Maxime Préaud – Vu et lu… pour vous https://www.vuetlu.manifestampe.net Magazine d'informations sur l'estampe dans tous ses états Sat, 03 May 2025 09:35:09 +0000 fr-FR hourly 1 https://www.vuetlu.manifestampe.net/wp-content/uploads/2021/01/cropped-favicon-512x512-1-32x32.jpg Maxime Préaud – Vu et lu… pour vous https://www.vuetlu.manifestampe.net 32 32 « URBS » https://www.vuetlu.manifestampe.net/urbs/ Sat, 03 May 2025 09:35:09 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=4179 La galerie, côté est (Cl. C. Allard) Exposition « URBS » Paysages urbains Chantiers, réseaux routiers et chemins de fer 29 avril au 14 juin 2025 Librairie & Galerie Saint-Michel 17 quai Saint-Michel, Paris Ve « URBS », tel est le titre générique de l’exposition que présente la Librairie & Galerie Saint-Michel, sur le quai du même nom, … ]]>

La galerie, côté est (Cl. C. Allard)

Exposition « URBS »
Paysages urbains
Chantiers, réseaux routiers et chemins de fer
29 avril au 14 juin 2025
Librairie & Galerie Saint-Michel
17 quai Saint-Michel, Paris Ve

« URBS », tel est le titre générique de l’exposition que présente la Librairie & Galerie Saint-Michel, sur le quai du même nom, quasiment en face de Notre-Dame. Comme tout le monde ne sait pas que le mot d’urbs, en latin, a pour sens usuel la ville1, Constance Allard a jugé bon de préciser en sous-titre que les estampes qu’elle a rassemblées sur les murs de son relativement petit espace chaleureux sont des « Paysages urbains / Chantiers, réseaux routiers et chemins de fer ». J’ai souvent pensé qu’une des différences entre la photographie et l’estampe est que la première conserve la mémoire de la laideur tandis que la seconde la magnifie, par cette espèce de transsubstantiation dont l’art est seul capable.

Il est vrai aussi que les cinq artistes réunis par Constance Allard (soit, par ordre alphabétique, Sergio Birga †, Caroline Bouyer, Anne Charagnac, Frédéric Chaume et Corinne Lepeytre) trouvent des beautés aux chantiers de démolition ou de construction, aux infrastructures d’autoroutes, aux lampadaires, aux câbles électriques, aux rails, aux grues et aux pelleteuses qu’exècrent pour différentes raisons ceux qui sont contraints de les fréquenter visuellement et acoustiquement dans la réalité quotidienne.

Côté Birga, avec l’image de Chronos en couleurs (Cl. C. Allard)

Chez Birga, qui montre en linogravure la destruction des halles de Baltard, qu’il a pu observer lui-même à la différence de ses camarades de cimaise plus jeunes, il y a une dimension politique, et un sentiment nostalgique qui n’affecte que les petits vieux qui ont connu ce triste moment et qui s’interrogent sur l’acharnement des édiles à enlaidir les espaces dont ils ont la charge. Fort heureusement la fragilité des choses et des bâtisses récentes leur laisse un peu d’espoir.

La galerie, côté ouest (Cl. C. Allard)

Les jeunes émules du Florentin ont semble-t-il des ambitions différentes, comme de rendre compte d’un moment qui n’en finit pas, d’un provisoire qui dure. Aussi leur faut-il des points de vue plus larges et utiliser des techniques plus complexes, qu’il et elles maîtrisent parfaitement. Carborundum, aquatintes diverses, grattages, astuces d’encrage, rien ne leur échappe, le tout étant accompagné ou précédé d’une bonne exploitation de l’outil photographique et d’une grande qualité de dessin.

Autre vue de la galerie, côté ouest (Cl. C. Allard)

Travaillant dans des lieux et à des moments différents, il ne paraît pas qu’il y ait eu concertation entre ces artistes, qu’il s’agisse des sujets ou des manières de les traiter. On pourrait presque le croire, tellement l’unité se manifeste dans l’accrochage de la galerie. Cette belle rencontre non loin des travaux en voie de finition à Notre-Dame (de toute façon, à Paris, il y a toujours un chantier quelque part pas très loin), est à la fois une surprise et une réussite.

