Entendu pour vous – Vu et lu… pour vous https://www.vuetlu.manifestampe.net Magazine d'informations sur l'estampe dans tous ses états Sat, 30 Mar 2024 10:59:47 +0000 fr-FR hourly 1 https://www.vuetlu.manifestampe.net/wp-content/uploads/2021/01/cropped-favicon-512x512-1-32x32.jpg Entendu pour vous – Vu et lu… pour vous https://www.vuetlu.manifestampe.net 32 32 Le 16 mars 2024 https://www.vuetlu.manifestampe.net/le-16-mars-2024/ Tue, 26 Mar 2024 17:18:49 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=3721 Continuer la lecture de « Le 16 mars 2024 »

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La salle de conférence, côté public (Cl. Gérard Robin)

BnF – site Richelieu
5 rue Vivienne 75002 Paris

Assemblée générale

Ce seize mars deux mille vingt-quatre concerne les élections de la Fédération nationale de… l’estampe, bien sûr ! Nous voici donc dans le cadre de l’assemblée générale annuelle de Manifestampe, à une date qui marque ses vingt ans d’existence et qui sera ici, vous le devinez, sereine, ouverte et constructive. Comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement, en ce lieu prestigieux du site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France, dans sa belle salle de conférence, dont les hautes baies à petits carreaux laissent entrer des fragments de la lumière ensoleillée du dehors, qui s’étirent sur le parquet, nimbant la salle d’une douce clarté. Une veille de printemps qui participe à l’ambiance. La présidente et les membres du bureau qui, après plusieurs années de bons et loyaux services et l’envie de se consacrer plus pleinement à leur propre travail créatif, ne briguent pas un nouveau mandat. Et de nous accueillir, du haut de leur estrade, Rosemary Piolais, la présidente, Pascale Simonet, la vice-présidente, Violaine Fayolle, la secrétaire et Khedija Ennifer-Courtois, qui abordera la situation financière, précisant que les pièces comptables sont à disposition1.

Le bureau sortant avec, de gauche à droite : Khedija Ennifer-Courtois,
Violaine Fayolle, Rosemary Piolais et Pascale Simonet (Cl. Gérard Robin)

Le public présent sera attentif au déroulement de la séance et aux résultats donnés, dans une ambiance conviviale. Il n’est point ici question d’entrer dans les détails chiffrés de la comptabilité, que l’on pourra trouver ailleurs, et qui ont été développés, montrant un bilan globalement positif, et un budget prévisionnel dans cet esprit. Au regard des adhésions, Manifestampe montre l’intérêt qu’elle suscite, en France et même ailleurs. Retenons que son site, « véritable maison virtuelle » de l’estampe et de ses acteurs, en est un atout majeur, annonçant les événements qui lui sont indiqués, proposant des articles dans le magazine « Vu & Lu… pour vous » et suscitant annuellement plusieurs milliers de fréquentations. Quant à la Fête de l’Estampe, soutenue par le Ministère de la Culture, elle a eu à son actif plus de 200 manifestations en 2023. Précision sera faite des moyens donnés aux participants pour faciliter leur communication (logo, affiches, focus, annonces sur site, etc.) À l’initiative de la présidente et dans ce cadre, une bourse est envisagée, pour être attribuée, en partenariat avec le Géant des Beaux-arts, à cinq jeunes artistes de moins de 30 ans participant à cette fête.

Et n’oublions pas, les activités master class « Catalogue raisonné » et « Estampe », respectivement animées par Maxime Préaud et Michel Henri Viot, qui complètent l’action fédérative ainsi que la table ronde avec les responsables d’association en automne 2023. Manifestampe, au travers de son rapport d’activité et d’orientation, montre une fois de plus sa nécessité d’être et sa dynamique reconnue, visant à la promotion de l’art de la « stampagraphie » (j’ose le mot !), dans ses manifestations et dans tous ses états.

Vint ensuite l’appel aux candidatures, celles à renouveler ou celles nouvelles, sur lequel le vote devait porter : Marie Akar, Luc-Émile Bouche-Florin, Karianne Brevick, Karen Ganilsy, Valérie Honnart, Jean-Pierre Lourdais et Charlotte Massip. Et chacun, chacune, de se présenter, dans sa personnalité et ses compétences. Un bon cru pour la fédération, à n’en pas douter… Restera la formation du bureau lors du premier conseil d’administration à venir. L’instant est alors celui de la récupération des bulletins.

Signalons la présence dans le public de Joseph de Colbert, président de l’association « Les Amateurs d’Estampes », créée en 2017 et centrée sur le monde des collectionneurs d’estampes anciennes et contemporaines. Leur assemblée générale s’était d’ailleurs tenue dans la même salle quelque quatorze jours plus tôt. Le président de Colbert nous informa de leur participation, avec le Comité national de l’estampe, à la troisième édition de la « Paris Print Fair » au réfectoire du Couvent des Cordeliers, organisée par la CSEDT (Chambre Syndicale de l’Estampe, du Dessin et du Tableau), où exposent une vingtaine de galeries européennes, et où sera décerné le « Prix Henri Beraldi de la recherche sur l’estampe », couronnant une thèse de doctorat dédiée, soutenue dans une université française, ou un ouvrage (essai ou catalogue raisonné) publié en France. Rappelons qu’Henri Beraldi (1849-1931) fut un homme de lettres, fondateur et président de la Société des livres ; il fut aussi bibliophile, et collectionneur d’estampes. Deux « Vu & Lu », émanant de Maxime Préaud, évoquent l’un la « Paris Print Fair »2, l’autre la remise du Prix Henri Beraldi3, qui fut remis le 21 mars 2024 à l’historien de l’art Yvon Le Bras.

Table ronde thématique

L’assemblée générale se termina, laissant place à une table ronde (rectangulaire) sur le thème : « Art imprimé ou Pratiques contemporaines de l’estampe ». Elle accueillera, sous le regard du médiateur Claude Bureau, membre du CA et dans l’ordre des interventions : Saïd Messari, artiste marocain résidant à Madrid ; Jean-Marie Marandin, artiste graveur et linguiste, et Cécile Pocheau-Lesteven, conservatrice au département des estampes de la BnF.

