Claude Bureau – Vu et lu… pour vous https://www.vuetlu.manifestampe.net Magazine d'informations sur l'estampe dans tous ses états Sat, 10 May 2025 16:51:23 +0000 fr-FR hourly 1 https://www.vuetlu.manifestampe.net/wp-content/uploads/2021/01/cropped-favicon-512x512-1-32x32.jpg Claude Bureau – Vu et lu… pour vous https://www.vuetlu.manifestampe.net 32 32 Estampe : art ou métier ? https://www.vuetlu.manifestampe.net/estampe-art-ou-metier/ Sat, 10 May 2025 16:51:23 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=4198 Il est un travers bien français : la manie réglementaire administrative d’État. Une chose n’existe que si on l’a réglementairement nommée. La chose devient alors certaine. Quant à l’innommée, elle reste dans les limbes de l’inexistence. Ce travers d’antiques origines perdure aujourd’hui. La Fête de l’estampe célèbre l’anniversaire de l’arrêt dit « de Saint-Jean-de-Luz », rendu en … ]]>

Il est un travers bien français : la manie réglementaire administrative d’État. Une chose n’existe que si on l’a réglementairement nommée. La chose devient alors certaine. Quant à l’innommée, elle reste dans les limbes de l’inexistence. Ce travers d’antiques origines perdure aujourd’hui. La Fête de l’estampe célèbre l’anniversaire de l’arrêt dit « de Saint-Jean-de-Luz », rendu en Conseil d’État le 26 mai 1660 grâce au mémoire introduit par Nanteuil. Cet arrêt a fait échapper1 l’estampe et ceux qui la pratiquent à l’emprise des corporations de métiers. Par cet arrêt, le Roy déclarait maintenir tous ceux qui font profession de l’art de la gravure « en la liberté qu’ils ont toujours eue de l’exercer dans le Royaume, sans qu’ils puissent être réduits en Maîtrise ni corps de métier, ni sujets à autre règle ni contrôle. » N’étant par cet arrêt ni ici ni là; ni dans les Beaux-Arts, monopole des Académies, ni dans les métiers, monopole des corporations, l’estampe pouvaient donc jouir d’un bel espace de liberté. Toutefois, l’estampe entrait ainsi dans la convoitise de ces deux puissances : les Beaux-Arts ou les métiers dont on avait ignoré les monopoles. Elles allaient alors se disputer leur souveraineté sur cette belle innommée qui avait esquivé de peu la nomenclature de l’État.

Une des planches « gravure » de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert
(Cl. BnF-Gallica)

Jusqu’à il y a peu, l’estampe avec constance a balancé entre ces deux pôles : le métier ou l’art. Oscillations d’autant plus faciles à entretenir que, par sa nature même, l’estampe est née de l’un et de l’autre. Suivant l’époque et les individualités qui la pratiquaient, l’un ou l’autre prenait la prééminence pour ensuite la perdre quelques générations après. Maintenant que l’estampe n’a plus économiquement et socialement à remplir la fonction utilitaire qui la rattachait le plus profondément au métier : la reproduction et la diffusion des images en grand nombre, le penchant artistique l’a emporté haut la main. Néanmoins, l’estampe conserve encore un lien très étroit avec le métier. En effet, art créatif d’images2, l’estampe fonde sa matière expressive et artistique dans les différents procédés en usage pour reproduire des images à un moment ou à un autre : de la xylographie à l’impression numérique en passant par la taille-douce ou la sérigraphie, etc. Cette matière expressive est la substance même de l’image créée et reproduite. Or, chacun de ces procédés exige un métier, un « tour de main ». Même si les plus contemporaines de ces techniques rendent le « tour de main » moins manuel et plus virtuel, le métier demeure.

La pratique de l’estampe, devenue art à part entière et seulement cela, pousse son créateur ― l’artiste ― à se colleter lui-même avec le ou les procédés de reproduction choisis, à en explorer ou à en combiner toutes les possibilités expressives avec plus ou moins de bonheur. Bref, à inventer sans cesse, en les transgressant parfois expérimentalement, les canons du « beau métier ». Souvent cette évolution le conduit aussi à imprimer lui-même ses estampes, non seulement pour des motifs d’économie faciles à comprendre mais aussi pour mieux maîtriser, au plus près de la matrice, sa matière expressive et ses choix artistiques et ainsi mieux exprimer sa manière originale.

