L’Entaille et l’Idée

« L’Entaille et l’Idée »
Jean-Michel Mathieux-Marie
(mai 2019)
J3m.plak@gmail.com

Voici un livre singulier qui mérite d’avoir place chez tout artiste graveur ou amateur de l’art de l’estampe.

La première de couverture du livre

Il est une invitation au voyage, dans le temps et l’espace, dans la genèse de l’acte de graver, né en besoin de pérennité et de diffusion de la pensée.
« L’Entaille et l’Idée », est un recueil de onze textes et d’une page de notes, écrit par le pointe séchiste Jean-Michel Mathieux-Marie au fil du temps et de sa marche créative, et orné de quinze calligraphies.

C’est un livre rare, dans sa présentation sur papier d’art empreinte de sobriété, aux mots choisis, et d’une grande richesse par ce qui y est exprimé, car à la fois personnel et universel. Hors les arabesques complexes des calligraphies, le texte épuré donne en peu de lignes l’essentiel, agrémenté de touches légères d’érudition culturelle, en illustration de la finalité de l’art de la gravure, de sa nécessité d’existence au cours des siècles passés à son attrait dans la création picturale originale d’aujourd’hui. Car c’est, bien sûr et surtout, entrer dans les arcanes de la pratique particulière d’un artiste qui est l’un des maîtres de la gravure à la pointe sèche, en particulier sur rhénalon. Une évocation créative, sensible et musicale, qui révèle quelques clés riches d’enseignements sur son approche technique personnelle.

Des lignes à consulter de temps à autre, pour se ressourcer ou progresser sur la voie de l’excellence, au travers de l’expérimentation des « manières » à disposition et sous l’éclairage des artistes du passé qui créèrent tant de chefs-d’œuvre. Un ouvrage au format 26 x 20 cm, imprimé sur papier d’art en 260 exemplaires numérotés et signés dont 50 exemplaires et 10 hors commerce sont ornés d’un frontispice gravé au tiré-sec sur rhénalon, le tout disponible chez l’artiste.

Gérard Robin

Donation à la Fondation Taylor

Donation Hasegawa – exposition
1, rue La Bruyère
75009 Paris
4 au 27 avril 2019

L’événement, situé à l’étage supérieur dans l’atelier de la fondation, est lié à une donation d’estampes et dessins, faite par Janine Buffard et Yves Dodeman, œuvres de leur grand oncle, Kiyoshi Hasegawa (Yokohama,1891 – Paris, 1980). C’est un artiste qui, très jeune, se prit d’intérêt pour l’art occidental, qu’il étudia dès 1910 au travers du dessin et de la peinture aux académies Hakubakai et Hongo, à Tokyo, tout en s’essayant, par ailleurs et avec bonheur, à la gravure sur bois et sur cuivre. Mais, il lui fallait s’imprégner de cette autre culture en tentant le voyage. Il débarquera en France en 1919.

Une cinquantaine d’œuvres, de l’ébauche à la mine de plomb ou du lavis d’encre brune à la gravure correspondante, burin, pointe-sèche ou manière noire, eau-forte et aquatinte, racontent le parcours artistique de l’artiste, qui quitta le Japon, au final pour ne plus y revenir, passant par les États-Unis, et surtout rencontrant à Paris celle qui deviendra sa femme.

L »atelier de la fondation et la petite rotonde (Cl. Gérard Robin)

Dans la petite rotonde de l’atelier, quelques souvenirs évoquent le périple, dont sa grande malle. Des photos le présentent à différents moments de sa vie. C’est donc avec une certaine émotion que l’on peut découvrir cet artiste, sa maîtrise des manières de graver, en particulier celle de la manière noire, que quelques planches sous vitrine illustrent.

Sa qualité fera, entre autres et nombreuses récompenses ou distinctions, qu’il sera élu correspondant de l’Académie des Beaux-arts, en 1964 ; qu’il sera nommé commandeur de l’ordre du Trésor sacré du Japon, en 1967 ; que le maire de Yokohama, venu spécialement à Paris, lui remettra dans son atelier en 1976 le diplôme d’honneur et la clé d’or de la ville. En 1980, il sera récompensé du Prix Paul-Louis Weiller de l’Académie des Beaux-arts, et décèdera dans son atelier la même année. En 1981, un monument en hommage à l’artiste sera érigé à Naka-ku (Yokohama).

Dessins préparatoires et estampes (Cl. Gérard Robin)

Cette manifestation à la Fondation Taylor nous touche particulièrement, car porteuse de souvenirs. En effet, en 2012, lors d’une biennale que nous avions organisée dans le Sud Seine et Marne à l’Abbaye royale Notre-Dame de Cercanceaux, « Estamp’Art 77, Floraison d’ailleurs : le Japon », nous avions justement rendu hommage à ce grand artiste, qui s’exprima de manière remarquable en manière noire.

