette mélancolie.

Vue partielle de l’exposition
(copyright Galerie Dina Vierny © Romain Darnaud, 2021)

Les estampes, en général d’assez grand format, d’un strict noir-et-blanc, obtenues par eau-forte mêlée d’aquatinte et de grattages multiples, magnifiquement imprimées par les taille-douciers de l’imprimerie Arte1, sont présentées sur les chaleureuses cloisons de la galerie dans des encadrements un peu funèbres souhaités par l’artiste. Elles sont toutes reproduites dans un beau catalogue2.

La galerie est ouverte du mardi au samedi de 11h à 13h et de 14h à 19h. Elle sera fermée du dimanche 19 décembre au lundi 3 janvier, réouverte du mardi 4 au samedi 29 janvier 20223.

Maxime Préaud

1 Je me permets de renvoyer au portrait que j’ai tracé naguère de cet atelier, où j’ai découvert le travail de Levy : « Arte, ce n’est pas de la télé (ni du ciné) », Nouvelles de l’estampe, n° 255 (Été 2016), p. 48-55, aujourd’hui accessible en ligne.
2 Avec une préface de votre serviteur. 40 euros tout de même.
3 Contrairement à ce qui est indiqué sur la vitrine, l’exposition étant prolongée.