« Atelier de plein air » – William Blair Bruce
Huile sur toile – 73 x 92 cm
The National Museum of Fine Arts – Stockholm.

En revanche, tous ceux qui tiennent leur existence au métier de l’estampe exclusivement, comme notamment les imprimeurs ― en taille-douce, en lithographie, en sérigraphie, en héliogravure ou en typographie ― ont vu dans le même temps leur rôle et leur rentabilité économique se réduire. Ce phénomène a été aussi aggravé par la raréfaction des éditeurs d’estampes et de leurs commandes de tirages. Immanquablement la diminution du nombre d’éditions a entraîné la diminution du nombre d’imprimeurs d’estampes. Le fait qu’ils figurent encore en bonne place dans la nomenclature officielle des métiers d’art ne saurait à lui seul garantir leur survie contre le déclin. Car nommer la chose ne préserve en rien son existence. Leur disparition causerait à l’art de l’estampe un tort considérable et à la réglementation française seulement un petit erratum dans l’abondant maquis du corpus réglementaire. Les artistes, créateurs d’images, qui trouvent souvent fastidieux de faire de longs tirages à partir de leurs matrices, les éditeurs encore trop peu nombreux et les amateurs n’auraient plus alors la possibilité de faire appel à un métier dont la légitimité se fonde sur la reproduction fidèle, constante et de qualité d’une matrice produite par un autre. Ce serait alors dommage et pour le métier et pour l’art.

Claude Bureau

1Treize ans plus tard Jean-Baptiste Colbert régentera tous les métiers du royaume dans l’édit du 13 mars 1673 sans que soit abrogé l’arrêt de Saint-Jean-de-Luz.
2Qu’il ne faudrait pas confondre avec un loisir créatif qui ne va pas souvent au-delà d’une initiation scolaire aux procédés du métier, aussi louable soit-elle.

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Traits d’union https://www.vuetlu.manifestampe.net/traits-dunion/ Tue, 25 Feb 2025 19:06:48 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=4125 Une vue de la salle et de la mezzanine du Vieux-Colombier (Cl. Claude Bureau) « Traits d’union » Exposition de la « Jeune gravure contemporaine » Mairie de Paris VIe 15 février au 8 mars 2025 En cette fin d’après midi après la foule du Grand-Palais, la rue et la place Saint-Sulpice paraissaient bien calmes. Les couloirs de la … ]]>

Une vue de la salle et de la mezzanine du Vieux-Colombier
(Cl. Claude Bureau)

« Traits d’union »
Exposition de la « Jeune gravure contemporaine »
Mairie de Paris VIe
15 février au 8 mars 2025

En cette fin d’après midi après la foule du Grand-Palais, la rue et la place Saint-Sulpice paraissaient bien calmes. Les couloirs de la mairie de Paris VIe baignaient dans une douce torpeur administrative. Loin du brouhaha urbain, la salle du Vieux-Colombier au deuxième étage, éclairée par des lumières précises, accueillait quelques visiteurs silencieux et attentifs aux estampes qu’ils regardaient. Habituée des lieux l’association « La jeune gravure contemporaine » organise là l’édition 2025 de sa biennale. Le thème qui rassemble dans cette salle et sa mezzanine les quarante-deux sociétaires et leurs invités, s’intitule « Traits d’union ». Pour le faire vivre ou l’illustrer les artistes ont accroché côte à côte verticalement ou horizontalement – sauf Éric Fourmestraux qui les présentait en un retable que l’on pouvait ouvrir– trois estampes.

À l’issue d’un parcours attentif dans la salle et sur la mezzanine, les traits d’union de certaines présentations ne sont pas toujours visuellement évidents et méritent souvent une explication de texte donnée bien volontiers par les artistes de permanence. Toutefois, les liens entre chacun de ces triptyques peuvent s’expliciter aussi par les textes présents dans le catalogue conçu et réalisé par Julien Mélique. Dommage que ceux-ci ne se traduisent pas toujours visuellement d’évidence sur les murs. En revanche, trois bonnes et belles surprises se révélèrent pendant la visite.

Le triptyque d’Agnès Gauthier-Chartrette (Cl. Claude Bureau)

Les deux premières conçues par des habitués de longue date de cette manifestation, la troisième par une plus modeste sociétaire. « Traits d’union » d’Agnès Gauthier-Chartrette est la première surprise. Elle abandonne ici le tricot de ses tailles-douces pour la gouge du xylographe. Dans sa puissante gravure en noir et blanc à peine rehaussée d’un rouge au tampon, se retrouve un de ses sujets récurrents : entre les deux murailles d’une ruelle ou d’une rue que relient des fils suspendus, pendent des linges qu’on distingue à peine vus de près et qui prennent le vent quand on s’en éloigne.

