Salons…

Une vue du Salon dans la rotonde (Cl. Claude Bureau)

« Émergence »
Onzième Salon des arts
Rotonde du Sel (Sèvres espace loisirs)
47 Grand Rue 92310 Sèvres
du 21 au 30 janvier 2022

Avec la valse de variants moins sévères les expositions peuvent cahin-caha reprendre leurs cours. Parmi celles-ci, les Salons perpétuent une tradition établie depuis le XVII° siècle avec le Salon de peinture et de sculpture qui se déroulait dans le salon carré du Louvre, puis par le Salon des artistes français et leurs divers variants, Salon des refusés, Salon des indépendants, Salon de la nationale des beaux-arts, Salon d’automne, Salon d’hiver, Salon de mai, Salon réalités nouvelles, Salon comparaisons, etc. Maintenant, il n’est guère de ville, disposant d’un lieu d’exposition adéquat, qui sous son égide ne patronne pas le sien. La notoriété de l’un sert la notoriété de l’autre. Les uns sont plus courus que d’autres et bénéficient plus ou moins de la manne publique. Ces Salons se placent dans le calendrier à dates récurrentes et accumulent au fil du temps leur énième édition, nonobstant les guerres ou les pandémies. Tous ont le bienfait de permettre aux artistes, sélectionnés le plus souvent par l’organisateur, de pouvoir exposer directement leurs travaux avec ou sans bourse déliée. Alors qu’elles poursuivent la même fonction, quelques fondateurs ou organisateurs de ces expositions refusent le vocable Salon et les nomment autrement en biennale ou triennale accompagnée de leur lieu éponyme.

« Le Salon de 1787 au Louvre »
estampe de Pierre-Antoine Martini (Cl. Gallica BnF)

Par nature hétéroclites, ces expositions, qui rassemblent en un même lieu et en un temps limité des œuvres de genres et de techniques artistiques diverses, essayent par des scénographies appropriées d’obvier à cet inconvénient en regroupant les présentations par genre, manière ou technique voire format. Alors que, comme en témoigne la gravure ci-dessus, on ne s’encombrait pas de scénographie naguère où les œuvres s’accrochaient à la va-que-je-te-pousse sans que le public et les artistes s’en offusquassent, désormais on peaufine l’accrochage. De plus aujourd’hui, il est de bon ton d’ajouter un thème en sous-titre à chaque édition de ces Salons dont le choix de leur sous-titre ne change rien à la variété des propositions rassemblées à ce moment-là.

« Ne pas déranger » d’Yves Caillaud (Cl. Claude Bureau)

La onzième édition du Salon des arts organisé par l’association la Sévrienne des arts ne déroge pas à cette nature. Agréablement disposée dans un lieu aéré, un ancien marché de type Baltard reconverti en établissement culturel, elle ne subit pas les contraintes d’exiguïté d’antan et laisse respirer chaque œuvre et chaque visiteur. Les peintures sont très majoritairement présentes en nombre et en format, et, presque toutes non-figuratives. Des sculptures, aériennes pour l’invitée d’honneur, ponctuent le parcours avec quelques photographies et dessins. L’association a sélectionné très peu d’estampes. On peut regretter pour certaines de celles-ci des impressions quelque peu relâchées qui nuisent à la vigueur de leur matrice. Paradoxalement émergent de ce Salon, à mon goût, deux assemblages à la manière d’Arman, deux panneaux d’Yves Caillaud qui ne sont ni tout à fait peinture ni tout à fait sculpture ni bien entendu gravure et qui ont été récompensés par le prix du lieu.

Claude Bureau

Le chêne et l’atelier

La presse des tailles d’épargne (Cl. Claude Bureau)

Il n’y a plus de chêne dans cette rue qui fut naguère un chemin agricole pour franchir à gué le ru de Marivel dont le lit divaguait d’ici jusqu’à la Seine. Depuis, l’urbanisation a érigé l’imposant talus de la ligne de chemin de fer Paris-Montparnasse-Versailles, des tours et des barres d’immeubles d’habitation. Au numéro un de cette rue du Gros Chêne, l’« Estampe de Chaville » a élu domicile.

Pendant un bel après-midi ensoleillé, une visite à cet atelier s’imposait. Après avoir composé le digicode indispensable pour y entrer, pénétré dans le hall carcéral de l’immeuble bardé sur tout son périmètre de batteries de boîtes à lettres et de trois doubles portes d’ascenseurs qu’il vaut mieux éviter, grimpé un escalier en colimaçon cubique, appuyé sur la sonnette, ouvert la porte d’entrée et avoir suivi une coursive aveugle où s’accrochent de nombreux encadrements d’estampes, André Bongibault, directeur des lieux, Jean Benais, président de l’association et Hélène Baumel, animatrice de la taille d’épargne, accueillent chaleureusement le visiteur dans un grand vestibule où débouchent toutes les parties de l’atelier dont, à dessein, les portes ont été ôtées afin de laisser la lumière guider chacun vers ces endroits où se créent et s’impriment les estampes.