La table ronde avec, de gauche à droite : Saïd Messari, Jean-Marie Marandin, Cécile Pocheau-Lesteven et Claude Bureau (Cl. Gérard Robin)

Un thème intéressant car l’art, au cœur et à l’image de l’environnement sociétal, est en évolution permanente. Un mouvement insidieux qui peut parfois échapper à l’artiste traditionnel stampassin, dans l’isolement de son atelier, tout à son temps passé à l’inscription, dans ou sur la matière, de son imaginaire, puis du transfert assorti d’états souvent nécessaires sur le papier. Les salons où l’estampe est exposée ne sont pas toujours évocateurs de la transformation qui s’opère ailleurs dans les arts, qu’ils soient plastiques ou autres, et dans lesquels l’estampe peut s’insérer et, peut-être (c’est mon avis) se perdre… Je vais tenter de résumer les propos des intervenants4.

Le premier, Saïd Messari, évoqua la situation difficile de l’estampe traditionnelle, notamment en Espagne, dans un marché lié à une classe moyenne en perte de pouvoir d’achat. Avec pour conséquences des fermetures de galeries, ou comme pour le grand salon madrilène, « Estampa », qui avait été créé en 1992 pour être consacré, comme son nom l’indique, à la seule estampe, devenant aujourd’hui une grande foire internationale d’art contemporain. Subissant cette évolution, l’artiste est souvent amené, pour vivre de son art, à considérer l’acte de gravure comme un champ possible de recherche et de développement dans un travail créatif susceptible, au sein des arts plastiques, d’attirer l’intérêt du public. L’atelier devient alors laboratoire d’expérimentation où les techniques de bases s’effacent pour faire place à des approches non traditionnelles au travers des textures graphique, picturale et sculpturale. Lui-même utilise à cet effet des plaques offset d’imprimerie, qu’il récupère au moindre coût et recycle en utilisant l’envers. Il insiste alors sur le rôle du papier, dans la fabrication de sa pâte et le type de séchage, pour en modifier la structure et l’adapter à son dessein. Selon « un concept allant de la gravure dans la sculpture, à la sculpture dans la gravure ». Une approche donc novatrice du mode estampe.

Le deuxième, Jean-Marie Marandin, qui se définit (lors d’une conférence à la Fondation Taylor) comme « linguiste dans une première vie, graveur dans la seconde », est un fin connaisseur des états de l’art et de sa compréhension. Il s’est déjà manifesté dans « Vu & Lu » par ses articles. Appuyant son discours sur des projections de textes et images, il traitera de la « Vitalité des médiums d’impression (dans le paradigme) de l’art contemporain ». Des propos qui montrent que l’estampe, lorsqu’elle est jugée en obsolescence, doit être réinventée, pour devenir un médium plus conceptuel, où l’image se révèle impressionniste, dans une présentation qui s’ouvre naturellement sur autre chose que prévu, dans une présence parfois polysémique. Cela en profitant du fait que la technique permet d’obtenir, à partir d’une même matrice lors du transfert, des tirages différents, qui peuvent être répétés, assemblés. Une configuration qui ferait dire à l’artiste : « Quelque chose qui était présent laisse en se retirant une marque de son passage et donc de son existence : ce qui était présent est maintenant absent ». Ce qui est là : « Le lien imaginaire des médiums d’impressions avec le souvenir, le manque, la perte, le deuil ou la mort. »

Avec le constat cette fois matériel que, pour gagner en lisibilité, les formats s’agrandissent pour quitter la structure plane et mieux s’inscrire dans le volume, ou participer là encore à des installations ou des performances. Nombre d’artistes sont cités, comme Andy Wahrol, mais je resterai sur celle, exemplaire, de l’artiste belge Camille Dufour, basée sur un grand bois (2 x 1 mètre) : « Eaux anonymes » (2022), évoquant le thème dramatique actuel de la “migration”, et imprimé sur toile avec comme encre le suc extrait de fleurs et de plantes. Une installation qui comprend l’estampe en cimaise, la matrice au sol, telle une pierre tombale, et les végétaux utilisés. Une œuvre suggestive, magnifique et lourde de sens, en hommage aux disparus en mer.

La troisième, Cécile Pocheau-Lesteven, conservatrice, partage la même vision de l’estampe contemporaine, qu’elle juge vivante, née cycliquement de phases d’obsolescence et de phases de renouveau, et qui est généralement issue d’un mode d’expression venant d’artistes qui ne sont pas de purs estampiers. L’exemple de Camille Dufour sera là encore évoqué, mentionnant une autre de ses créations graphiques, qui évoque, par quatre grandes xylographies, la guerre de Syrie au travers des ruines d’Alep, avec une édition multiple d’estampes réalisée symboliquement avec l’usage du savon aleppin comme baren ; imprimée en séries sans encrage renouvelé, la disposition spatiale en séries suspendues viserait à un effacement mémoriel, hommage aux victimes, marquant une impossible réparation.

Cette estampe contemporaine est un médium chargé de messages qui concernent le monde d’aujourd’hui. Il s’intègre à des pratiques des plus diverses tout en y imposant une présence particulière et forte. On s’éloigne de la bi-dimension vers quelque chose qui en appelle à tous les sens et qui est multiforme. Ce qui implique une gestion différente du point de vue de la conservation, qui doit s’adapter à l’évolution des pratiques et des volumes d’espace à disposition. En raison des dimensions souvent importantes des estampes, des supports d’installations variés et fragiles, tout ne peut donc être gardé à la BnF : comme il en est, par leur grandeur, de bois gravés ou de matrices en métal (hors certaines de valeur historique), à moins que cela ne trouve place dans des musées.

J’espère que mon analyse, forcément subjective, traduit avec le plus de justesse possible les propos exprimés. J’ajouterais, pour résumer mon impression générale, que l’estampe, dans l’art contemporain ― et pour trouver une correspondance avec la musique ― ne serait plus une fin en soi, elle serait devenue un instrument particulier ou majeur d’une orchestration graphique ou plastique ; elle est alors dans ce cas une composante qui participe, telle un piano ou un violon, au narratif visuel, et à l’émotion de la composition. En l’état, ce fut une table ronde didactique, passionnante, qui permet d’apporter un éclairage aux ressentis que l’on peut éprouver devant cette estampe nouvelle.