Maxime Préaud

1 – Le sens second est celui de « Rome », soit la Ville par excellence pour les Latins ; aussi, quand le pape délivre sa bénédiction « urbi et orbi », cela ne veut pas dire, comme le répètent à l’envi tous les journalistes, « à la ville et au monde », mais « à Rome et au reste du monde ».
nota bene : La galerie est ouverte de 14h à 18h, les mardis, mercredis et jeudis ; les vendredis et samedis sur rendez-vous. (contact@librairiesaintmichel.com)

 

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Lise Follier-Morales https://www.vuetlu.manifestampe.net/lise-follier-morales/ Wed, 23 Apr 2025 06:28:12 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=4163 Exposition Itinéraires 1982-2024 Château des Comtes du Perche Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir) du 5 avril au 21 septembre 2025 Il s’agit ici d’une sorte de rétrospective de l’œuvre graphique de Lise Follier-Morales. Mais une rétrospective bien partielle, car cet ensemble de quelque cent-vingt pièces est une sélection plutôt sévère d’un travail multiforme commencé il y a plus … ]]>

Exposition Itinéraires 1982-2024
Château des Comtes du Perche
Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir)
du 5 avril au 21 septembre 2025

Il s’agit ici d’une sorte de rétrospective de l’œuvre graphique de Lise Follier-Morales. Mais une rétrospective bien partielle, car cet ensemble de quelque cent-vingt pièces est une sélection plutôt sévère d’un travail multiforme commencé il y a plus de quarante ans.

L’artiste s’est essayée à la plupart des techniques classiques, y compris le burin. Mais elle a aussi tenté le carborundum, et même le carton, dont sont présentés ici quelques témoignages. Toutefois la manière qui l’a véritablement passionnée est celle de la taille d’épargne, qui lui permet d’utiliser au mieux ses talents innés de coloriste, qu’elle exprime également dans ses travaux au pastel ou à la gouache dont on voit ici quelques exemples.

Transparences (Cl. A. Morales)

Si la linogravure en plusieurs planches n’a pas de secret pour elle, c’est surtout le travail à la planche perdue qui a suscité son enthousiasme et provoque l’admiration du visiteur, lequel ne peut qu’être épaté par la subtilité de ses réalisations, même s’il ne se rend pas toujours compte du talent et de la rigueur qu’exige la multiplication des passages de la même planche sous la presse, parfois jusqu’à quinze. Ceux qui en ont expérimenté la difficulté comprendront de quoi je parle.

Lise a été très inspirée par le papier dominoté, notamment à la suite de la publication en 2012 d’un magnifique livre sur le sujet par les éditions des Cendres1. Elle s’est donc lancée dans la dominoterie, avec succès, en améliorant considérablement le procédé, qui bénéficie maintenant d’une appellation nouvelle dans le vocabulaire technique de l’estampe, la dominographie. Elle avait réalisé, dès 2013, une belle exposition sur ce thème « De la dominoterie à la dominographie » à la bibliothèque municipale du Mans.

Bien qu’ayant quitté enfant sa Corée natale pour vivre en France (à Nogent-le-Rotrou comme par hasard, bien avant Paris), il semble que, si elle en a oublié la langue, tout ce qui est image chez elle la ramène à ses origines asiatiques, dans sa manière d’observer, d’imaginer et de représenter, l’œil suraigu sous la paupière légèrement bridée. Aussi n’est-on presque pas surpris de la voir faire rimer domino et kimono.

Dominos et kimonos (Cl. A. Morales)

Ainsi se justifie en partie le titre de l’exposition, « Itinéraires », ou allers et retours entre le IIe arrondissement de Paris, les villes de Séoul ou de Tokyo brillamment illuminées, le Japon enrichi de plusieurs vues du Mont Fuji qui rivalisent respectueusement avec les estampes de Hokusai, en s’arrêtant au passage pour caresser du regard et du pinceau une pomme, une poire et tout un bouquet de fleurs diverses.

Quelques vues du Mont Fuji (Cl. A. Morales)

Un petit catalogue (5 €), joliment illustré, accompagne le visiteur qui le souhaite, précédé de propos des édiles nogentais et d’une préface de Séverine Lepape, directrice du Musée national du Moyen Âge – Thermes et Hôtel de Cluny. L’exposition se tient dans les salles du musée de l’Histoire du Perche, installé dans le château des Comtes du Perche, belle bâtisse (naguère château Saint-Jean).

