L’estampe sans chapelle

Chapelle Sainte-Macrine (CL. DD17 – « lesmouettes17 »)

À l’orée du marais poitevin, en bordure de route près du bourg de Magné, une chapelle, dite de Sainte-Macrine, a retenu notre attention. Et non pas seulement parce qu’elle est devenue dès le VIIIe siècle un haut lieu religieux du pays maraîchin, dédiée à une sainte, venue d’Espagne au IVe siècle pour y fuir des persécutions. Considérée comme patronne des bateliers et protectrice du monde paysan, on dit qu’au Moyen-Âge les pèlerins s’en venaient pieds nus de Niort pour espérer miracles et guérisons ; un pèlerinage annuel fut institué et, aujourd’hui encore, réunit le 6 juillet les chrétiens du marais.

La chapelle a été, hors le temps du pèlerinage, partiellement désacralisée et accueille aujourd’hui avec bonheur des manifestations culturelles. Cadre architectural modeste, chargée de cette grande tradition mystique, elle devient un véritable écrin pour accueillir par exemple une exposition d’estampes (du 26 mai au 8 juin 2022), comme celle que nous découvrons. D’autant que les cimaises qui ont été installées sont d’une grande sobriété, en correspondance avec les lieux, la couleur du bois s’intégrant parfaitement avec la pierre. Installées dans la nef en couples au départ de chacune des trois travées, douze cimaises disposées en pointes recueillent la lumière de baies opposées garnies de vitraux à losanges, grisailles d’ornement neutres chromatiquement. Pas besoin d’éclairages additifs en cette période de l’année, l’atmosphère de clarté naturelle s’y avère bien agréable pour l’observation des œuvres.

On imagine la jouissance d’une telle visite dans un silence de quasi solitude. Mais ce n’est pas le cas ce jour-là, où le plaisir est ailleurs car il s’agit d’un vernissage : celui d’une sélection libre d’artistes stampassins, faite dans le cadre de la 10e Fête de l’Estampe par un graveur et peintre de Magné, Jean-Claude Daroux, et placée sous l’égide des “Amis du Four Pontet et de la culture”, organisme culturel du lieu. Et il y a beaucoup de monde pour découvrir les œuvres ! Elles sont, pour la majorité, accrochées d’une manière parfaite sur les cimaises, et choisies dans leur esthétique pour une disposition équilibrée, souvent en symétries. C’est donc bien agréable que de parcourir le vaisseau de la nef vers transept et chœur (lesquels, pour l’anecdote, ne sont pas ici orientés vers le levant, mais vers le couchant), de passer d’un couple de cimaises à l’autre et de découvrir les divers artistes, dans leurs expressions particulières et dans leur esprit qu’ils soient peintres-graveurs ou graveurs.

La nef (CL. Rémy Joffrion – Maïté Arnaudet-Robin)

En aller-retour, partant de la gauche, nous découvrons les cimaises d’Armelle Magnier et Rem, de Suzanne Ghigher et Jean-Claude Daroux, de Cédric Neau et Claude Vallin ; au retour à droite, celles de Val Holmès et Amata, de Didier Millet et Pierre Auzanneau, de Yvonne Millet et Michèle Joffrion. Tailles-douces et tailles d’épargne diverses se succèdent, créatrices de belles images susceptibles de plaire à beaucoup, avec parfois des rappels à la réalité d’aujourd’hui, ainsi les “Marioupol”, “Oligarques” et “La Guerre” de Auzanneau, ou des “manières” originales comme la pyrogravure sur plexiglas de Y. Millet, une plaque ayant été travaillée en oubliant de retirer le film de protection (!), et gardée pour son effet surprenant… Il est difficile de ne pas citer tous les artistes, mais j’ai envie de signaler, parce que cela correspond à mon goût, les beaux paysages de Vallin, en eau-forte et aquatinte, les petites manières noires parées de motifs blanc nés du gaufrage de Magnier, les burins inspirés de Daroux et de Rem, les mezzotintes sublimées de Joffrion…

Le discours et les artistes (CL. Maïté Arnaudet-Robin)

Après plusieurs rencontres et échanges, nous revoici près du chœur, alors que c’est le moment des discours : Thierry Larrat, artiste peintre et sculpteur, président des “Amis du four Pontet”, présente l’exposition mais annonce que l’organisateur, Jean-Claude Daroux, est absent pour cause de maladie… Un exposant est alors invité à évoquer la gravure : Rémy Joffrion, qui prit la parole avec l’aisance habituelle de l’enseignant qu’il fut. Par sa gestuelle, on aurait presque pu le prendre pour un officiant de la chapelle. Et ce ne fut bien sûr pas un sermon, mais un discours improvisé sans qu’il n’y paraisse, très clair et complet, teinté parfois pour l’équilibre d’une touche d’humour, des propos idéaux pour faire découvrir l’estampe sous ses diverses facettes, pour tout profane présent, et même certains pratiquants. Au final, le verre de l’amitié clôtura cette belle exposition, sur une “pelouse” brûlée et ensoleillée, contigüe à la chapelle.

