Entre rêve et narration

Une vue de l’exposition (Cl. Francine Minvielle)

Du 31 mai au 8 juin 2021,
« Quai de l’estampe » Tour St Barthélémy de La Rochelle (17),
une exposition de deux des ses membres,
Eva Demarelatrous et Armelle Magnier.

Les visiteurs pouvaient ainsi découvrir une soixantaine d’œuvres aux différentes approches picturales et techniques telles que le burin, la manière noire, l’eau forte, la linogravure et toutes les combinaisons possibles, engendrées par leur créativité. Ensemble, elles avaient longtemps fréquenté l’atelier de François Verdier, graveur buriniste à Niort, et leur solide formation en gravure s’est, depuis, doublée d’une amicale complicité ! Il n’est pas facile de présenter des visions aussi personnelles et intimistes, sises côte à côte dans cet espace d’exposition qu’est la Tour St Barthélémy et il est plus difficile encore d’en parler tout en respectant les univers de chacune.

Et pourtant, l’harmonie de l’ensemble de cette exposition frappe d’emblée les visiteurs. En circulant entre les panneaux de bois peints en blanc, servant de présentoirs aux œuvres de petits et moyens formats, ils ont l’impression de regarder les pages de plusieurs livres illustrés. Les histoires racontées sont toutes différentes mais le rêve, l’onirisme, la poésie suivent un sentier qui semble s’enrouler sur lui-même dans cette tour du XIIème siècle, toute de pierre vêtue. Le lien entre les deux artistes est accentué par la prédominance d’un noir dense mais parfois modulé par des nuances de gris conférant ainsi du relief à l’image et de la profondeur à l’histoire. La couleur est pourtant là, par petites touches, tant chez Armelle dans ses « Petites Précieuses », (manières noires de 5 x 5 cm) que chez Eva sur les gravures d’affiches ici judicieusement accrochées aux murs de pierres. Pour cerner leurs personnalités d’artistes et révéler davantage les œuvres présentées dans cette exposition, il faut maintenant parler de chacune d’elles, individuellement.

L’expression d’une rigoureuse fantaisie

Une vue des estampes d’Eva Demarelatous (Cl. Francine Minvielle)

Eva Demarelatrous, née à Kiel (Allemagne) en 1938, elle étudie aux Beaux- Arts de Düsseldorf de 1957 à 1959, date à laquelle elle part en Algérie pour suivre son futur mari. Après l’indépendance, la famille déménage de nombreuses fois entre la France et l’Allemagne pour finalement s’installer en 1975 en Vendée. Elle reprend ses études à la faculté des Sciences Humaines de Bordeaux où elle obtient sa Licence ès Lettres en 1968 et un CAPES d’enseignement à Strasbourg en 1972, tout en élevant leurs quatre enfants ! Elle apprend les différentes techniques de l’estampe avec François Verdier à l’école d’art municipale de Niort et ensuite avec Djamel Meskache à l’école d’art de La Roche-sur-Yon pendant une vingtaine d’années jusqu’en 2018.

Peintre pendant plusieurs années, elle réalise des multiples, où elle raconte souvent des histoires figuratives qu’elle peut associer à ses textes. « Ainsi, j’ai édité plusieurs livres d’artiste, avec poèmes et gravures originales. Comme j’écris également, j’aime associer l’image et le texte. « Le va-et-vient entre gravure et typographie est passionnant » précise-t-elle.

La gravure, complémentaire de sa peinture, lui permet de passer des grandes toiles colorées, et non figuratives, à des formats plus petits, en noir et blanc, sur métal et récemment, en couleur, sur linoléum. « En gravure, j’apprécie le côté artisanal, les gestes mesurés, l’alchimie des techniques et des produits utilisés. C’est une bonne école de rigueur et de patience. Même si je maîtrise assez bien les techniques, il y a souvent une part de hasard, mais qui aboutit toujours à un éblouissement ».

Pour compléter ce portrait voici quelques prix obtenus pour son œuvre gravée : le Folio d’or de la 10ème Foire internationale aux Livres d’exception (Albi, 2011), le Prix de la Ville (Royan, 2015), le Prix des Beaux- arts, Prière de toucher, (Béziers, 2016).