Maxime Préaud

1 – Marc Kopylov, « Papiers dominotés français ou L’art de revêtir d’éphémères couvertures colorées : livres & brochures entre 1750 et 1820 » ; avant-propos d’André Jammes, [Paris], Éd. des Cendres, 2012, 1 vol. (404 p.), ill. en coul. C’est ici l’occasion de mentionner une très belle exposition sur le sujet qui s’est tenue cet hiver à la bibliothèque patrimoniale de Rouen. Il n’y a pas de catalogue, mais on peut lire un long entretien avec le responsable de l’exposition, Michaël Monnier, « Éphémères couvertures de papier », dans le n° 366 (janvier-février 2025) d’Art et métiers du livre, p. 44-51, bien illustré.

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Eugène Viala https://www.vuetlu.manifestampe.net/eugene-viala/ Tue, 18 Mar 2025 19:41:33 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=4143 Exposition à la Fondation Taylor 1 rue La Bruyère 75009 PARIS) 13 mars au 3 mai 2005 L’exposition devrait ravir les amateurs de l’estampe « visionnaire », voire « fantastique ». Environ une centaine de pièces sont présentées, non seulement les eaux-fortes enrichies d’aquatinte et de pointe sèche, mais également des dessins. Elles sont venues pour la plupart du … ]]>

Exposition à la Fondation Taylor
1 rue La Bruyère 75009 PARIS)
13 mars au 3 mai 2005

L’exposition devrait ravir les amateurs de l’estampe « visionnaire », voire « fantastique ». Environ une centaine de pièces sont présentées, non seulement les eaux-fortes enrichies d’aquatinte et de pointe sèche, mais également des dessins. Elles sont venues pour la plupart du musée Denys-Puech de Rodez (c’est l’occasion, pour l’ignorant qui écrit ces lignes, d’en apprendre l’existence, il ne connaissait que le musée Fenaille, lequel participe aussi) et de la collection de Jean Costecalde.

C’est encore de l’estampe qui se regarde de près (Cl. Maxime Préaud)

Cet amateur passionné de l’œuvre de Viala a en outre réalisé le catalogue raisonné de son œuvre gravé, publié en 2021 (édité par les musées Rodez agglomération et les éditions Liénart) et présenté au musée Fenaille en même temps qu’une première version de l’exposition. Le catalogue est remarquable par sa qualité et son poids, c’est un colossal in-4° de 632 pages ; abondamment illustré, il décrit les 434 estampes produites par l’artiste (il coûte tout de même 59 euros, mais c’est un prix justifié).

Une des pages du catalogue,
où l’on voit Viala se représentant lui-même
en train d’imprimer, eau-forte de 1911 (Cl. Maxime Préaud)

Viala travaille à l’eau-forte, rehaussée souvent d’aquatinte et de pointe sèche. Le noir domine, ce qui convient parfaitement aux sujets qu’il traite, qu’ils soient mythologiques, bibliques ou christiques, rien n’échappant à ses fantasmes particuliers, parfois érotiques (je recommande une remarquable « Tentation de saint Antoine », très originale, sous le n° 452 du catalogue), peuplés d’oiseaux inquiétants avec par-ci par-là de sympathiques dragons.

Cat. 279. « Gestes d’arbres, la Sorcière », entre 1900 et 1909
Eau-forte et aquatinte 32,6 x 25,1 cm
Gravure de la suite « Gestes d’arbres »
Collection particulière © Pierre Soissons

Son œuvre est très personnel, même si les références sont évidentes : on voit tout de suite qu’il a regardé attentivement les « Caprices » de Goya, de même que les estampes publiées d’après les dessins de Victor Hugo, mais il s’agit toujours de moteurs, il ne s’abandonne jamais à l’imitation. Les arbres, qui le passionnent, ont pour la plupart des allures torturées qui font penser aux travaux de Rodolphe Bresdin, qu’il aurait pu rencontrer.

Autoportrait d’Eugène Viala en 1908, plume, lavis et rehauts d’aquarelle. Collection particulière © Pierre Soissons

Autant d’occasions, pour le visiteur sensible et savant que vous serez, de partager la mélancolie que son autoportrait exprime magnifiquement.