Gérard Robin

Estampe en Ré

Exposition dans l’ancienne école de La Noue (Cl. Claude Bureau)

Il ne s’agit pas d’une des sept notes de musique mais plus simplement des sept évènements que les stampassins résidents à l’île de Ré en Charente-maritime proposaient aux visiteurs et amateurs d’estampe pendant le week-end ensoleillé de l’Ascension, ce 26 mai 2022, lors de la dixième Fête de l’estampe. Les villages et ville de Sainte-Marie de Ré, Saint-Martin, La Flotte et Loix offraient donc aux nombreux touristes qui déambulaient à pied, à vélo ou en automobile sur l’île l’occasion de découvrir l’art de l’estampe dans des usages parfois non traditionnels et mêlés à d’autres expressions plastiques ou décoratives. Cet écho aurait pu donc titrer  : « L’estampe en tous ses usages », tant les artistes d’aujourd’hui utilisent ce médium au-delà de l’image même qu’il porte, ce dont ont témoigné ces sept évènements.

Très classiquement, et en résonance avec le récent roman d’Agathe Sanjuan, « La maison enchantée », qui narre les aventures oniriques de Zoé, une jeune collectionneuse d’estampes, après le don d’un unicum du même titre de Rodolphe Bresdin1, Luce Clavel Davignon, artiste plasticienne, peintre, dessinatrice, graveur et fondatrice de l’artothèque de Salins dans le Jura, présentait avec quelques-unes de ses gravures sa collection d’estampes constituée au fil du temps et des occasions pendant plus de quarante ans, dans deux lieux accueillants et sympathiques : à la médiathèque de « La Pléiade » et à l’ancienne école communale de La Noue rénovée en salle d’exposition dans le village de Sainte-Marie de Ré.

Dans le premier lieu, on pouvait remarquer d’admirables estampes comme les eaux-fortes de Luce Clavel Davignon : « Femme » ou « Paysage du Jura », le « Marco Polo, le Vénitien » de Cyril Desmet, une femme à la renverse sur un escalier de Hans Bellmer, gravée par Cécile Rheims , un burin de Jacques Villon signé dans la matrice, etc. Ou bien plus patrimoniales comme les tirages de quatre cartouches gravés par Jacques Callot pour les marges de ses ensembles magistraux : « Le siège de Saint-Martin » (ou Siège de l’île de Ré) et « Le siège de La Rochelle » qui accompagnaient heureusement l’ensemble des six tirages principaux accrochés en permanence dans la médiathèque de « La Pléiade »2. Également dans la collection présentée ici, un tirage d’une des six estampes principales, celle du débarquement de Sablanceaux, dont l’épreuve avait été coloriée avec des rehauts d’aquarelle par l’ancien propriétaire, donnait une vision bien intrigante et étrange de l’œuvre de Callot.

Le deuxième lieu, l’ancienne école de La Noue, rassemblait les estampes plus contemporaines de cette collection, dont deux sobres burins de Léonor Fini, l’un avec un rehaut de jaune, l’autre avec un de grenat, une sérigraphie de Valerio Adami ou une estampe noir et blanc d’Antonio Segui. Luce démontrait donc là par l’exemple que chacun peut au travers d’une collection d’estampes se constituer, au fil du temps avec d’authentiques œuvres d’art et des finances modestes, un musée imaginaire à son goût. Enfin, pour compléter cette incursion dans l’art de l’estampe, la médiathèque proposait pour les plus jeunes un atelier de sérigraphie animé par Emeline Vivier de l’« Atelier Serrejoint ».