Le diptyque de Nicolas Sochos (Cl. Claude Bureau)

La seconde est le diptyque de Nicolas Sochos « Sur le pont des Arts », vues parisiennes traditionnelles et pourtant : à gauche vu du quai Conti, le pont des Arts écorché d’où sourdent ses entrailles métalliques et au bout la cour carrée du Louvre où reposent d’immortels chef-d’œuvres ; à droite vu de l’autre rive, le pont toujours en travaux et l’Institut où siègent des Immortels dont les noms et les œuvres seront souvent oubliés quelques décennies plus tard ; parabole visuel sans doute de la difficile postérité de tous les ouvrages se réclamant de l’art.

Le triptyque de Line Sialelli (Cl. Claude Bureau)

Enfin, la troisième surprise est une verticale sombre et onirique : « Récupération de chaos 1-2-3 » de Line Sialelli où se mêlent des soubresauts telluriques, des cieux colériques et des villes tentaculaires. Ils dominent un petit personnage écrasé par ce chaos ; au-dessous, ce cauchemar encore inhabité ; au-dessus, le petit personnage sous une éclaircie, un enfer et un paradis peut être ? Une exposition donc à voir et à revoir d’autant plus que l’entrée en est libre et gratuite et que le catalogue est proposé pour la modique somme de cinq euros.

Claude Bureau

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Art métropolitain https://www.vuetlu.manifestampe.net/art-metropolitain/ Tue, 25 Feb 2025 18:39:17 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=4118 Une vue de la section gravure des « Artistes français » (Cl. Claude Bureau) « Art capital » Grand-Palais Paris VIIIe 19 au 22 février 2025 En cette dernière quinzaine de février 2025 la métropole parisienne offrait abondamment à ceux qui se passionnent pour l’art de l’estampe l’occasion de rassasier leurs regards. Qu’on en juge : « Art Capital » … ]]>

Une vue de la section gravure des « Artistes français »
(Cl. Claude Bureau)

« Art capital »
Grand-Palais Paris VIIIe
19 au 22 février 2025

En cette dernière quinzaine de février 2025 la métropole parisienne offrait abondamment à ceux qui se passionnent pour l’art de l’estampe l’occasion de rassasier leurs regards. Qu’on en juge : « Art Capital » au Grand-Palais, Damien Deroubaix à la BnF, « Illusions (conjugales)… » à la Maison Balzac, « Figures » à la galerie Anaphora, Gilles Martin-Lecointe à la Fondation Taylor, « Traits d’union de la JGC » à la mairie du VIe, etc. Devant cet abondance, le choix était embarrassant. Aller admirer la verrière du Grand-Palais rénové et son architecture de fer repeinte en vert céladon sur l’ocre lumineux de ses murs était bien tentant. Une visite sur la rive droite de la Seine peut-être suivie d’une autre sur sur sa rive gauche s’imposaient ce jour-là. D’autant plus que l’évènement ne durait que quatre jours. Fendu la foule de la place Georges Clemenceau, franchi l’embrouillamini des barrières métalliques, des barnums et des longues files d’attente des deux autres expositions de prestige et passé le porche, sous la lumière de la verrière une multitude de stands dévoilait toute l’importance de cette manifestation où deux mille artistes accrochaient leurs travaux.

Une seule après-midi ne suffirait donc pas à regarder toutes leurs œuvres. Dès l’entrée, après une station sans génuflexion devant les tristes figures des sinistres peintures de Michel Ciry auquel « Art capital » rendait hommage, on pouvait flâner dans le nouveau salon « In situ ». Organisé à l’initiative du « Salon des indépendants » et composé de trente stands spacieux, trente artistes y présentaient leur « one man show » ou leur « one woman show ». On pouvait aussi admirer le kimono de cérémonie de l’hôtesse et des œuvres qu’elle présentait sur l’espace de la délégation japonaise aux « Indépendants ». Puis poursuivre dans le dédale du « Salon du dessin et de la peinture à l’eau » et se perdre entre les trente-cinq groupes du « Salon comparaisons » avant de parvenir au « Salon des artistes français ».