Maxime Préaud

 

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Nathalie-Olga https://www.vuetlu.manifestampe.net/nathalie-olga/ Tue, 07 Jan 2025 20:14:51 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=4053 «Corbeil-Cerf» (1980), burin sur acier, 35 x 50 mm J’ai le plaisir de vous annoncer la parution du catalogue raisonné de l’œuvre gravé de Nathalie-Olga de Montalembert, stampassine d’âge et de talent respectables, que, à ma grande honte, j’avoue ne pas avoir connue jusqu’à présent : Jean-Marie Arnoult, L’Œuvre gravé de Nathalie-Olga de Montalembert. Catalogue … ]]>

«Corbeil-Cerf» (1980), burin sur acier, 35 x 50 mm

J’ai le plaisir de vous annoncer la parution du catalogue raisonné de l’œuvre gravé de Nathalie-Olga de Montalembert, stampassine d’âge et de talent respectables, que, à ma grande honte, j’avoue ne pas avoir connue jusqu’à présent : Jean-Marie Arnoult, L’Œuvre gravé de Nathalie-Olga de Montalembert. Catalogue raisonné (1950-2004), Sablé-sur-Sarthe, Les Arts Plastiques Saboliens, 2024. 29 cm, 70 p., ill.

Essentiellement buriniste et pointe-séchiste, cette élève de Robert Cami à l’Académie Julian a gravé pendant plus d’un demi-siècle, dans le cuivre et dans l’acier, de nombreux paysages ainsi que des architectures historiques et rurales du Maine et de la Sarthe où elle est installée depuis 1955. Sa minutie, la précision rigoureuse de son burin, l’inscrivent dans la grande tradition de la gravure française, dans la lignée d’André Jacquemin.

Le catalogue qui lui est consacré recense, décrit et reproduit l’intégralité de ses gravures réalisées entre 1950 et 2004. Il est précédé d’une préface qui analyse son parcours artistique ainsi que les techniques qu’elle a utilisées.

«La terrasse» (1994), burin sur cuivre, 303 x 464 mm

L’auteur de cette préface, et le rédacteur du catalogue, Jean-Marie Arnoult, nous livre son sentiment : « Lorsque j’ai rencontré cette vieille dame de plus de 90 ans maintenant, j’ai été très surpris par la « propreté » de sa technique et sa discrétion. Peu à peu je l’ai convaincue de faire ce catalogue et pendant deux ans elle a cherché dans ses archives pour rassembler tout ce qui pouvait m’aider à faire une bonne chronologie de ses travaux. Il y a bien des lacunes, mais globalement je suis content du résultat à la fois sur le plan technique et sur le plan humain. Ayant été familialement un proche d’André Jacquemin lors de son exil à Vaudéville près d’Épinal, j’ai retrouvé chez NO de Montalembert la même rigueur technique et la même approche chaleureuse des paysages.»

Maxime Préaud

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Olaf Idalie https://www.vuetlu.manifestampe.net/olaf-idalie/ Tue, 03 Dec 2024 09:16:48 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=4000 « Écueil » burin d’Olaf Idalie (Cl. Fondation Taylor) La Fondation Taylor consacre aux travaux gravés d’Olaf Idalie une belle exposition que cet artiste bien connu du monde de l’estampe mérite depuis longtemps. Son prénom rare sous nos latitudes l’a aussi fait remarquer ; il est vrai que sa mère s’appelait Zoé Oldenbourg, historienne et romancière … ]]>

« Écueil » burin d’Olaf Idalie (Cl. Fondation Taylor)

La Fondation Taylor consacre aux travaux gravés d’Olaf Idalie une belle exposition que cet artiste bien connu du monde de l’estampe mérite depuis longtemps. Son prénom rare sous nos latitudes l’a aussi fait remarquer ; il est vrai que sa mère s’appelait Zoé Oldenbourg, historienne et romancière distinguée (prix Femina en 1953).