À Saint-Martin de Ré, Alain Cazalis, natif du lieu et auteur de la carte de vœux 2022 de Manifestampe qui sert de graphisme à l’affiche de cette dixième Fête de l’estampe, ouvrait de nouveau son lumineux atelier3. Accueillant avec amabilité ses visiteurs, il expliquait avec compétence et expertise les subtilités de l’art de l’estampe. Une planche de buis récupérée, porteuse d’une gravure de mode des années vingt, lui permettait de montrer toutes les subtilités et la précision d’une taille au burin sur un bois debout d’antan. Ou toujours créatif, à partir d’une planche en bois gravée, ancienne matrice d’un coin d’encadrement d’un antique papier peint, il faisait voir que l’on pouvait sur une planche de linoléum en poursuivre sa frise où s’ébattait une femme dans les rinceaux sous la gouge d’Alain. Sur un coin de sa table à encrer, deux têtes de tigre bienveillantes, souriaient carnassières dans l’attente de l’impression prochaine. Innovation cette année, sur une table trônaient des stèles hiéroglyphiques de différentes tailles, un détournement inattendu de plusieurs de ses matrices en linoléum qui lui ont servi de moule d’estampage à des plaques de céramique cuite et patinées après cuisson en lieu et place de l’habituel papier.

Démonstration à l’atelier « Inkrée » par Lu Yu (Cl. Claude Bureau)

De l’autre côté du port, bien encombré pendant ce week-end, un nouvel atelier-galerie participait pour la première fois à la Fête de l’estampe : « Inkrée ». Celui-ci, tenu par une jeune femme originaire de Mandchourie, Lu Yu, dominotière spécialisée dans de subtils abat-jour, des textiles et des papiers peints, utilise pour la matrice de ceux-ci des planches de linoléum ou de bois encrées avec des encres à l’eau ou des encres à l’eau émulsionnées à l’huile de lin qu’elle imprime avec la paume de la main et au baren. Lu Yu les grave elle-même de motifs végétaux ou géométriques pour les reporter en couleurs sur ces différents supports. Pour la Fête de l’estampe elle avait choisi d’effectuer une démonstration d’un tirage sur papier de riz très fin d’une plaque de linoléum gravée de motif floraux sauvages, de gui et d’une coccinelle qu’elle encra et imprima avec dextérité et sourire à l’appui. Une autre voie pour l’estampe qui n’a ici rien de subalterne.

Plus traditionnel dans son agencement, au village portuaire de La Flotte, l’estampe était aussi fêtée dans un atelier-galerie ouvert récemment à l’enseigne : « Fils et encres ». Pourquoi fils et encres se mêlent-ils là ? Voici les encres tout d’abord, le vaste atelier s’ouvre de plain-pied sur la rue du marché avec, en entrant à gauche, une antique « bête à cornes », une petite presse lithographique qui a sans doute parcouru presque deux siècles, au mitan de l’atelier une imposante presse à taille-douce motorisée qui est utilisée si nécessaire pour les tirages de grands formats ; dans le fond, près des fenêtres qui donnent sur la cour ensoleillée, une autre presse à taille-douce pour les travaux courants et tout autour des murs des encadrements où sont présentées des estampes et de grands tableaux, un peu partout en périmétrie des machines à coudre ou à broder, où se tapissent les fils sans doute. Un des tenants du lieu, le maître des encres, Claude Vallin, grave à l’eau-forte d’un trait minutieux et précis et imprime en noir et blanc des paysages du marais poitevin et de l’île de Ré : vignes, sous-bois, estrans, bords de côte, vagues et nuages où il laisse leurs spectateurs libres de s’en remémorer les couleurs.

L’atelier-galerie « Fils et encres » (Cl. Claude Bureau)

Et les fils, que deviennent-ils dans tout cela ? Pour le savoir, il fallait se rendre sur le port de La Flotte, à la galerie Sénac de Meilhan qui consacrait tous ses murs à l’exposition personnelle des estampes de l’autre maîtresse de l’atelier « Fils et encres » : Val Holmes. Le fil des encres se déroulait ainsi de l’autre côté du port. En plus de quelques lithographies, Val conçoit ses images avec des matrices abstraites exécutées en collagraphie qu’elle compose en grands ou petits formats dans des teintes légères et suaves, parfois agrémentés d’une petite lithographie figurative et où des fils brodés jouent à leur manière avec l’encre qu’ils retiennent. S’ajoutent souvent sur le tirage même d’autres fines broderies légères et pudiques. L’artiste compose aussi, à partir de grands tirages numériques sur toile, des tableaux qu’elle recouvre plus ou moins de broderies légèrement colorées comme dans « Pendant que tu dormais le dos tourné » ou parmi les végétaux un nu à peine entrevu comme dans « Perdue dans le jardin ». Ses estampes transformées ainsi en unica suivent donc le fil ténu de son inspiration sans que passer d’un médium à l’autre ne le rompe.