Pour cette exposition, elle a choisi de présenter quatre thèmes principaux :
– Le Blanc dans la Vie : images de la vie de famille où la couleur blanche ressort sur les nuances grisées de l’aquatinte. Dans cette pénombre flottent souvent des personnages plus ou moins énigmatiques comme les anciens prétendants sur la gravure du mariage. Leur présence ajoute une note dramatique à la scène. « Le blanc est présent du lange au linceul… »
– Kafka et Miléna : « J’ai choisi ces nouvelles sombres, sans espoir. Kafka c’est le désespoir !  Ils avaient un échange de lettres et elle, Milèna, était sa lumière. Il y avait comme une lumière céleste en elle, disait-il. Il écrivait en allemand et elle était sa traductrice en langue tchèque ».
Les gravures sont traitées au vernis mou et à l’aquatinte, textes inclus. Elles illustrent, dans le style très imagé d’Eva, des extraits de la correspondance originale dont les personnages ou les scènes sont tirés des Métamorphoses.
– Le loup : ce thème cher à Eva, peut être regardé comme Le Petit Chaperon rouge revisité. Certaines scènes sont gravées sur linoléum avec de grandes tailles profondes comme des blessures pour symboliser l’attaque du loup. D’autres, dans une ambiance bucolique et insouciante comme au début de l’histoire, sont empreintes d’une légère naïveté. Eva conclut d’un air entendu, « Dans la vie, le loup est souvent DANS la maison.»
– Les affiches : ces linogravures sont inspirées par de vraies affiches vues à New-York sur les murs de la ville. L’ironie de « Stick no bills » (Interdiction d’afficher) allègrement reproduit dans son motif, la typographie caractéristique et la couleur un peu délavée comme celles des murs défraichis des villes lui font dire avec un sourire malicieux « c’est vivant ».

Sur les traces d’un rêve inachevé

Une vue des estampes d’Armelle Magnier (Cl. Francine Minvielle)

Armelle Magnier n’a jamais oublié son Finistère natal, « les traces de pas sur le sable, le sillage blanc des navires sur l’eau noire, les marques laissées par le vent dans les dunes, celles de la pluie sur les carreaux… » ’est aujourd’hui, toujours au bord de l’Atlantique, dans son atelier à La Rochelle, qu’elle grave ses plaques de cuivre à la recherche de ces traces de souvenirs en partie enfouis. L’impalpable, le fugace, le fugitif, l’inspirent. Manière noire et burin ont trouvé leur juste place dans cette exposition où le visiteur peut à loisir s’isoler et s’approcher tout près des œuvres aux contours mystérieux et inachevés. « Je n’ai pas envie que l’on voie tout, l’imagination est importante » dit-elle avec conviction.

L’œil du visiteur/spectateur scrute, analyse, découvre enfin ce qu’il croit être le corps d’une femme, le tronçon d’un arbre ou même un plongeur à l’arrêt ! Mais ce sont des rhizomes, des racines, des fragments, en fait une image suggérée mais pas finalisée. « Ce sont souvent des ébauches comme des rêves comme des images que l’on a au matin, des soupçons de rêves ».

Chaque œuvre a son histoire, différente de celle d’à côté, référence forte à un souvenir, allusion à un lieu, un thème, une musique. Parce que la musique est aussi très importante pour Armelle en souvenir des « orchestres » improvisés par sa joyeuse maisonnée. Alors, elle l’introduit dans certaines œuvres comme pour en scander le rythme. Tout comme sa passion pour le gaufrage encadrant ou ponctuant certaines images, les enrichissant d’un relief aux lignes courbes. Le mouvement provoqué par cette « gravure incolore » qu’elle crée à partir de tailles profondes dans du lino, anime son image. Le mystère s’épaissit, et c’est justement ce qu‘elle recherche ! Elle va aussi utiliser la technique du gaufrage sur un Chine appliqué, diversifiant ainsi les matières. Armelle adore combiner les techniques (manière noire, eau forte, lino, burin…) s’essayer à divers matériaux, divers métaux, observer les réactions des outils et des mordants. Sa recherche n’a de limites que sa curiosité !

Elle trouve dans la gravure un large éventail de libertés créatrices, « c’est une cuisine où je découvre de nombreuses recettes » a-t-elle déjà déclaré. Par exemple, elle peut travailler une Manière noire comme une aquatinte, reprenant les tailles en les écrasant pour faire apparaître, peu à peu, certaines lumières dans le noir profond. La combinaison de diverses techniques enrichit son travail, mais, pour elle, le résultat final d’une œuvre est surtout dans ce qui ne se voit pas mais qui se devine.

