Gaby Bazin

Les éditions MeMo proposent de forts jolis livres, à destination des enfants et des adultes, et on ne peut que louer l’attention portée par la maison à la fabrication de ses ouvrages. Il en est ainsi de ces deux livres de Gaby Bazin. Il est amusant de remarquer qu’alors que l’autrice aborde d’anciens métiers de l’imprimerie, son graphisme est influencé par une technique d’impression d’aujourd’hui, ou plutôt, remise au goût du jour : la risographie1. Peut-être devrait-elle d’ailleurs y consacrer un prochain volume, tant cette pratique, à cheval entre la photocopie et la sérigraphie, s’impose aujourd’hui dans le monde de l’image imprimée. Non seulement offre-t-elle à de nombreux graphistes des possibilités de reproduction peu onéreuses et peu gourmandes en espace d’atelier, mais, d’une certaine façon, et c’est souvent le cas en impression, la machine impose un style à celui qui l’utilise, par son mode de fonctionnement même. C’est ainsi que les livres de Gaby ont cette qualité de jeux de couleurs directes, de superpositions de trames et de décalages qui en font tout le charme.

Ces deux beaux ouvrages permettent aussi de mettre en lumière deux lieux importants pour la pratique actuelle et contemporaine de ces métiers anciens. La lithographe est le fruit d’une résidence d’artiste au musée du pays d’Ussel qui, chaque été, propose une résidence dans son atelier de lithographie – on y trouve aussi un atelier typo. Le typographe a été imaginé au Bief, la Manufacture d’image d’Ambert.

Ces deux lieux valent le détour pour la qualité des collections, des équipes qui y travaillent et leur engagement à faire vivre leurs pratiques sans se laisser happer par un réflexe encore trop fréquent chez certains ateliers, celui du « c’était mieux avant ». Que des dessinateurs en tous genres puissent trouver là des outils en état de fonctionner et des équipes capables de les manier, c’est la garantie que ces pratiques perdurent, s’ancrent dans le présent et offrent à l’image imprimée une présence forte. Dans la même catégorie de lieu ressource, on pourrait nommer le MAI, le musée de l’Imprimerie de Nantes (Nantes, où l’on trouve les éditions MeMo, dites-donc…), mais il y en a bien d’autres encore.

La question de savoir à qui s’adressent ces deux ouvrages n’a pas beaucoup d’intérêt, je l’avoue, mais je me la suis quand même posée ; par leur graphisme et leur narration, ils sont clairement à l’attention d’un jeune public. Par ma pratique pédagogique personnelle, j’ai souvent pu remarquer que peu d’enfants (la plupart des adultes, pas plus) se posent la question de savoir comment les choses sont fabriquées, et les livres en particulier. Mais pour peu que vous commenciez à leur montrer, alors leur curiosité prend le dessus, et vous ne pouvez plus les arrêter d’actionner une presse à épreuve tant qu’ils n’ont pas de l’encre jusqu’aux oreilles ! On peut souhaiter que les efforts de Gaby seront récompensés par de nouvelles recrues dans nos ateliers. Elle a le goût du didactisme et offre, surtout dans La lithographe, une explication très claire de la technique elle-même, pas évidente à comprendre pour un novice.

On sait bien, aussi, que ce sont les parents qui achètent les livres, et ces deux ouvrages leur font des clins d’œil graphiques évidents. Quant à la personne déjà au fait de ces deux métiers, elle pourra agréablement utiliser ces livres pour appuyer sa médiation, et aura plaisir à les voir ainsi mis en valeur en de belles pages colorées, pleines d’outils, d’objets de l’atelier, de mains, de gestes et de postures de l’ouvrier à la tâche.

Quentin Préaud

Nota Bene :
Gaby Bazin, La lithographe, Nantes, Éditions MeMo, 2021, (non paginé [34] p.), ill. en coul. ; 25 cm (16 €)
Gaby Bazin, Le typographe, Nantes, Éditions MeMo, 2022, (non paginé [36] p.), ill. en coul. ; 25 cm (18 €)
Éditions Memo : http://www.editions-memo.fr
La Manufacture de l’image d’Ambert : https://www.lebief.org/
Le musée du pays d’Ussel : http://www.ussel19.fr/musee/imprimerie/
Le MAI :
https://musee-imprimerie.com/actualites/
1Deux ateliers de risographie :
À Paris, l’atelier Quintal : https://www.quintalatelier.com/
Dans la Drôme, par exemple, mais on en trouve partout en France, l’atelier Système sensible : http://www.systemesensible.fr/

 

Compositions

Côté Christiane Vielle (Cl. M. Préaud)

Galerie Anaphora
13 rue Maître Albert 75005 PARIS
du 27 septembre au 22 octobre et du 8 au 19 novembre 2022
du mardi au samedi de 15h 30 à 19h 30

La galerie Anaphora, sous le titre générique de « Compositions », présente trois graveurs « abstraits » : Christiane Vielle, Erwin Heyn et Jim Monson. « Abstrait », cela veut dire que c’est à celui qui regarde de se débrouiller pour comprendre les subtilités de l’image qu’il a sous les yeux. Quand il y en a. Et il se trouve qu’il y en a parfois.

Christiane Vielle est depuis longtemps connue pour la rigueur de ses travaux en taille-douce, leur élégance aussi discrète qu’évidente, la finesse de ses relations noirs-blancs-gris. Techniquement impeccables sont ses jeux de vernis, ses empreintes, ses grattages, ses collages, et de temps à autre un aplat de couleur se mêle à ses impressions qu’elle réalise toujours elle-même. Avec ses illustrations du livre Pierres (1984), ici également présenté, elle aime à rappeler sa rencontre marquante avec Roger Caillois et avec son épouse. Elle se souvient aussi avec chaleur du peintre et graveur Abdallah Benanteur, à l’aise dans une presque abstraction lyrique proche de Monet et de Riopelle, plus coloriste que Christiane toutefois.

Erwin Heyn propose des œuvres bien différentes. Techniquement parlant, d’abord, puisqu’il travaille au burin dans le bois debout, et en couleurs. Mais on est en présence d’accumulations de motifs rigoureusement répétés, à la limite du papier peint en réduction et de la dominographie, sans ouverture, et sans que se laisse entrevoir une quelconque gestuelle.

Côté Erwin Heyn (Cl. M. Préaud)

Quant au troisième participant, Jim Monson, il propose des estampes obtenues en bois de fil et en couleurs, généralement en aplats, imprimées le plus souvent selon la méthode en puzzle mise au point par le Norvégien Edvard Munch il y a environ un siècle. Monson ne cache guère ses influences, comme celles de Kandinsky ou de Miró.

Côté Jim Monson (Cl. M. Préaud)

L’ensemble forme une manifestation à la fois spectaculaire par les œuvres proposées et intime par l’atmosphère de la galerie Anaphora, laquelle a le double mérite de présenter des œuvres contemporaines en dehors des banalités américaines dans un quartier de Paris encore un peu protégé de la fureur des édiles.

Maxime Préaud