La soirée se termina dans la galerie Gallix, au 5 rue Pierre Sémard 75009 Paris, siège de la société éponyme, qui réalise des films sur l’estampe, comme la collection « Impressions fortes », conçue par Bertrand Renaudineau et Gérard Emmanuel da Silva.

Espace Gallix, à droite au premier plan,
Jeanne Rebillaud-Clauteaux (Cl. Gérard Robin)

Cela autour du verre de l’amitié, mais aussi au cœur d’une belle exposition d’œuvres gravées de Jeanne Rebillaud-Clauteaux. Celle-ci est bien sûr présente. Avec sa simplicité et son talent, chantre de la suggestion des corps, de l’apparition de silhouettes dans l’instantané d’une attitude ou d’un passage, que sa pointe sèche évoque dans un jeu de gris subtils. Ce fut pour moi source de souvenirs, lorsqu’elle fut en 2012, lauréate du « Prix Jeune Gravure » au Salon d’Automne ; lorsqu’elle reçut en 2015 le « Prix Kiyoshi Hasegawa » à la Fondation Taylor, ou encore dans la galerie « L’Angélus » de Barbizon…

Ainsi fut close une belle journée stampassine, riche d’événements.

Gérard Robin

1 – pour lire le compte rendu exhaustif de l’assemblée générale ordinaire cliquez ici.
2– pour lire cet article cliquez ici.
3pour lire cet article cliquez ici.
4pour lire le compte rendu exhaustif de la table ronde cliquez ici.

 

 

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L’art imprimé au cœur de la création contemporaine https://www.vuetlu.manifestampe.net/lart-imprime-au-coeur-de-la-creation-contemporaine/ Sun, 01 Oct 2023 15:38:15 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=3409 Continuer la lecture de « L’art imprimé au cœur de la création contemporaine »

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Capture d’écran : présentation des six conférences

J’ai « écouté pour vous » les six conférences de Jennifer Roberts « On Printmaking » (De l’art d’imprimer des images). On les trouve sur Youtube (taper Jennifer Roberts On Printmaking). Elles sont en accès libre. On les doit au Covid : elles ont été enregistrées pour être données en distanciel via internet et non dans le cadre d’un amphithéâtre comme c’est l’usage pour les prestigieuses conférences de la National Gallery of Arts.

Jasper Johns, commentant sa démarche, confiait (je traduis) : « pratiquer une technique d’impression vous permet de créer, mais surtout fait fonctionner votre esprit différemment que lorsque, par exemple, vous pratiquez la peinture avec un pinceau … Cela nourrit en retour votre peinture parce que vous trouvez des choses nécessaires pour l’impression qui deviennent intéressantes en elles-mêmes ; elles peuvent être utilisées en peinture où, sans être nécessaires, elles vous donnent des idées. C’est ainsi que faire des estampes a beaucoup influencé ma peinture. »

S’appuyant sur cette confidence de Johns (citée dans la deuxième conférence), Roberts développe une hypothèse générale : les artistes qui ont fait l’art américain des années 1960/70 pratiquaient une technique d’impression et cette pratique est au cœur de leur création et cela, quel que soit le medium utilisé (technique d’impression ou non). Elle développe son hypothèse en analysant les œuvres de Jasper Johns, Robert Rauschenberg, Andy Warhol, Ed Rusha, entre autres ; elle étend son analyse à certains artistes contemporains : entre autres, Glenn Ligon, Mona Hatoum, Mark Bradford, Julie Mehretu, Christiane Baumgartner.

Pour développer cette hypothèse, Roberts présente une analyse ambitieuse de l’impression d’images (printmaking). Elle distingue six gestes de base (elle emploie le terme anglais maneuver) qui sont instanciés et déclinés dans les chaînes opératoires caractéristiques des différentes techniques d’impression (gravure, lithographie, sérigraphie, impression numérique et techniques adjacentes : pochoir, frottage). Elle appelle ces six gestes génériques : Pressure, Reversal, Separation, Strain, Interference, Alienation. En français : Pression, Inversion, Disjonction, Forçage, Interférence, Aliénation. Chacune des six conférences est consacrée à un de ces gestes.

Par exemple, la première conférence « Pressure » (Pression) expose comment la fabrique d’une image imprimée met en jeu un couple de forces antagonistes « pression contre résistance » (le rouleau contre le plateau de la presse, la raclette qui force l’encre à travers l’écran de sérigraphie) et d’autre part, un enchaînement de deux moments : celui de la pression, qui permet le transfert de l’image par contact, et celui du relâchement qui libère l’épreuve.

Puis, Roberts articule sa description minutieuse des processus matériels à une approche holistique de la technique. Elle montre comment, dans le contexte social, économique ou culturel que l’artiste convoque, ces processus donnent sens par eux-mêmes à l’œuvre sans recourir à une représentation. Elle prend l’exemple de la série Beauties de Willie Cole (2012) : Cole transforme des tables à repasser, qu’il a aplaties à coup de marteau, en matrices qu’il imprime sous une presse taille douce. Il nomme chaque estampe du nom d’une femme de la génération de sa grand-mère. Présentant la trace matérielle de l’objet sur lequel s’échinaient les servantes noires dans les familles blanches, chaque estampe porteuse d’un nom propre devient un portrait symbolique. Leur réunion sur le mur d’une galerie ou d’un musée rend hommage à ces femmes inconnues et à leur labeur non reconnu.

Capture d’écran : vue de l’exposition de Willie Cole

Elle prolonge l’analyse avec les œuvres de David Hammons. Sans utiliser de dispositif mécanique pour presser, il met en jeu l’enchainement « transfert par pression / relâchement ». Hammons presse son corps, ou partie de son corps, sur une feuille de papier préparée, puis s’en détache en laissant une empreinte. Il crée des images qui rappellent et évoquent les corps des hommes noirs objets des violences policières sans les réifier comme le ferait la photographie et son usage dans les medias.