La présentation est aussi très importante. Ainsi l’absence de vitre dans le cadre et la largeur du pourtour blanc autour de l’estampe font partie de la « mise en scène » d’une œuvre. « Jonas » et « Rivages » en sont les parfaits exemples ! Il y a aussi cette sensualité, cet érotisme sous-jacent que l’on perçoit immédiatement dans les formes représentées aux arrondis lascifs ; même une échelle de carrelet en bois est courbe, elle ondule ! Je remarque plusieurs petits formats de même taille, elle explique : « j’ai toujours des 5×5 qui m’attendent l’hiver ». Ici, ce sont des natures mortes monochromes ou bicolores. Ainsi, elle est prête pour les nombreuses expositions internationales des Petits formats auxquelles elle participe régulièrement : Cadaquès, (Espagne), Vancouver (Canada), Kazanlak, (Bulgarie). Pour compléter ce portrait, il me faut ajouter quelques distinctions : la Médaille de Bronze en 2015 et celle d’Argent en 2019 au Salon des Artistes français dont elle est sociétaire.

J’ai trouvé cette exposition en duo captivante, variée, surprenante à bien des égards. Cette « formule » n’est pas nouvelle mais le « Quai de l’Estampe » peut la renouveler sans crainte. Les regards croisés sur deux artistes côte à côte a quelque chose de vivant et d’enrichissant.

A bon entendeur…et ici, bon lecteur…

Francine Minvielle

Gravure & poésie

« La montée des eaux »
Exposition
du 11 au 19 octobre 2019
Tour Saint Barthélémy
rue Pernelle 17000 La Rochelle

« La montée des eaux », ces quatre mots forment une ascension virtuelle et pourtant prévisible d’une catastrophe annoncée et au-dessous, la pluie en traits obliques tombe sur une Arche de Noé solitaire et vide. La page-titre illustrée est sobre mais percutante, comme l’ensemble de cette exposition où alternent les linogravures de Jackie Groisard et les textes encadrés de Alain Richer. Quatre mains pour concevoir et réaliser cette exposition où Jackie Groisard et Alain Richer étaient les invités du Collectif quai de l’estampe dans la Tour St Barthélémy. Poésie et force du trait me viennent immédiatement à l’esprit tant pour l’un que pour l’autre de ces deux artistes qui se côtoient sur les panneaux de bois blanc disposés au cœur de ce clocher gothique du XV° siècle. À l’abri d’une réelle montée des eaux, dans cette tour solide plantée au centre de La Rochelle, le spectateur découvre avec attention et lenteur les images de l’un et les mots de l’autre, comme au temps où les pages d’un journal étaient affichées sur les murs de la ville.

L’entrée de l’exposition (Cl. Francine Minvielle)

Tout a commencé simplement quand Alain a proposé des textes à Jackie « on avait envie de refaire quelque chose ensemble ». Difficile de dire qui a véritablement initié le projet mais ces deux–là se connaissent depuis leur collaboration à l’exposition du collectif Gaspart17 « Paysages avec la mer, ou sans » chez Matlama à La Rochelle en octobre 2014. L’intérêt d’Alain Richer pour l’écologie date de la période où il travaillait dans une Chambre d’agriculture dans l’Eure (1973-1974) à la formation des agriculteurs normands. « J’avais un DEA en sociologie rurale et j’étais sensible à la société paysanne en transformation ». Il ajoute, pour illustrer concrètement son engagement « J’ai voté pour René Dumont, l’agronome bien connu, à la présidentielle de 1974 ». Il travaille ensuite avec le Parc national des Cévennes (1976) et réalise des études sur l’habitat rural (paysan et résidents secondaires). Il y aura aussi un petit passage, à la mode à l’époque, par une expérience de vie en communauté en Lozère où il participe à deux projets d’habitat en commun. Ceci ne durera pas bien longtemps et ses obligations familiales l’obligent à écourter cette voie pour s’engager à la recherche d’emploi et pour ce faire, à changer de région. En 1996 il publie « Les îles sont des rivages de sel » aux Éditions Océanes, un recueil de poèmes sur différentes îles (Ré, Oléron, Yeu), l’océan, les escales maritimes, La Rochelle… On y retrouve « Les heures de Noé » déjà le thème de la mer qui monte, et le déluge qui apparaît. « Et Noé, rescapé, élu, qui renomme les choses et la nature, revivifiées … » Et donc une « Ode à Noé » s’affiche, seule, sur un panneau blanc à l’entrée de l’exposition, message sombre de fin du monde annoncée : « Oh ton exil Noé ! A haut degré le flot de la tempête, revanche des pauvres par le nombre, et le mauvais usage du monde. Sur les parois éteintes de la fête, sur les famines de l’abeille, tu as fondé les funérailles du monde… » (extrait)

Sensible aux preuves évidentes du réchauffement climatique tout près de chez lui, comme la montée de eaux sur le pourtour de l’Atlantique, les inondations à la Rochelle, mais aussi à l’échelle de la planète, « tout ça m’a interrogé », il ajoute : « La montée des eaux n’est pas la seule cause de la dégradation de la vie sur terre, il y a aussi l’Homme, complètement négligent de son environnement et de sa cohabitation avec les animaux. Il y a aussi la société de consommation à outrance qui mène depuis longtemps dans le mur ». A long terme, Alain Richer est pessimiste quant à la survie de notre planète, mais optimiste en voyant la prise de conscience qui commence à émerger. Pourtant il ajoute, dubitatif, « la présence de l’homme sur terre est quand même assez dangereuse !».

