Les graveures

AACBMR
Atelier Gabrielle
4 juillet – 4 août 2019
2 cours Jean Bart
83690 Salernes

La série des douze estampes de Christine Gendre-Bergère, intitulée « Les graveures », a été présentée dans de nombreux lieux (Atelier Grognard, Fondation Taylor, galerie de l’Échiquier, etc.) où elle a toujours suscité l’intérêt du public et son admiration.

Car, il s’agit-là d’une série qu’on peut qualifier de magistrale. En effet, avec l’invention de la photographie et l’évolution de tous ses avatars technologiques, dont le dernier en date est dit numérique, le portrait exécuté « à la main » est devenu une discipline rarement pratiquée. Aujourd’hui, le plus souvent la main sert à déclencher l’appareil qui saisit instantanément le portrait de Moije sur un arrière-fond touristique ou pittoresque ou bien souriant niaisement, oreille contre oreille, avec une célébrité du moment. Le « selfie », puisqu’il faut bien l’appeler par son nom, cliché par l’index ou par le pouce, se diffuse à profusion et à la vitesse de la lumière et envahit exponentiellement les mémoires de nos machines numériques en s’exonérant de tout médiateur. Grâce à ces machines manuellement portables, tout à chacun est appelé à céder à la tentation du « selfie » Moije, cet abîme narcissique contemporain.

Il s’agissait donc d’une singulière gageure que de vouloir s’engager dans cette série de portraits (et d’un auto-portrait), gravés « à la main », qui croquent, dans l’exercice de leur passion, une cohorte d’artistes et graveures choisies par Christine Gendre-Bergère. Ainsi, ce défi a été victorieusement relevé par la graveure, auteure de cette série, pour l’offrir à notre regard admiratif.

Pourtant, l’art du portrait est un art particulièrement difficile ou bien peu s’aventurent. Il faut, non seulement, traduire fidèlement l’enveloppe charnelle et visible du sujet, quel qu’en soit d’ailleurs son traitement graphique, en écarter les aléas de l’instantané photographique mais aussi laisser transparaître et deviner le caractère intime du sujet, sa psychologie voire ses joies ou ses douleurs. Il faut aussi, dans une époque qui en est chiche, du temps, de l’attention, de la patience et de la méditation. Avant l’ère de la photographie, la gravure y excellait : pour preuve, par exemple, les minuscules mais sidérants auto-portraits de Rembrandt. Sans flagornerie aucune, cette série s’inscrit dans cette tradition. En outre, elle s’est enrichie ici des caractéristiques originales du portrait féminin que nous a léguées l’art japonais de l’estampe sans que, toutefois, ces portraits en soient leur décalque servile.

Regardons donc avec respect, comme on le ferait pour ces femmes de l’Ukiyo-e, ces graveures portraiturées par Christine Gendre-Bergère. Trois planches, gravées à l’italienne et assemblées verticalement, campent ainsi chaque portrait en pied. Ici, pas de fond pittoresque ou touristique, le sujet jaillit de la plage de papier laissée vierge. Comme dans les images du monde flottant, quatre éléments saillent de la composition : la posture, les vêtements, les instruments de la passion graveuse et le visage, et, à chaque fois, ces éléments restent différents et essentiels du sujet. Tous sont traités avec le plus grand soin, posture, vêtements, outils et visage, dans la délicatesse du détail sans que jamais leur expression graphique ne penche vers le trompe-l’œil. Tous ces éléments sont suggérés mais tous sont particulièrement et harmonieusement présents. Alors, chaque estampe n’a plus rien à celer : tout y est dit.

Auto-portrait de Christine Gendre-Bergère (Cl. CGB)

Même si la graveure figurée ici vous est inconnue, ce portrait vous la rend familière. Vous la connaissez de toujours. Sans les citer toutes à comparaître, en voici quelques-unes : Christine Gendre-Bergère, perchée sur son haut tabouret, pétille son regard derrières ses lunettes et frise son sourire malin, sensible et ironique tout à la fois ; Claire Illouz se penche sur son ouvrage, interrogative, toute à sa méditation et à sa sagesse silencieuse ; Brigitte Kernaléguen s’avance enthousiaste, à la hussarde, en brandissant son burin ; Anne Paulus se protège rationnellement des émanations d’une matière rétive qui l’intrigue ; Devorah Boxer attend simplement, modestement avec son sourire hospitalier. Bref, toutes ces graveures sont bien vivantes devant vous, passionnées sur le pas de leur atelier, prêtes à vous faire partager la joie de graver qui les anime toutes.

Une série d’estampes, donc, à voir ou à revoir chaque fois que l’occasion s’en présente ou pour prolonger le plaisir de la visite, dans le secret d’une bibliothèque, ouvrir le livre d’artiste relié où Christine Gendre-Bergère a couché cette série magistrale d’estampes : « Les graveures » avec tous les outils dont elles continuent d’user « à la main ».

Claude Bureau

Carton gravé

« L’atelier du carton gravé »
Galerie l’Entr@cte
3 rue de Versailles
92410 Ville d’Avray
du 26 mai au 8 juin 2019

On aurait tendance à penser qu’un carton gravé est un petit rectangle qu’on donnait naguère, en présentant ses civilités, à la personne inconnue avec laquelle on désirait prolonger la conversation. Plus prosaïquement, il s’agit bien ici de cette matière papetière dont le collectif « Carton extrême carton » promeut l’usage comme plaque à graver pour imprimer des estampes. Il est donc naturel qu’il choisisse ce titre : « L’atelier du carton gravé », pour sa nouvelle participation à la Fête de l’estampe 2019, afin d’intituler cette exposition qui montre les multiples expressions que des matrices en carton gravé sont capables de produire.