Les linogravures de Jean-Pierre Ritz (Cl. Claude Bureau)

Dans les trois nefs et sur le balcon déambulatoire du Grand-Palais on trouvait donc tout, de toutes factures, pour tous les goûts et les dégoûts, de l’esbroufe talentueuse à la sincérité besogneuse en passant par le talent maîtrisé, dans tous les beaux-arts d’aujourd’hui : peintures, dessins, sculptures, installations… et peu d’estampes. L’hommage à Michel Ciry avait oublié qu’il fut un graveur à succès du XXe siècle. Seuls la section « gravure-estampe » des « Artistes français » et les groupes « De l’âme à l’estampe » et « Art-croisements » de « Comparaisons » leurs faisaient une place. Une nouvelle preuve, s’il en est besoin, que l’art de l’estampe demeure encore un art mineur voire ringard même en art capital.

« Bon chien chasse de race » de Kristina Buga (Cl. Claude Bureau)

Quoi qu’il en soit, la section des « Artistes français » partageait avec ses exposants une belle surface préservant l’intimité du regard des visiteurs sur les estampes accrochées. On pouvait aussi compulser les cartons ouverts par chacun des graveurs présents. Sans pouvoir les citer tous, signalons tout de même : les deux xylographies de Raùl Villulas, « Le rêve d’Ariane » en noir et blanc et « Le tissu des rêves » en couleurs ; les trois estampes de Guy Braun, animateur de la section, dont l’aquatinte « La lettre » était accompagnée de sa matrice en zinc ; les très simples et figuratives linogravures du breton Jean-Pierre Ritz, par ailleurs sculpteur, dont le prosaïque « Tas de fumier » se jouait sur plusieurs plans. L’air du temps n’était pas absent avec la série « Regrets » de Sébastien Lacombe qui découpait et mettait en volume rehaussé de bleu un portrait de jeune homme. Et, surtout, avec la monumentale – au moins deux mètres de long sur un mètre cinquante de hauteur – linogravure expressionniste en noir et blanc : « Bon chien chasse de race » de Kristina Buga, récompensée par le prix Taylor. Elle clôtura ainsi la visite d’un évènement majeur de l’art d’aujourd’hui dans sa gigantesque diversité. Comme le disait Arnaud Amalric au siège de Béziers : « Dieu reconnaîtra les siens… », le reste étant affaire de goût personnel.

Claude Bureau

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Doré et ses graveurs https://www.vuetlu.manifestampe.net/dore-et-ses-graveurs/ Mon, 03 Feb 2025 20:06:00 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=4074 Invitation à a projection de « Gustave Doré et ses graveurs » « Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… »1. Dans ce temps-là, la lueur blafarde des écrans de télévision noir et blanc ne baignait pas encore tous les foyers familiaux. Le jeune enfant, avant qu’il ne sache lire, pouvait … ]]>

Invitation à a projection de « Gustave Doré et ses graveurs »

« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… »1. Dans ce temps-là, la lueur blafarde des écrans de télévision noir et blanc ne baignait pas encore tous les foyers familiaux. Le jeune enfant, avant qu’il ne sache lire, pouvait se lover dans le giron d’un parent ou d’un grand parent et tourner les pages d’un épais et pesant volume. Dans le gris typographique de celles-ci s’ouvraient alors des fenêtre vers des aventures ou des voyages extraordinaires, des animaux fantastiques ou des contes et légendes d’autrefois. Enveloppé par la chaleur protectrice de l’adulte, l’enfant se plongeait sans bruit dans l’imaginaire de la rêverie et s’endormait paisiblement. Gustave Doré et ses graveurs ont ouvert de telles fenêtres dans leurs livres qu’on ne disait pas encore d’artiste. Ils connurent avec les contes de Perrault, les fables de La Fontaine, Rabelais, La Divine comédie, Don Quichotte, etc. des succès éditoriaux et de librairies considérables en plusieurs milliers d’exemplaires vendus.

Il faut savoir gré à Gallix-Production, animée par Bertrand Renaudineau et Laurence Paton, de leur avoir consacré ce nouveau court métrage de leur collection d’« Impressions fortes »2. Cette vidéo débute par un récit autobiographique du jeune Strasbourgeois Gustave Doré qui fit preuve d’une précocité artistique et éditoriale remarquable. Dessinateur infatigable, il livrait pendant ses études lycéennes à la presse une caricature hebdomadaire, puis, acculé par la nécessité il se lança dans l’illustration de presse et l’édition de luxe outre ses peintures qu’il accrochait au Salon annuel. Ensuite, Valérie Sueur-Hermel, conservateur à la BnF, met en valeur à travers les illustrations des contes de Perrault tout l’art du clair-obscur de Gustave Doré. Sous ses consignes précises, cette manière était rendu par ses graveurs grâce à la technique de la gravure dite de teinte. On l’ignore souvent : Doré dessinait directement au lavis coloré et à la gouache les planches en bois debout destinées à être gravées par d’autres. Parfois, il conservait la photographie de ces dessins qui disparaissaient au cours de la gravure de la planche.