Capture d’écran : détail d’une estampe de David Hammons

L’intérêt de ces six conférences me semble triple. Le premier est artistique : Roberts nous fait entrer dans « la cuisine technique/conceptuelle » d’artistes engagés dans des démarches très diverses et, comme le dit Jasper Johns, ça donne des idées ! Le second relève de l’histoire de l’art : en donnant une place centrale aux techniques d’impression, elle renouvelle notre vision de l’art moderne et contemporain. Par exemple, elle débarrasse l’œuvre de Warhol des clichés qu’on rabâche sur le pop art, critique de la société de consommation, pour montrer combien sa pratique de la sérigraphie est subtile. Sa présentation de l’œuvre de Baumgartner, qui s’appuie sur une remarque de Ruskin sur la gravure en bois debout, est lumineuse. Le troisième intéresse la philosophie de l’art : elle développe une analyse de l’image (il faudrait utiliser ici le terme de Jean-Claude Bailly, l’imagement) dans les arts visuels occidentaux libérée de la tradition centrée sur la peinture ou le dessin. Ces conférences devraient faire date

Les conférences sont en anglais américain (côte Est). Elles sont faciles à suivre car elles sont sous-titrées en anglais, ce qui permet de reconnaître les termes ou les mots dont la prononciation n’est pas familière. Par ailleurs, le plan, l’argumentation, les illustrations sont toujours explicites ; Roberts ne jargonne pas et ne laisse jamais dans l’ombre ses présupposés théoriques ou ses préférences artistiques.

Jean-Marie Marandin

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Le Tampographe Sardon https://www.vuetlu.manifestampe.net/le-tampographe-sardon/ Sun, 29 Jan 2023 16:11:28 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=3030 Continuer la lecture de « Le Tampographe Sardon »

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Compte Instagram du Tampographe (Cl. C. Gillet)

Belle surprise matinale ce matin du vendredi 23 décembre dernier que d’entendre une longue interview de l’artiste Vincent Sardon, dit le Tampographe, sur France-Culture, dans l’émission « Le cours de l’histoire ». Dans l’opus du vendredi, « Fou d’histoire », Xavier Mauduit reçoit un invité pour « donner la parole à ceux et à celles qui ne sont pas historiens, pas historiennes, mais qui se baladent dans le passé pour construire leurs œuvres et leur univers. »

Ainsi ce matin-là, pour évoquer l’histoire du tampon encreur, Vincent Sardon est-il convié à présenter sa démarche et son parcours. Artiste iconoclaste connu notamment pour ses tampons gravés et coffrets d’insultes savoureusement tamponnées (comme entre autres le coffret « Injures Trostkistes », ou bien son « Nécessaire de gribouillage »).

Site de l’interview sur Radio France (Cl. C. Gillet)

Croisé il y a une dizaine d’années à son exposition personnelle de tampons et tableaux de tampons à la galerie Nabokov qui existait alors place Dauphine à Paris, j’avais été saisie par la force graphique, l’humour noir, le cynisme aussi de cet œuvre présenté avec raffinement.

Aujourd’hui seul maître à bord de son aventure nihiliste, Sardon édite ses tampons, coffrets et affiches et les propose au public en ligne via son site Internet ou bien à Paris, le samedi, dans sa boutique-galerie parisienne de la rue du Repos, près du cimetière du Père-Lachaise.

Il explique dans cette interview d’une heure, émaillée d’extraits sonores de films et actualités du XXe siècle, qu’après ses études d’art plastique, en digne jeune artiste fauché, il a commencé à graver sur des gommes et sur des légumes pour ensuite imprimer ses réalisations sur du papier. Finalement il opte pour le tampon de caoutchouc, qui « officialise le propos », désireux de s’affranchir d’une certaine bien-pensance du monde artistique.

Amateur de typographie, de détournement d’anciennes frises décoratives, de tampons administratifs, Sardon développe une approche à la fois jouissive et désespérée. Il n’est qu’à lire les textes accompagnant les photos de son compte Instagram, véritable journal intime où le Tampographe narre son quotidien dans la solitude d’un plateau bourguignon qui semble sans cesse battu des vents et boueux à souhait, loin des villes.

Allez, tout n’est pas foutu…

Catherine Gillet

Lien vers l’interview : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-cours-de-l-histoire/le-tampographe-sardon-fou-d-histoire-3428399
Lien compte Instagram : https://www.instagram.com/le.tampographe.sardon/

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Carton matière à graver https://www.vuetlu.manifestampe.net/carton-matiere-a-graver-2/ Sat, 19 Nov 2022 09:07:51 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=2945 Continuer la lecture de « Carton matière à graver »

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Livre d’artiste matrices en carton gravé (Cl. Joëlle Dumont)

« Le carton comme matière à graver »
Table ronde de Manifestampe
le mardi 15 novembre 2022
Maison des associations 75014 Paris

Graver sur carton était, jusqu’à très récemment, un peu honteux ; on ne s’en vantait pas, si bien qu’on ne sait pas bien depuis quand cette pratique est en usage. Et pour cause : le carton est considéré comme une matière pauvre, ce qu’elle est sur un plan économique, et trop peu noble, comparée au métal, au bois, ou même au linoleum. Mais peut-être que les vraies raisons du relatif mépris dans lequel il était tenu sont inverses : le carton est une matière riche, riche de possibilités, avec la diversité des différents types de carton, les techniques de gravure qui s’y prêtent, aussi bien en taille-douce qu’en relief, et la graver est un exercice difficile, pavé d’embûches, d’une technicité au moins égale à celle des grandes familles de gravure classique. De quoi rebuter plus d’un(e) graveur(e) aguerri(e) à d’autres techniques.

Pour cette table ronde, Manifestampe avait invité ce mardi 15 novembre 2022 les membres du collectif « Carton Extrême Carton » à partager leur expérience avec celles et ceux des artistes graveur(e)s qui avaient répondu à l’appel, une bonne vingtaine en tout, déjà adeptes de cette pratique, ou purs béotiens. Dominique Moindraut, Michèle Atman et Pascale Simonet nous ont livré leurs réflexions, leurs conseils plastiques et techniques, et apporté leurs valises de « voyageuses de commerce », véritables mallettes pédagogiques présentant toutes sortes d’exemples de cartons gravés, matrices et estampes. On voit que leur désir de promouvoir cette pratique est grand. En témoignent également le nombre et la qualité des expositions qu’elles ont proposées autant au public qu’aux artistes.