Dans ce vestibule, s’imposent deux grands meubles où dans leurs tiroirs se rangent les estampes des artistes de l’atelier pour se prêter à l’admiration des amateurs de passage. Au-dessus de ceux-ci des catalogues, des documents et des flyers présentent les activités de l’association. Sur la droite, s’élève jusqu’au plafond un grand coffrage parallélépipédique en contreplaqué brut où se resserre la boîte à grains des adeptes de l’aquatinte. Après une pièce de service ouverte depuis le centre du vestibule, se découvre une grande pièce abondamment éclairée par une grande baie vitrée et une porte-fenêtre qui donne sur le balcon périphérique extérieur. Cette pièce est réservée à la cuisine avec son grand évier à double timbre et aux acides. Sur le plus grand mur deux grands bacs métalliques noirs munis d’un couvercle de la même couleur attendent les plaques pour leur bain de perchlorure de fer, l’un pour le zinc, l’autre pour le cuivre. Devant la fenêtre, le râtelier des gants pour la protection des mains agiles patiente.

L’élaboration des gravures (Cl. Claude Bureau)

Sur la droite de la pièce de service, d’une dimension semblable et éclairé par la même lumière naturelle que le laboratoire aux acides, s’offre dans son ordre clinique l’espace dédié à l’impression des tailles d’épargne, bois ou linoleum. Dans son centre, parfaitement dégagée trône une antique presse cliquetant les engrenages de sa multiplication avec boulonnés sur sa table de tirage deux forts rails en acier sur lesquels repose le rouleau supérieur. Sur l’un des murs, une grande vitre de roulage s’accompagne de tout un jeu de rouleaux à encrer de diverses dimensions. Cette salle se prolonge ensuite sur un très grand espace où se préparent et se gravent les matrices avec ses tables de travail, ses chaises, sa dizaine de châssis translucides qui surplombent les ouvroirs dans la lumière artificielle ou solaire de cet après-midi où officient quatre stampassines masquées qui peaufinent leur plaque gravée.

Sur la droite du vestibule, le deuxième grand espace de l’atelier est voué aux impressions en taille-douce. Sur le mur de gauche s’étagent les rayonnages où s’alignent les encres, puis, sous les fenêtres se repose une batterie de vitres d’encrage. De l’autre côté sur le mur aveugle, des tiroirs plus ou moins maculés de traces de doigts entreposent les feuilles de tirage vierges à côté d’un point de puisage et d’un grand bac de trempage du papier. Au centre du plancher, installées très à leur aise, les deux presses taille-douce espèrent leurs prochaines épreuves : la moyenne avec ses bras multiples rayonnants, la plus grande, avec son volant et son engrenage démultiplié, fabriquée par Richebé.

La grande presse des tailles-douces (Cl. Claude Bureau)

Ainsi sur ce premier étage, jour après jour, s’élaborent les travaux qui seront exposés lors de la prochaine biennale de l’« Estampe de Chaville » décalée à l’automne 2022 pour cause de pandémie. Si les arbres centenaires ont disparu de la rue du Gros Chêne à Chaville, l’atelier des estampes est lui encore bien vivant sous la tour de dix-huit étages qui l’abrite aujourd’hui.

Claude Bureau

La vague…

« Sous la vague au large de Kanawaga » d’Hokusai
(Cl. Metropolitan Museum of Art of New-York)

Pendant la période de l’Avent les vitrines des rues commerçantes et celles virtuelles des sites marchands sur Internet regorgent de cadeaux à acquérir pour les fêtes de fin d’année. Parmi ces cadeaux sont offerts, dans les catalogues des grands musées mondiaux, de multiples objets dérivés. En mathématiques, la dérivée indique le sens de la pente d’une courbe. En matière d’objets dérivés depuis un certain temps la pente devient quelque peu vertigineuse.

Déjà en 1936, Walter Benjamin, dans son essai intitulé : « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée », constatait que ces procédés mécaniques avaient fait perdre aux œuvres d’art leur aura. Depuis, avec l’ère numérique, cette désacralisation de l’art s’est exponentiellement amplifiée. L’expression populaire : «  Faire feu de tout bois », peut maintenant se pasticher en : « Faire argent de tout art », tant ces objets dérivés se déclinent à l’infini sur les sites des musées. Pour le mettre en évidence, il suffit de prendre un seul exemple, auquel le titre de ce billet emprunte une partie de son nom, celui de l’estampe : « Sous la vague au large de Kanawaga » du Japonais Hokusai. Elle est ainsi dérivée en divers objets dans le catalogue des Boutiques des musées publié par la Réunion des musées nationaux.

Sac avec reproduction de la vague (Cl. Boutique des musées)

Cette célèbre estampe, dont un des tirages originaux est conservé au musée Guimet à Paris, mesure 25,7 x 37,9 cm. Que l’on puisse désirer garder par devers soi pour contempler dans le calme de sa demeure un fac-similé fidèle de celle-ci semble légitime. Ce catalogue le propose. Fort bien. Mais que penser alors de ses autres propositions : un agrandissement mural de 80 x 100 cm, un cabas pour les courses, une pochette de protection d’un micro-ordinateur, deux paires de chaussettes, deux punaises magnétiques, une housse de coussin, un masque facial de protection, un bracelet pour dame, un puzzle de mille pièces, une étole de soie, etc. ?

Paire de chaussettes avec la vague (Cl. Boutiques des musées)

Dans ce monde des objets dérivés, l’œuvre d’art a non seulement perdu son aura mais ceux qui ont en charge d’en garder et de conserver l’original ont introduit dans le temple, sans doute sous les aimables encouragements de leurs agents comptables, le merchant-design et la rentabilité commerciale. Nul ne les en chassera car depuis plusieurs décennies la pente de cette dérive est bien trop forte et universelle. Comme dans cette estampe d’Hokusai, ne risque-t-elle pas alors de submerger les frêles esquifs où sont encore embarqués les créateurs d’images d’aujourd’hui ?

Claude Bureau