Nombre de stampassins parisiens naguère, bordelais ou girondins aujourd’hui, savent son talent d’imprimeur en taille-douce — ce qui lui permet de présenter au public des estampes impeccablement tirées. On sait qu’il a enseigné à l’École Estienne. Ce qu’on connaît moins, ce sont les études qui ont précédé ce penchant pour l’estampe. Je peux aujourd’hui dénoncer qu’il a été en classe de seconde au lycée Claude B. le chouchou de Carnifex (i. e. « bourreau » en latin), prof de français-latin-grec, un nabot d’une méchanceté rare que l’auteur de ces lignes haïssait mortellement. Bref, Olaf, d’une certaine manière, est un artiste complet, puisqu’il peut joindre à son talent graphique un minimum de culture humaniste que ne détiennent pas toujours, j’ai le regret de le dire, nombre de ses émules.

Une vue de l’exposition (Cl. Maxime Préaud)

Quant à ses estampes, elles méritent l’attention, ne serait-ce que par leur originalité. Elles sont gravées d’un burin souple, qui s’engraisse quelque peu avec le temps, et parfaitement aiguisé (Olaf a toujours été très affûté). Il n’aime pas beaucoup les teintes, leur préférant la beauté du trait pur ou presque — pas de hachures, presque pas de tailles croisées —, c’est un adepte de la ligne claire.

Une autre vue de l’exposition (Cl. Maxime Préaud)

Ses sujets naissent, semble-t-il, au moment même de l’incision. Personnages, animaux — souvent des chevaux ou des chiens — viennent naturellement sous sa lame, efflanqués souvent, inachevés parfois, s’entremêlant à de curieuses mécaniques qui tiennent du robot. Mais ce sont des images qui se regardent de près, où, sous une apparence purement linéaire, de temps en temps à la limite du style nouille, se découvrent des bizarreries qui poussent à les regarder encore : que viennent faire cette fourchette et ce couteau dans l’« Essai pour Icare » ? La scie à métaux dans « Olibrius » se comprend davantage, puisqu’on est un peu dans la ferraille, et de toute façon ces images nous proposent le plaisir de l’interrogation renouvelée.

Maxime Préaud

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La constellation Gustave Doré https://www.vuetlu.manifestampe.net/la-constellation-gustave-dore/ Thu, 06 Jun 2024 15:40:39 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=3826 Continuer la lecture de « La constellation Gustave Doré »

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Gustave Doré, La Banduria, encre et fusain

Une traversée dans l’édition illustrée au XIXe siècle
Galerie Heitz / Palais Rohan
2 place du Château 67000 Strasbourg
25 avril au 15 juillet 2024

Comme son sous-titre l’indique, l’exposition est essentiellement consacrée au livre illustré, car elle s’inscrit dans la célébration de Strasbourg désignée par l’UNESCO comme « Capitale mondiale du livre 2024 », ainsi que dans les 9e Rencontres de l’illustration. On se rappelle que, bien après Gustave Doré, la ville s’enorgueillit de la naissance en ses murs de Tomi Ungerer, qui y a aussi son propre musée1.

Je suis sorti de cette exposition ébloui et, pour une fois, pas encore épuisé car les dimensions en sont raisonnables. (Il faut que les organisateurs des expositions d’estampes comprennent que ces images ne se regardent pas d’emblée comme des tableaux, mais avec patience et longueur de temps.) Ébloui par le talent, l’invention, l’imagination débordante, l’humour, le sens du macabre et du fantastique proposés par Gustave Doré. Fort heureusement, nos ancêtres n’étaient pas plus malins que nous, qui, en rejetant des divers salons en vogue Doré comme peintre, l’avaient en quelque sorte repoussé vers l’illustration, exercice dans lequel il piétine, écrase, anéantit quasiment tous les autres, avec une fougue et un brio dont aucun de ses émules n’était capable. On est évidemment loin des gribouillis, aussi sympathiques soient-ils momentanément, de Hartung ou de Soulages, loin de l’oblique bleutée inlassablement répétée de Geneviève Asse, on est dans le récit, le rêve ou le cauchemar, dans le divertissement, dans ce qui image l’histoire même si elle n’est qu’anecdotique.