« L’ours et les deux compagnons » gravure de teinte de Gustave Doré
pour la fable de La Fontaine (Cl. Claude Bureau)

Un détour à Strasbourg au Palais de Rohan permet à Franck Knoery, conservateur du musée, de détailler avec de nombreux exemples l’usage de cette gravure en bois de teinte sur des planches de grand format. Gustave Doré l’a abondamment employée pour illustrer les chefs-d’œuvre de la littérature ou ses reportages journalistiques en Espagne ou à Londres. Ensuite, une démonstration dans l’atelier de Gérard Blanchet, commentée par Maxime Préaud, donne à voir avec un petit renard comment s’élabore cette manière de faire : du dessin sur la planche en bois debout jusqu’à l’impression du premier état sur une antique presse à épreuve. La démonstration se poursuit dans l’atelier de Serge Marzin, peintre graveur autodidacte, qui narre la difficulté aujourd’hui de se procurer du bois debout. Sur une tranche de tronc d’arbre il grave lentement avec des burins de toutes tailles une chouette symbole de sagesse.

« L’avare qui a perdu son trésor » gravure de Gustave Doré
pour la fable de La Fontaine (Cl. Claude Bureau)

Le court métrage se termine sur la présentation par Franck Knoery de l’ultime planche dessinée au lavis et à la gouache par Gustave Doré qui n’a jamais été gravée.Il la destinait à l’illustration du poème d’Edgar Alan Poe traduit en prose cadencée par Charles Baudelaire : « Le corbeau ». La camarde avec sa grande faux trône sur un astre mort au milieu des nuées d’où s’envole un minuscule corbeau noir. Ultime planche et allégorie de la vie humaine qui débute comme un conte merveilleux et qui s’achève dans le néant : « Jamais plus ! »

Claude Bureau

1 – « La bohème », chanson de Charles Aznavour 1965.
2 – À commander pour 20 € à Gallix-Production en DVD ou à télécharger en HD pour la modique somme de 10 € : voir ici.

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Le trait discursif https://www.vuetlu.manifestampe.net/le-trait-discursif/ Tue, 03 Dec 2024 09:23:07 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=4009 « Clairon » burin d’Olaf Idalie (Cl. Fondation Taylor) Olaf Idalie, gravures Fondation Taylor 1 rue La Bruyère 75009 Paris 28 novembre au 21 décembre 2024 Olaf Idalie n’est pas un inconnu dans le monde de l’estampe. Taille-doucier émérite dans son atelier de Paris de la rue du Chemin vert puis de la rue Paul Bert, il … ]]>

« Clairon » burin d’Olaf Idalie (Cl. Fondation Taylor)

Olaf Idalie, gravures
Fondation Taylor
1 rue La Bruyère 75009 Paris
28 novembre au 21 décembre 2024

Olaf Idalie n’est pas un inconnu dans le monde de l’estampe. Taille-doucier émérite dans son atelier de Paris de la rue du Chemin vert puis de la rue Paul Bert, il y a imprimé de nombreuses estampes pour la Chalcographie du Louvre et pour des artistes graveurs contemporains méconnus ou connus, tel Mario Avati, entre autres. Dans chacun de ses ateliers, au cours de nombreuses expositions où il présentait ses propres gravures ou à l’École Estienne où il professa, il s’est forgé de solides amitiés encouragées par son affabilité et son humour. Retiré maintenant à Sainte-Foy-La-Grande, il continue de pousser son burin dans le cuivre et à imprimer, bon sang de taille-doucier ne saurait mentir, ses cuivres en des tirages impeccables. Parmi les deux cent-vingt burins que comporte son œuvre gravé, il présente ici à la Fondation Taylor une quarantaine d’entre eux choisis dans toute cette production.