Alors, comment ça se grave, le carton ?

Avec difficulté, nous l’avons dit, surtout au moment de l’impression, l’essuyage pouvant être très long et complexe, le carton absorbant progressivement la couleur de l’encre qui lui est appliquée. Mais aussi avec jubilation, les possibilités étant infinies : grattage à la pointe, incision au cutter, découpages, traçage au stylo bille, frottage avec les outils le plus improbables, rajouts de matières ou de colle, jeux de couleur, etc. Les creux doivent être suffisamment marqués si l’on veut pouvoir imprimer en relief ; et la moindre petite griffure est fidèlement transmise à l’impression en taille-douce.

Bien sûr, il aura bien fallu choisir son carton en fonction du résultat désiré, brut ou satiné, lisse ou grumeleux ; l’enduire d’un liant protecteur avant ou après gravure, selon qu’on préfère attaquer le carton de front, ou bien s’assurer d’emblée de sa dureté ; bien laisser sécher ; trouver l’encre ad hoc, eau ou huile au choix, et être prêt à l’étendre généreusement ; sélectionner le bon papier, humide ou sec ; et surtout, surtout, ne pas mettre trop de pression, sous peine d’écraser les finesses de la gravure sur cette matière somme toute un peu molle.

« Plantes 1 » taille-douce en carton gravé de Michèle Atman

Bonne nouvelle : on peut faire beaucoup de tirages, quitte à reprendre certains détails en cours de route. Mauvaises nouvelles : le carton est très abrasif, il use les outils très vite ; il est aussi assez toxique, et nécessite le port d’un masque en cas d’addiction à cette technique1. Les participants déjà adeptes de cette pratique ont également rappelé que la matière carton est très pratique si l’on veut faire de grands formats.

Initiés et béotiens ont semblé très satisfaits de ce partage d’expérience, heureux d’avoir glané de précieuses informations, prêts à prendre ou reprendre les chemins buissonniers de la gravure sur carton.

Anne-Claire Gadenne

1Nota bene : ce sont les colles dont le carton est fabriqué qui sont nocives ainsi que les poussières, les peluches et les autres particules produites par l’action de graver. Les inhaler à fortes doses est donc dangereux. Il vaut mieux s’en protéger en cas de travail intensif et prolongé.

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De Gibraltar à La Rochelle https://www.vuetlu.manifestampe.net/de-gibraltar-a-la-rochelle/ Thu, 10 Nov 2022 08:42:10 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=2915 Continuer la lecture de « De Gibraltar à La Rochelle »

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« Le Cadet à la Perle » (détails)
Antoine Masson – Burin (1667)
(Cl : R. Joffrion)

« Sur la piste des chercheurs d’art »
Conférence de Gérard Robin
Président de l’association « Art Puissance 7 Events »
Médiathèque Michel Crépeau
28 octobre 2022

La Rochelle, c’est cette cité chargée d’Histoire, où l’appel du large transpire à chaque pas sur les pavés du port. Ses deux tours vigies, Tour de la Chaîne et Tour Saint-Nicolas qui encadrent une passe, saluent le départ des marins, tous explorateurs du mystère des aventures océanes petites ou grandes. Tout près de la Tour Saint-Nicolas, la Médiathèque Michel Crépeau accompagne au long cours l’expression culturelle de la mémoire du Nouveau Monde et de ses tribulations actuelles dans la diversité de ses créations.Dans ses « Rendez-vous de l’Art », une conférence-diaporama naviguant sur le fleuve de l’estampe, traversant les âges de sa source à la rade Chef de baye ouvrant sur la Mer Oceane par le Pertuis d’Antioche fut offerte gratuitement au public le vendredi 28 octobre 2022.

A 18h30, ce 28 octobre, un public nombreux prend place dans l’auditorium aux fauteuils accueillants disposés en gradins. En silence, une sérénité attentive est perceptible, un gage de qualité. Les membres du collectif rochelais « Quai de l’Estampe », hussards de la gravure charentaise ne manquent pas à l’appel. La conférence-diaporama peut commencer dont le sous-titre « Sur la piste des chercheurs d’art » ne peut qu’interpeller. Le feu vert est donc donné par le régisseur Manuel Groësil qui, par son professionnalisme accordé à une grande écoute et gentillesse, a mis à disposition les outils audio-visuels très performants de la médiathèque. Gérard Robin en scène et Maïté Robin au pupitre dans la régie-cabine entament alors, dans un ballet texte-images parfaitement maîtrisé, la grande et extraordinaire histoire de l’estampe. Texte et visuels chorégraphiés magistralement vont tenir en haleine le public durant 1h30. Ecoutons-voir.

Gibraltar ? On entre dans le dur du sujet avec deux gravures : « La grande promesse » d’André Bongibault, « Chaos cosmique » en guise de commentaire avec en regard la gravure rupestre néandertalienne datée de 37.000 ans avant J.-C. découverte dans la Gorham’s cave à Gibraltar, et l’eau-forte « La fuite » de Claude Tournon, sapiens sapiens moderne, annonce alors « La grande vache noire » gravure rupestre à Lascaux qui sort de l’écran, dans la demi-obscurité de la salle, tant la qualité de la photo est grande. Le ton de la conférence est annoncé !

Gérard Robin nous fait naturellement cheminer jusqu’à la notion de duplication au travers de choix judicieux et parfaitement documentés. Nous chevauchons les siècles, du Mas d’Azil en Ariège, lieu de maîtrise de l’art rupestre, au papier, en passant par les tablettes d’argile, le papyrus, le parchemin, pour aboutir à « la route du papier » partie de Chine il y a 4.000 ans, et nous atteindre enfin au VIIIe siècle après un stop en terres riveraines de la Méditerranée. Stop exploité par les arabes pour propager l’Islam. Toute la conférence sera ainsi sous-tendue par l’incontournable dualité : inventions, progrès technique et impératifs politiques, religieux et sociétaux. La richesse du propos, sa rigueur emportent l’adhésion. De belles enluminures éclairent notre regard sur cette période charnière avant l’éclosion de l’estampe nécessitant une matrice. Dans une remarquable recherche de visuels auprès de grandes institutions comme le « British Museum », la « Bibliothèque de France », le « Metropolitan Museum of Art » à New-York, très peu accessibles au grand public, des œuvres graphiques majeures sont offertes au regard. Il nous est alors proposé des connaissances approfondies sur la définition de l’estampe, les différentes techniques apparues en respectant leur cheminement historique. Ainsi, des reproductions de gravures majeures, comme celles de Jacopo de Barbosa, Dürer, Urs Graf, Cranach, Baldung… nous éblouissent d’autant que la finesse des images permet des agrandissements. Une approche vertigineuse des détails gravés.