Sont montrées les influences subies par Doré : Grandville, Töpffer, Victor Hugo, d’autres encore, et celles qu’il a eues sur ses contemporains et ses suiveurs, y compris Van Gogh. Le regard du visiteur a largement de quoi travailler, s’amuser, se réjouir de ces réciprocités. Il y a aussi quelques morceaux de bravoure, tel ce magnifique dessin en couleurs où l’on voit le « petit » Pantagruel faire joujou avec un troupeau de vaches (au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg), ou La Banduria, sorte de guitare dont joue un nain digne de Luis Buñuel, grand dessin au fusain et à l’encre (ibidem). Un régal.

Gustave Doré, Pantagruel et les vaches allaitantes, première pensée,
crayon, encre, aquarelle et gouache (détail)

Pantagruel et les vaches allaitantes, bois debout d’après Doré
par Florentin Jonnard

Il est vrai que Doré a été admirablement servi par d’exceptionnels techniciens de la gravure en bois debout2 (ou de bout), un procédé qui demande, là encore, une habileté hors du commun, une compréhension des sujets proposés comme symbiotique à l’œuvre dessinée au lavis d’encre de Chine, à la plume et à la gouache par l’illustrateur. L’exposition montre bien ces transmissions, car, grâce aux collections de Strasbourg et à de nombreux prêts extérieurs, beaucoup de ces dessins sont présentés, de même que plusieurs bois non gravés qui ont été préservés par les amateurs.

Il ne s’agit donc pas seulement d’un hommage à Gustave, c’est aussi une accumulation de compliments à l’égard de ses graveurs. Ce qui n’est que justice, car ce sont eux qui l’ont fait vivre jusqu’à nous et le feront encore pour nos descendants.

Si l’on ignore, probablement pour toujours, le nom des graveurs qui ont permis la diffusion des dessins de Dürer (pour l’Apocalypse, etc.), si les artisans japonais qui ont travaillé d’après les subtiles compositions des Hokusaï et autres Hiroshige, on peut retenir les noms de Héliodore Pisan (le préféré de Doré, et son ami), de Jean Gauchard, de Charles Barbant (qui est loin de l’être), de Théophile Hildibrand, de Charles Maurand, d’Adolphe François Pannemaker, et de bien d’autres encore.

C’est par cette image (du moins le dessin original conservé au musée d’Orsay) illustrant le Corbeau de Poe (on est très loin de Manet) que se termine l’exposition (voir ci-dessous).

On les retrouvera dans le fort beau catalogue de la manifestation, très bien illustré, auquel ont participé de nombreux savants, avec en tête Franck Knoery, conservateur de la Bibliothèque des Musées de Strasbourg et commissaire de l’exposition3. On relève les noms de Laurent Baridon, professeur d’histoire de l’art à l’Université Louis Lumière Lyon 2, de Ghislaine Chagrot et Pierre-Emmanuel Moog, qui s’occupent de Doré et de Charles Perrault à la BnF, de Valérie Sueur-Hermel, conservatrice générale à la BnF, qui parle du bois de teinte, de François Fièvre, de Tours, qui étudie les relations entre Doré et le nigromaniériste anglais John Martin, de Kathrin Yacavone, spécialiste de la photographie, du Dr Eric Zafran, historien de l’art, et de Philippe Kaenel, commissaire de l’exposition qui avait eu lieu au musée d’Orsay en 20144.

Maxime Préaud

1 – Attention, ville « écolo ». Si vous ne connaissez pas les lieux, ne vous aventurez pas en voiture, c’est l’enfer (ni Dante ni Doré n’y sont pour rien). Tout est mal indiqué, visez la cathédrale.
2 – Qui s’imprime bien sur papier couché.
3 – Franck Knoery, dir., La constellation Gustave Doré. Une traversée dans l’édition illustrée au XIXe siècle, Strasbourg, Les Musées de la Ville de Strasbourg, in-4°, 280 p., 250 illustrations, 45 € (c’est un peu cher, mais ça vaut le coup, et en plus on peut le lire en ligne, pour ceux qui aiment ça).
4 – Doré : l’imaginaire au pouvoir : [exposition, Paris, Musée d’Orsay, 18 février-11 mai 2014, Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada, 13 juin-14 septembre 2014] / [catalogue] sous la direction de Philippe Kaenel ; [textes de Erika Dolphin, Côme Fabre, David Kunzle, et al.], Paris, Musée d’Orsay ; Flammarion ; Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada, 2014.

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