Une des estampe de Jackie Groisard (Cl. Francine Minvielle)

Jackie, sur ce sujet, se défend d’être un acharné de l’écologie, mais il affirme son inquiétude devant les bouleversements de notre planète et sa rage devant l’insouciance et la négligence des hommes. « Je ne suis pas militant comme Alain, mais je suis sensible !» Pour cette collaboration en duo, Alain a soumis ses textes à Jackie, qui a « gambergé », comme il le dit, sur le thème de la montée des eaux. Ensuite, Jackie a inventé des scènes qui n’étaient pas dans les textes « il a eu lui aussi son autonomie » précise Alain qui ajoute « Jackie a fait une centaine de dessins préparatoires. J’en ai trié une trentaine, mais ensuite, il a été totalement libre de traiter le sujet comme il l’entendait ». Et Jackie de préciser, « quand je cherche une idée je gribouille énormément ». Pour lui ce ne sont pas vraiment des dessins préparatoires mais de véritables recherches. « C’est du spontané, pas fait pour être exposé. » Pourtant, certains le sont ici, des « gribouillages sur toutes sortes de papiers » qu’il avait sous la main. Mais avant de définir l’image qui sera retenue puis gravée « un trait vraiment posé, qui est prévu », il y a encore bien des étapes ! Travail de recomposition de l’image (découpages, recadrages), ou couleur du dessin par le biais de la photocopieuse, ou même de l’ordinateur « je suis aussi moderne ! Les techniques de maintenant on ne va pas s’en priver !» Sourire joueur de l’artiste devant mon étonnement.

Il n’était pas question, ni pour l’un ni pour l’autre d‘illustrer mais plutôt de s’inspirer du message ou de certains mots : une véritable fusion entre les deux partenaires. Alain parle d’ailleurs très bien du travail de son partenaire « Jackie a su décrire et graver, gravement et sans pitié, les errances d’un monde en fin de course qui fait semblant d’ignorer sa finitude. » En fait, auparavant, Jackie s’exprimait davantage en peinture qu’en gravure jusqu’à l’arrivée providentielle de cette grande presse qui occupe, depuis à peine deux ans, l’atelier du Collectif quai de l’estampe situé au rez- de- chaussée de la Tour St Barthélémy de La Rochelle. Son parcours atypique a débuté très jeune. Il est lauréat du Concours général de dessin en 1969 à l’âge de seize ans où son professeur le remarque et le guide dans ses premiers pas artistiques. Il expose pour la première fois à Laval avant d’aller faire ses études à l’école des Beaux-arts de Rennes, et d’y approfondir l’histoire de l’art à la Faculté des lettres. Il se forge ensuite une solide formation personnelle en faisant toutes sortes de métiers « du monde réel » ce qui va fortement influencer son inspiration artistique. Il y a aussi les maîtres comme Bacon et Picasso entre autres. S’il a abandonné ses peintures hyperréalistes, il lui reste la technique, la rigueur du dessin sans oublier de laisser transparaître l’émotion, surtout la sienne !

Une des matrices en linoléum
gravée parJackie Groisard (Cl. Francine Minvielle)