Suit une incise majeure, l’imprimerie typographique. L’invention de l’imprimerie à Mayence serait donc allemande. Une approche historique détaillée nous propulse vers le livre, tremplin de l’estampe indépendante avec le livre typographique utilisant les caractères mobiles, images dissociées. Nous voici au cœur de l’inventivité de la création des estampes dans ses techniques à venir. Rien n’est oublié, le papier, la matrice bois, la presse, oui, mais aussi les encres ! Le fil de l’histoire s’arrête un instant avec « Le Péché originel » et le « Calvaire » gravé en bois de fil par Cranach l’Ancien.

Un aparté historique, la chalcographie balbutie avec la transposition de la xylographie et sa taille d’épargne sur le cuivre (gravure en criblé) vite balayée au XVe siècle par une gravure sur cuivre au joli nom de « gravure en taille-douce » réalisée au burin, l’outil des joailliers. Joker ! De grands maîtres de la gravure abattent leurs cartes sur l’écran : le maître E.S, Schongauer, Mantegna… suivront de grands noms, Albrecht Dürer, Jean Duvet que nous découvrons dans « Le Mariage d’Adam et Eve ». Gérard Robin nous y serons habitués jusqu’à la fin de la conférence, nous offre une présentation didactique limpide de la technique du burin détaillée par des visuels épurés. Une clé de lecture supplémentaire des gravures pour les néophytes, mais pas que… peut-être.

À la pointe des inventions en cette fin du XVe et début XVIe siècle, la pointe sèche voit son sillon s’affermir chez les artistes. Les plus grands s’y sont commis souvent en duo avec le burin pour le bonheur de notre regard à l’écran. Et toujours un didacticiel bienvenu. Alors que nous nageons dans l’effervescence du bain des grands noms de la gravure de l’époque, Gérard Robin, avec un art consommé, nous plonge dans l’eau-forte en 1496 avec l’orfèvre Venceslas d’Olmutz, même si bien avant à Damas et Tolède les armes subissaient la morsure d’un mordant à des fins d’ornementation. Tous s’y mettent, de Urs Graff à Daniel Hopfer en passant par Dürer avec « L’Homme de douleur assis ». Nous plongeons alors ensemble dans le bouillon des mordants à forte personnalité pour émerger avec six reproductions sublimes de Dürer, qualité à couper le souffle sur grand écran.

Puis plage historique : relier la gravure à l’Histoire du XVIe siècle nous montre alors que les turpitudes actuelles sont pérennes ! Essoufflés, nous arrivons au XVIIe, traité comme il faut par Abraham Bosse dès 1645. Claude Gelée n’est pas loin et nous nous régalons avec la performance, en vernis dur, de Jacques Callot dans « La Fiera dell’ Impruneta » qui nous donne le vertige. De guerre lasse, en raison de l’affrontement protestants-catholiques, la gravure si prospère en Italie, France et Allemagne migre vers Anvers et Amsterdam. Le poids de l’histoire encore souligné. On se met au service des peintres comme Rubens et Hendrick Goltzius (peintre-graveur). À cet instant, la tête nous tourne, là où l’estampe de Goltzius est à sens renversé par rapport à l’huile « Dragon devant les compagnons de Cadmus » de Cornelis Cornelisz van Haarlem. Excellente touche pédagogique.

Une « perle » sortie des réserves de l’Artothèque de la médiathèque de La Rochelle nous est offerte sur le plateau de la scène et à l’écran : « Le Cadet à la Perle », un portrait de Henri de Lorraine, comte d’Harcourt, au burin en 1667 par Antoine Masson. Exemple intégral des possibilités acquises au burin pour magnifier la peau, le métal, les étoffes. Vertigineux. Bluffés seront les regardants qui s’approcheront de l’œuvre en fin de conférence.

En ce XVIIe siècle, tournant majeur, sur lequel la conférence s’attarde logiquement, chaque artiste, maître de ses techniques : burin, pointe sèche, eau-forte à toutes ses sauces (au vernis dur ou mou, à l’aquatinte) rivalise de prouesses, nous laissant un trésor d’œuvres majeures dont un témoignage historique comme la « Ratification du traité de Munster » au burin (1650) par Jonas Suyderhoef. De grands noms éclaboussent l’écran dont Claude Mellan, qualifié aujourd’hui d’« ayatollah du burin », avec « Le Cardinal de Richelieu » bien connu des Rochelais, et surtout pour « La Sainte Face » qui nous fait tourbillonner comme sur des patins à glace dans des arabesques où aucune trace ne se croise. Pour ne pas être en reste, un contemporain, Rembrandt nous conquiert alors avec ses trios : eau-forte, pointe sèche, burin, ou duos ou soliste comme : « Rembrandt gravant ou dessinant près d’une fenêtre », « L’Espiègle », « Autoportrait en mendiant ». Un réalisme confondant.

Avec subtilité le conférencier. nous fait alors quitter les rives des traits et hachures pour nous guider vers le clair-obscur en demi-teinte qu’est la manière noire apparue en 1642 avec Ludwig von Siegen. Moment émotion ! Sa gravure « Elisabetha » reine de Bohème (1643), témoigne de la naissance de cette technique dont les arcanes nous sont dévoilés avec force illustrations. Dénichées au « British Museum », des reproductions en gravure de portraits de maîtres tels que John Hoppner et Willem van de Velde II, par Wallerant Vaillant, William T. Annis, George Clint et les paysages de Francis Seymour Haden nous transportent outre-Manche où le mezzotint fait florès en noir et blanc.