Enfin, il fallait aussi se rendre à la dernière étape de cette fête au travers des marais sauvages et des marais salants, si possible par le sentier côtier. Après avoir franchi le pont d’un des derniers moulins à marée, dans le village de Loix, Laëtitia Prin, gérante de l’atelier-galerie « Chevalier Gambette », présentait ses petites linogravures monochromes toutes empreintes de poésie et de lumière et proposait pour petits et grands ses stages d’initiation à la gravure en taille d’épargne. L’estampe sous ces formes diversifiées et parfois étonnantes a donc bien été mise en valeur pendant ces sept étapes de la Fête de l’estampe 2022. Si vous les avez loupées, alors pour sa onzième édition n’hésitez pas à passer le pont de Ré où de nouvelles découvertes vous attendront sans doute.

Claude Bureau

1Pour en savoir plus sur ce roman une note de lecture de Maxime Préaud est parue dans le magazine en mai 2022 (voir ici). Nota bene : un unicum est une estampe imprimée à partir d’une matrice mais dont ce tirage correspond soit à un état donné de la matrice, soit à un encrage particulier, soit à un rehaut original, etc. et qui n’existe qu’en un seul exemplaire.
2Sur cet ensemble magistral de Jacques Callot, privé de ses estampes d’encadrement à la médiathèque, on pourra consulter l’article paru dans le magazine en août 2021 et dont les questions sur les mystérieuses légendes de cet ensemble de tirages n’ont pas encore trouvé réponse (voir ici).
3 Pour en savoir plus sur son atelier rétais consulter l’article paru dans le magazine à l’occasion de la cinquième Fête de l’estampe en juin 2017 (voir ici).

Microclimats

J’ai plaisir à mentionner ici deux ouvrages qui devraient intéresser les collectionneurs, naturellement dépendants de l’histoire de l’estampe, mais aussi les graveurs qui sont aussi l’émanation d’une histoire, encore qu’ils ne le sachent pas toujours ou ne veuillent pas le savoir. Les deux livres sont l’aboutissement de longues années d’un travail acharné mené par leurs auteurs.

Le premier, intitulé Les graveurs d’Abbeville, est une entreprise totalement abbevilloise. L’auteur, Philippe Tillier, est né dans la cité picarde, et l’ouvrage y a été publié en avril 2022 par la Société d’Émulation d’Abbeville et F. Paillart, éditeur ; pesant plus de deux kilos, il contient 520 pages grand in-4° (58 €) et de nombreuses illustrations, pour la plupart tirées du fonds du musée Boucher-de-Perthes (du nom d’une autre gloire abbevilloise, un des fondateurs de l’archéologie préhistorique et, on l’oublie trop souvent, l’auteur de quelques nouvelles apparentées à la littérature fantastique). Le but de Philippe Tillier était de dresser un répertoire des graveurs originaires d’Abbeville. À tout seigneur tout honneur, il avait commencé ses recherches par le plus éclatant des burinistes, Claude Mellan. Mais il s’est vite rendu compte que cet immense artiste n’était que le premier d’une impressionnante liste de soixante individus qui ont honoré le nom de leur ville natale entre le XVIIe et le XXe siècle, ce qui est, la ville de Paris mise à part (où d’ailleurs la plupart d’entre eux se sont exprimés), tout simplement extraordinaire. Philippe Tillier, à force de recherches dans les fonds d’archives et les bibliothèques, les fait revivre, avec femmes, enfants et production graphique. C’est passionnant.

Le second ouvrage que je souhaite signaler, qui date déjà de quelques années, témoigne lui aussi d’un microclimat favorable à l’estampe, même si la surface considérée est plus étendue que celle d’Abbeville. Je veux parler de la Bretagne. Encore l’auteur se limite-t-il à la gravure en bois (j’écris bien « en bois », comme Jean-Michel Papillon, graveur lui-même et fondateur de la recherche sur ce type de travail avec son Traité historique et pratique de la gravure en bois, paru en 1756 si ma mémoire est bonne ; mais il semble que les Français, plus malins que les autres, sachent creuser en surface, trop forts) ; mais il y a aussi du linoléum. Il s’agit de La gravure sur bois en Bretagne / 1850-2000, publié à Spézet (Finistère), en 2018, par les éditions Coop Breizh. Également grand -in-4°, 320 pages, il doit peser à peu près aussi lourd que le précédent (49 €). L’auteur, Philippe Le Stum, Brestois d’origine, est directeur du Musée départemental breton, à Quimper, ville qui a toujours été un lieu aimant l’estampe. Pour être franc, je n’ai pas encore lu le livre, mais j’ai regardé les images (de Gauguin à Doaré), dont il y a profusion ; c’est magnifique et ça donne plein d’idées.

Maxime Préaud