Alain Richer dit du travail de Jackie sur La montée des eaux que « c’est une œuvre très noire » (allusion à la fois à l’encre et à l’atmosphère) que Jackie Groisard « tire vers la couleur et qui prend la forme sans limite du dessin, marqué, volontaire en insistant sur les faits : l’insouciance des peuples oublieux de l’urgence ». Comme les représentations instantanées d’une bande dessinée, les linogravures en noir et blanc mais aussi en deux ou trois couleurs (soit brun soit vert) sont associées parfois à leur plaque-matrice pour une double lecture. La trame ainsi présentée s’inspire de l’histoire du déluge d’il y a plus de 4 000 ans et de Noé, patriarche biblique, dont l’arche doit sauver les hommes et les animaux en les abritant de la montée des eaux. Dans son œuvre en général et en particulier dans cette exposition il allie la rigueur de la composition à l’improvisation, le modelé à la touche libre. Son œuvre est une œuvre de combat contre le temps aussi bien en peinture qu’en gravure, contre lui-même et contre l’inconscience et la bêtise des hommes. « Je tente, à travers des images immédiatement lisibles, d’aller au-delà des apparences afin d’exprimer la révolte et l’espoir au sein d’un monde absurde ». Et pourtant le tragi-comique des situations n’est jamais bien loin, l’humour et l’amour de la vie sont constamment présents, son trait en atteste. Dans son texte de présentation sur « La montée des eaux » Alain Richer écrit ceci « En attendant le jour de l’écriture, ce chant nouveau après tant d’autres, un hymne, une ode à la gloire de nos pères, à la santé de nos fils…Chant de délivrance qui rassemble les mots et les images, les gravures pour une alliance provisoire…En attendant le jour construisons un monde qui ne bouge pas ! Oui. Et après, après ? » Après cette exposition, nous attendons tous un nouveau message fort, à quatre mains, chanté, lu et dessiné par vous deux, messieurs les artistes.

Francine Minvielle

Cazalis à La Rochelle

Exposition Alain Cazalis
Quai de l’estampe-collectif de graveurs
Tour Saint-Barthélémy
rue Pernelle
17000 La Rochelle
8 au 15 juillet 2019

Comme un jeu de chamboule-tout, des boîtes de conserve étiquetées « Macédoine de déchets marins » s’empilent autour d’un des piliers du XIIe siècle de la Tour Saint-Barthélemy à La Rochelle. A leur base, un amas de ces fameux déchets marins qui polluent nos océans et nos plages. C’est la surprenante vision qui accueille le visiteur dès l’entrée de cette exposition à La Rochelle. Artiste invité par le collectif Quai de l’estampe, Alain Cazalis expose ici une cinquantaine de gravures réalisées ces dernières années aux techniques variées : taille d’épargne sur bois ou linoléum, tracés à la plume, rehauts d’acrylique, d’aquarelle ou de gouache et impressions numériques.

« Macédoine de déchets marins » (Cl. Francine Minvielle)

Le message de l’artiste est clair et fort : « Transmettre à nos descendants une vision du monde plus propre et plus responsable ». Et pourtant, l’impression générale qui ressort des œuvres accrochées sur les panneaux de bois blanc ou sur les pierres ocres de cet ancien clocher est gaie, pimpante, ludique. On entre dans cette exposition sans hésiter comme happé par un attrait festif où le message grave semble se camoufler parmi les couleurs variées, les formes découpées sans souci de la géométrie, le foisonnement des personnages et des objets plus ou moins reconnaissables.

On note aussi, et c’est étonnant pour de la gravure, les nombreux tirages uniques, les impressions sur papiers anciens, japonais ou autres, les combinaisons de techniques sur une même plaque. Pour Alain Cazalis, la gravure offre un immense champ de possibles, d’expérimentations, qui sont autant d’évasions du conventionnel et de la tradition. Il use, sans abus, des rehauts d’aquarelle, d’acrylique ou de gouache, transformant ses tirages en autant de scénettes où l’œil du visiteur fouille les détails pour en comprendre le sens. J’aime aussi ses innombrables petits traits soulignant les motifs comme pour leur donner vie en soulignant leur mouvement. En grand amateur de brocantes, il aime découvrir dans les objets la forme qu’il cherche inconsciemment et qui lui servira de matrice après qu’il l’ait découpée, combinée à d’autres, bricolée à loisir…

Une vue de l’exposition (Cl. Francine Minvielle)

En homme attaché à l’environnement depuis toujours, impliqué dans diverses actions pour sensibiliser les autres à la protection de la nature, Alain Cazalis présente ici un condensé de son souci d’îlien et d’humain. En « migrant qualifié » comme il se définit lui-même sur son autoportrait bleu, il s’intéresse au sort de ces « Navigateurs solitaires » qui parcourent les océans « pour parvenir à leur terre d’asile » en évitant autant que possible les obstacles hétéroclites que sont les déchets rejetés par notre surconsommation. Mais en artiste qu’il est, ce voyage est pour lui « notre tentative éperdue pour éviter les écueils de la vie courante ».

Une autre vue de l’exposition (Cl. Francine Minvielle)

Je laisse au visiteur le soin de découvrir le foisonnement de ses trouvailles picturales pour faire passer un message grave. Il présente ainsi, dans le cadre « splendidement » ancien qu’est la Tour Saint-Barthélemy de La Rochelle, sa vision moderne de la gravure qu’il traite en « multiples non identiques » pour parler de la dégradation actuelle de notre planète.

Francine Minvielle