L’écran qui mérite la couleur s’illumine alors avec le prisme d’Isaak Newton et Jacob Christoph Le Blon qui s’empare du spectre bleu, jaune, rouge pour encrer trois plaques gravées différemment et procéder au tirage, jouant ainsi sur le jeu des couleurs complémentaires par superposition. Le tour est joué et Jacques-Fabien Gautier d’Agoty, son élève, applique la recette avec bonheur en ajoutant une quatrième plaque encrée en noir pour augmenter le contraste. La quadrichromie est née, elle rayonne à l’écran avec « L’Ange anatomique », planche célèbre de son « Traité de Myologie ». En dessert, pour récompenser notre capacité d’écoute, « Le bol de fraises » en trichromie de Laurent Schkolnyk, graveur contemporain.

« L’Ange anatomique »
Jacques-Fabien Gautier d’Agoty – manière noire couleurs (1746)
(Cl : Rémy Joffrion)

Naturellement, nous ne pouvons pas échapper à Louis XIV, le roi soleil, pour la gravure ! La preuve par trois. Un : « Le Cabinet du roi » en 23 volumes donne du pain sur la planche à une armée de graveurs de talent dont Claude Mellan avec à l’écran une gravure en majesté « Le Code Louis XIV ». Deux : L’Édit de Saint-Jean-de-Luz du 26 mai 1660 qui, chacun sait, fut un tremplin royal offert à « Manifestampe » pour sa « Fête l’estampe ». Trois : Tambour ! « L’Académie des Sciences et des Beaux-Arts », imaginée et gravée par Sébastien Leclerc. L’Histoire donne parfois un coup de pouce à la création !

La gravure se réinvente toujours. Nous attendons fébrilement la suite, toujours au XVIIIe siècle que nous sommes. Courage ! Une éclaircie. L’aquatinte voit le jour, plusieurs graveurs s’y essaient en concurrence comme Jean Adam Schweikard et Jean Baptiste Le Prince. La projection nous éclaire magistralement sur cette technique, égayée avec Jean-François Janinet dans « Les Trois Grâces » et « La Toilette de Vénus » où la douceur du rendu est palpable. Parallèlement, de Castiglione le Génois à Benjamin Green le Britannique, la gravure au vernis mou s’affirme. L’eau-forte dans toutes ses déclinaisons a ses heures de gloire avec Tiepolo, Canaletto, Piranèse, Goya… sous l’œil influenceur des peintres comme Boucher, Fragonard. Nos yeux s’embuent. Pas de chômage, c’est le temps de « l’Encyclopédie Diderot-d’Alembert » aux 35 volumes dont 12 de planches. Encore un siècle à marquer d’une pierre blanche !

Avec gourmandise nous voilà propulsés dans le XIXe siècle où la pierre de Solenhofen s’impose avec Senefelder, écrivain en mal d’édition. La lithographie est née. Verbe et images nous font découvrir les méandres complexes de cette technique à l’ombre de la « Bête à cornes », la presse permettant dorénavant le tirage de superbes lithos comme « Fiametta » (1866) de Auguste Lemoine et « The Lake » (1918) de Bolton Braun.

Le bois n’a pas dit son dernier mot. Il se redresse. « Le bois debout » gravé au burin en taille d’épargne voit le jour à Constantinople vers 1705 avec l’Arménien Grigor Marzwantsi. Popularisé 70 ans plus tard par le britannique Thomas Bewick, c’est un progrès considérable pour la gravure d’illustration grâce à la finesse des tailles au burin dans des bois très durs tels que le poirier et le buis. On doit son apparition en France à Ambroise Firmin-Didot. Des reproductions pertinentes illustrent le propos, sublimées par « Une histoire intime » du contemporain Jean-Marcel Bertrand. Avec les applications de l’estampe nous parcourons l’histoire et les paysages rochelais au travers du timbre-poste, de la cartographie… Les Rochelais, comblés, cheminent alors sur le port, dans les rues avec Octave de Rochebrune et Léon-Auguste Asselineau, puis avec des lithographies propres à attirer les touristes. Un clin d’œil aux graveurs du « Quai de l’Estampe » présents par les eaux-fortes de Philippe Cattelin représentant la Tour St Barthélémy, qui fut un temps l’hébergement de leur atelier.

Un rappel résumé de l’estampe de « fonction » nous remémore le cuisant revers subi avec l’apparition de la photographie. Mais l’estampe va rebondir avec l’estampe dite « originale ». Elle va conquérir le monde dont nous découvrons quelques belles réalisations des Inuits aux Aborigènes, en passant par le Japon…

À l’écran, une synthèse nous remémore tout le chemin parcouru. 50.000 ans. Pensez-donc, et tout cela en 90 minutes ! Les techniques récentes : la sérigraphie, la collagraphie, l’héliographie au grain et la digigraphie n’ont pas été développées… faute de temps. Révisons enfin les attributs d’identification des estampes. Gérard Robin pense à tout ! La conférence ferme ses volets sur une citation de Paul Valery, éloge aux graveurs.

Regard sur « Le Cadet à la Perle »
(Cl. Rémy Joffrion)

Mais… en bonus, un portfolio présente quelques 40 estampes contemporaines aux expressions artistiques diverses, avec un discret hommage posthume à Hélène Nué, tout récemment disparue, par « Attente » et un ex-libris « Cachou, le chat », deux burins sur cuivre. « Le Cadet à la Perle » attend le regard du public persuadé d’avoir participé à un voyage de grande qualité sur l’immense fleuve de l’estampe. Merci Gérard, merci Maïté.

Rémy Joffrion

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Rédiger son catalogue raisonné https://www.vuetlu.manifestampe.net/rediger-son-catalogue-raisonne/ Sat, 16 May 2020 10:50:22 +0000 http://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=1439 Continuer la lecture de « Rédiger son catalogue raisonné »

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Au moment de la levée partielle du confinement, qui a sans doute été l’occasion d’effectuer quelques tris et rangements dans son fonds d’atelier, sa bibliothèque ou sa collection d’estampes, la rédaction republie bien volontiers cet écho qui pourra susciter un regain d’intérêt pour participer à la master-class « Catalogue », animée par Maxime Préaud.