Parmi les manières noires présentées (Cl. Gérard Robin)

Et de citer, en conclusion du texte de présentation qu’Yves Dodeman avait rédigé pour le catalogue afférent, le commentaire final de Claude Bouret, conservateur en chef honoraire à la BnF, évoquant les natures mortes gravées de l’artiste : « Grâce à cette technique, Hasegawa accède à une sublimation poétique de l’éclairage et du modelé. Ses natures mortes énigmatiques sont mises en scène dans un espace de silence et de transparence cristalline. L’artiste nous conduit au seuil d’un mystère en nous proposant des symboles à déchiffrer. Renouant à sa manière avec la tradition des vanités, il s’interroge sur la destinée… Ainsi, au cœur de l’Occident, Hasegawa incarne t-il la sagesse de l’Extrême-Orient en déclarant : « Vérité, beauté, pureté, je pense que cette loi est immuable et universelle »
Donc, une visite à la Fondation Taylor à ne pas manquer !

Gérard Robin

Avril à la Fondation Taylor

Expositions d’avril
1, rue La Bruyère
75009 Paris
du 4 au 27 avril 2019

La Fondation Taylor fête le printemps avec un grand rendez-vous d’artistes, visibles aux rez-de-chaussée et sous-sol de l’établissement : Paul Gomez, en sculpture ; Nomah, en peinture, et Hélène Baumel, en gravure. Comme à l’habitude, une superbe exposition pluri-disciplinaire, où le talent ne se conteste pas.

Dans la boule de cristal (Cl. Gérard Robin)

Celui de Nomah, auteur de grandes huiles sur toile, mais qui semble rêver secrètement à s’adonner, puisqu’il est peintre, à la manière-noire… Bien sûr, pour nous, le cœur va en priorité à l’exposition estampière, avec une rétrospective d’Hélène Baumel, – prix Léon et Marie Navier en 2018 -, dont nous découvrons d’une manière insolite l’une de ses cimaises au travers d’une superbe boule de cristal enchâssée dans le bronze, magnifique création, entre autres superbes sculptures de Gonez, et que la photographie retiendra ici.
Quarante-trois œuvres illustrent l’impression forte qui sourd de son travail créatif, essentiellement des aquatintes pour la taille-douce, et quelques bois de fil ou linogravures pour la taille d’épargne, et mixant parfois même les deux techniques. Une artiste donc complète, qui excelle dans les deux manières tout en maintenant une grande cohérence d’expression. Les titres sont d’ailleurs évocateurs de sa sensibilité poétique, pour transcrire les paysages qui sont en flânerie dans son imaginaire : « Entre ciel et mer« , « D’eau et de glace« , « Ombre et Lumières« , « Marée verte« , « Marécages« ,… Faire un choix dans ces créations picturales est bien difficile pour l’amateur d’estampes.
On envie alors d’être l’un(e) de ses élèves, dans les cours qu’elle donne dans le cadre de l’Estampe de Chaville.

Le hall de la Fondation Taylor (Cl. Gérard Robin)

On sait aussi qu’elle n’est pas seulement attirée par l’évocation de ses propres visions, présentées dans l’estampe de cimaises, mais qu’elle cherche aussi à exprimer des images en partage d’autres sensibilités en harmonie, notamment au travers du verbe. La poésie interpelle son imaginaire, celui de poètes contemporains, comme Liliane Eve Brendel, Francine Caron, Danièle Corre, Jean-Marie de Crozals, Marcel Maillet, Roselyne Sibille et, bien sûr, avec Max Alhau, de l’Académie Mallarmé, qui dans une fidélité d’échanges, depuis 2001, donna naissance à plus d’une quinzaine d’ouvrage de bibliophilie, dont deux illustrés par des encres : « À la nuit montante« , en 2002, ou « Du bleu dans la mémoire« , en 2010.

Quelques paysages d’Hélène Baumel (Cl. Gérard Robin)

C’est ainsi qu’elle présente également à Taylor le livre d’artiste : « Terre secrète » (2017), dernier né de cette fidèle collaboration. Que du plaisir donc, à découvrir cette floraison d’œuvres, pour laquelle je laisserai la conclusion au regretté Pierre Séjournant : « Le charme de la taille indirecte en couleurs. La nature, un thème rémanent. Le style d’Hélène Baumel est caractérisé par des lignes qui évoquent le mouvement grâce à leur superposition et un large empiétement des couleurs contiguës, appliquées à la poupée, ce qui les enrichit mutuellement. Ses paysages allusifs reflètent la mouvance de l’instant

Gérard Robin