Habitués que nous sommes aujourd’hui à des expositions presque jansénistes où une œuvre garde toujours ses distances avec celles qui l’entourent, ici, dans les quatre salles dont est constituée la galerie sise au premier étage de l’ancienne maison bourgeoise transformée en espace culturel par la municipalité de Ville d’Avray, ce collectif d’artistes a pris le parti inverse et s’est lancé dans une profusion de propositions qui mêlent – toutefois parfaitement ordonnées et accrochées – du plus petit format au plus grand, de nombreuses estampes dans un espace malgré tout restreint. En outre de cette abondance, l’absence de protection vitrée et d’encadrement donnent à l’ensemble de « l’atelier » un aspect vivifiant et léger qui sait éviter le côté parfois compassé et solennel de bien des accrochages artistiques.

Une vue des salles (Cl. Claude Bureau)

Dans la salle d’accueil, sur deux tables blanches, des réalisations, que des esprits chagrins pourraient qualifier de cartonnage, attirent le regard. Elles mettent en volume la malléabilité esthétique de cette matière carton. L’art peut aussi tenir dans les mains : des petites boîtes, vases ou tirelires de Serge Bolland avec les estampes colorées, découpées et contrecollées de Dominique Moindraut, ou bien encore des carnets et des crayons à papier gainés des estampes colorées de Maryanick Ricart.

Les trois autres salles méritent, elles aussi, une lente déambulation tant les nombreuses estampes punaisées magnétiquement sur les murs blancs imposent que l’on s’arrête longuement devant chacune elles. Dans une grande composition orthogonale, Pascale Simonet assemble de multiples formats qui se répondent dans un complexe échiquier de noirs et blancs. Le bestiaire de Michèle Atman surgit là où ne l’attend pas, sorti tout frétillant de ses paysages imaginaires. Les livres d’artiste de Joëlle Dumont attendent sagement dans une vitrine enfin ouverte où une paire de gants blancs incitent à les compulser à loisir. Le dièdre consacré aux touches colorées de Dominique Moindraut appelle à une joyeuse rêverie. Enfin, les tirages de Julien Mélique, présentés parfois côte à côte de leur matrice légèrement colorées, mettent en lumière toute une série de matières et de gris, abstraitement figuratifs ou figurativement abstraits, subtilement dégradés en un jeu polyphonique issu du seul carton gravé, encré, essuyé et imprimé.

Une autre vue des salles (Cl. Claude Bureau)

Pour ceux qui en douteraient encore, le carton, cette vile matière si communément répandue, peut, quand il est utilisé avec talent, être une matrice d’estampe égale à toutes les autres matières : qu’importe la matrice pourvu qu’on ait l’image !

Claude Bureau

Ombre et lumière

« Ombre et lumière »
au SEL
47 Grande rue
92310 Sèvres
du 10 mai au 10 juin 2019

Dans le cadre de la Fête de l’estampe 2019, le SEL (Sèvres espace loisir), qui est hébergé sous la halle en fer de type Baltard de l’ancien marché local reconverti en centre culturel municipal, présente, sous ce titre : « Ombre et lumière », une exposition de 23 estampes et 4 livres d’artiste d’Hélène Baumel dans sa galerie dont la faible hauteur sous plafond des pièces qui la composent, convient parfaitement, dans sa relative intimité toute de noir vêtue, à l’accrochage de gravures.

Femme affable, souriante et discrète, Hélène Baumel, dont on connaît mieux les aquatintes colorées avec des paysages évocateurs qui frisent le figuratif, a choisi ici exclusivement des tailles d’épargne exécutées à partir de toutes sortes de plaque que l’industrie du bois et de ses dérivés est capable d’offrir à l’outil qui grave : bois de fil, contreplaqué, latté, médium ou linoléum. Par contraste avec ses aquatintes, elle propose des sujets qu’on ne voit plus guère dans les expositions contemporaines : paysages figuratifs, vignes méridionales, sous-bois, montagnes ou collines, boqueteaux de divers végétaux, mosaïques de toitures….

L’image du carton d’invitation

Cependant, elle leur donne un tour tout à fait personnel et original. La gouge d’Hélène Baumel ne va pas par quatre chemins, elle dessine et taille franchement et directement le motif, sans détour ni fioriture. Comme dans ses aquatintes, elle sait jouer de teintes aqueuses, avec une ou plusieurs plaques colorées sous la matrice noire du motif principal qui vibre alors de ces nuances transparentes et légères et qui restitue la tonalité du sentiment ou de la saison qu’elle exprime.

Les 4 livres d’artiste, constitués de la même substance sont présentés dans une grande vitrine verticale qui empêche de pouvoir les compulser comme on souhaiterait pouvoir le faire. Incitation, sans doute, à prendre rendez-vous à l’atelier de « L’estampe de Chaville » dont Hélène Baumel est l’un des piliers, pour les acquérir et les emporter.

Claude Bureau