Le samedi 10 mars 2018, dans le cadre de son assemblée générale annuelle, Manifestampe a organisé une causerie-débat ouverte au public, intitulée « Rédiger son propre catalogue raisonné ». Devant près d’une centaine de personnes, Maxime Préaud, ancien conservateur au Département des estampes de la Bibliothèque nationale de France, président honoraire de Manifestampe depuis 2016, a offert aux adhérents et au public venu en curieux un beau moment de partage. La thématique, qui concerne d’abord les artistes, touche aussi les familles d’artistes, les historiens d’art et ceux qui s’intéressent de près à l’estampe.

Dans un style direct teinté de beaucoup d’humour, Maxime Préaud a expliqué la différence entre un inventaire, un catalogue d’exposition et un catalogue raisonné. Il a invité les artistes à prendre de bonnes habitudes, noter et recueillir tout ce qui se rapporte à la création de leur œuvre au fil du temps. L’assistance a manifestement beaucoup apprécié les conseils apportés et l’a sollicité de plusieurs questions. Elles ont donné lieu à des réponses utiles et précises, pimentées de jeux de mots et de traits d’humour auquel le public s’est lui-même volontiers prêté sur ce sujet bien sérieux.

Texte de la causerie-débat de Maxime Préaud

« Rédiger son propre catalogue raisonné est comme écrire son journal d’artiste, mettre un peu d’ordre et de raison dans ses activités artistiques, préparer l’enrichissement de ses futurs souvenirs. Le catalogue raisonné peut en partie se définir par ce qu’il n’est pas. Il n’est pas une simple liste comme celle des courses que l’on fait au marché. Il n’est pas l’inventaire d’une collection, donc limité à cette réunion de documents et à l’espace qui la contient, encore que cet inventaire puisse être fait avec raison. Il n’est pas non plus un inventaire dressé par un notaire après un décès, décrivant les objets au fur et à mesure de leur apparition. Il n’est pas un catalogue qui se contenterait de brèves descriptions cliniques, même accompagnées d’images comme le Liber veritatis de Claude Lorrain. Il n’est pas non plus un catalogue d’exposition, où sont sélectionnées dans un but particulier un certain nombre d’œuvres, lesquelles sont ou devraient être accompagnées d’un commentaire, lequel serait sûrement plus intelligent s’il existait un catalogue raisonné des œuvres considérées. Le catalogue raisonné est plus que tout ce que je viens de décrire à la fois. Il est une accumulation où se mêlent les informations techniques et précises sur les œuvres et leur fabrication avec les sentiments et les faits à l’origine de leur création : les lieux, les histoires entendues, les conversations, les textes qui les ont inspirées, aussi bien que les premières pensées, les dessins préparatoires, les photographies, les coupures de journaux, les travaux des autres. Puis la description des différentes opérations qui ont mené à l’œuvre, les épreuves d’état, les épreuves d’essai, le tout réuni estampe par estampe en un dossier semblable au dossier d’une affaire criminelle. Et toutes ces informations sont classées de façon à s’insérer rationnellement dans un ensemble organisé.

Maxime Préaud pendant son intervention (Cl. Marianne Durand-Lacaze)

Certains pensent et même disent : « Moi, ce qui m’intéresse c’est le moment présent, la création d’aujourd’hui, du passé faisons table rase, hier n’a pas d’importance », et c’est vrai peut-être, jusqu’au moment où, un peu plus âgé, un peu trop actif, on commence à mélanger les souvenirs et ne plus être capable de répondre de façon précise à certaines questions. Certains sont trop modestes pour croire mériter un catalogue personnel. Mais en l’occurrence il ne s’agit pas de mérite ni de gloire, mais de méditation sur sa propre existence. Certains, et c’est peut-être la catégorie la plus nombreuse, sont simplement négligents : ils ne rangent rien, ne classent rien, ne retrouvent rien, comme si les œuvres auxquelles ils consacrent pourtant une bonne partie de leur existence, de l’énergie, et de l’argent (car on ne s’enrichit pas toujours en gravant) n’avaient finalement aucune importance à leurs propres yeux. Je trouve que c’est une insulte à la vie et à l’art.

Il est vrai qu’on s’imagine souvent, lorsqu’on est jeune, qu’on se souviendra de tout. L’expérience montre que ce n’est jamais vrai. Et il faut en plus penser à sa femme ou à son mari, à ses enfants, à ses amis. Même un vieux célibataire grincheux peut avoir un ou quelques amis. Que vont-ils faire de cette pagaille que vous envisagez de laisser derrière vous ? Alors qu’un bon catalogue leur faciliterait la tâche, s’ils voulaient garder quelque mémoire de vous.

Rédiger le catalogue raisonné de l’œuvre de quelqu’un d’autre relève de la même logique et demande la même organisation. La grosse différence est que la source première des informations, c’est-à-dire l’artiste, est absente, et qu’il faut reconstituer l’ordre et l’organisation de la partie laborieuse de son existence. L’exercice commence par une description minutieuse de chaque estampe, et se continue par une recherche dans les fonds d’archives, familiales quand il s’agit d’un être proche (courrier, photographies, coupures de presse, cartons d’invitations, etc.) ou publiques (archives notariales, collections diverses, sources imprimées de diverses natures) s’il s’agit d’un artiste plus ancien. »

Suite à cette présentation, de nombreuses questions ont été posées par l’auditoire. Leurs réponses pourront être affinées dans le détail au cours de la master-class organisée sur ce sujet par Manifestampe et à laquelle tous les curieux de thème ont été invités à s’inscrire.

Marianne Durand-Lacaze

Vous souhaitez approfondir ce sujet ?

Pour comprendre à plusieurs comment « Mettre un peu d’ordre dans ce qui peut apparaître comme un désordre ? » aux yeux de l’artiste et de ses proches, inscrivez-vous à l’une des sessions d’une après-midi du cycle de master-classes animées par Maxime Préaud.
Pour cela, la demande d’inscription doit être motivée et envoyée par mail à contact@manifestampe.org . Participation gratuite pour les membresde Manifestampe à jour de leur cotisation et de 50 euros la séance pour les personnes extérieures.

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