« Horloge » burin d’Olaf Idalie (Cl. Fondation Taylor)

Olaf Idalie grave comme il écrit : précis, poétique et ludique. Ses estampes ne tournent jamais dans le grandiloquent. Économe de ses effets, il les cisèle sur des plaques de petit format qu’il juxtapose parfois pour obtenir des moyens formats, comme dans « Le Cavalier », « Les Ancêtres » ou « Combat des Titans ». Adepte de la ligne claire, il épargne son trait virtuose et ne le perd jamais dans l’accessoire. Car dans ses estampes tout tient à celui-ci : suave, charnel, lascif, sensuel, sensible ou voluptueux, en un mot enjôleur de son sujet et du spectateur. À portée de la main et de la rêverie, ce trait charmeur nous capte dans ses motifs circassiens, mythologiques ou fantastiques et dans ceux plus récents et plus abstraits. Étranger aux sensations brutales, il atténue souvent le contraste entre le sillon noir de son burin et le blanc du papier de tirage par du Chine appliqué, un léger roulage ou un essuyage subtil de son cuivre donnant ainsi un fond doré à sa broderie suggestive.

« Allégresse » burin d’Olaf Idalie (Cl. Fondation Taylor)

Sachant bien écrire, il sait le poids des mots et leur pouvoir. Les titres de ses estampes, calligraphiés avec soin sous chacune de ses images, ouvrent ainsi les portes à l’imagination. Ils induisent un autre regard, un regard différent mais attentif à ce trait qu’on poursuit alors sur la plage du papier en fugue avec l’expression poétique ou le mot offert. Un trait discursif vous dis-je ! À aller admirer sans tarder.

Claude Bureau

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Guy Jahan (1929-2024) https://www.vuetlu.manifestampe.net/guy-jahan-1929-2024/ Fri, 22 Nov 2024 16:46:31 +0000 https://www.vuetlu.manifestampe.net/?p=3973 « Retour de pêche » aquatinte de Guy Jahan (Cl. Guy Jahan) Il est des passions artistiques contrariées : Guy Jahan voulait être peintre. Hélas, il n’était pas bienséant qu’un des fils de la famille embrassât un destin aussi aléatoire. On toléra l’architecture où pouvait s’exercer son talent pour le dessin. Ainsi fut-il admis en 1949 dans … ]]>

« Retour de pêche » aquatinte de Guy Jahan (Cl. Guy Jahan)

Il est des passions artistiques contrariées : Guy Jahan voulait être peintre. Hélas, il n’était pas bienséant qu’un des fils de la famille embrassât un destin aussi aléatoire. On toléra l’architecture où pouvait s’exercer son talent pour le dessin. Ainsi fut-il admis en 1949 dans l’atelier d’architecture de Pierre Vivien à l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris pour en sortir en 1961 diplômé et lauréat d’un premier prix de la Chambre syndicale du bois. Après avoir exercé la profession d’architecte1 dans sa propre agence, il devint en 1978 architecte en chef du département des Yvelines puis son conseiller technique jusqu’en 1986. Sa carrière d’architecte diplômé terminée, il s’initia à la gravure dans les ateliers artistiques de la ville de Paris sous la houlette de Claude Breton. Guy Jahan se lança alors avec passion dans l’estampe à une époque où en France elle n’avait plus bonne presse et où l’image figurative n’avait plus les faveurs de la mode, des princes et des marchés de l’art contemporain.

Sans se soucier de cet air du temps, sa détermination et son talent artistique affrontèrent ces défis. Il s’exposait ainsi au rejet de générations d’artistes beaucoup plus jeunes que lui. Pourtant, il sut s’en faire reconnaître et y nouer de solides amitiés2. En effet, les estampes qu’il accrochait aux cimaises de nombreuses expositions collectives, ne laissaient pas indifférent même ceux pour qui le dessin et la figuration n’étaient plus en pointe. Car, il faut le souligner, Guy Jahan dessinait ses estampes, en bravache, en cabochard parfois, têtu sur le cap à suivre malgré les vents contraires en plaisancier à voile expérimenté qu’il était. Dans un siècle où sous prétexte d’innovation et de progrès technologique, voire de nouveaux horizons de l’art « post-quelque-chose » ou « pré-quelque-rien », le dessin a été abandonné comme fondement des arts plastiques au profit de spéculations intellectuelles et d’une rhétorique creuse, ses gravures procèdent primordialement de son dessin. Les unes ne vont pas sans l’autre. Comme sa pratique des chantiers le lui avait appris, la main qui trace et qui grave doit rester la servante d’un grand dessein ou, plus prosaïquement, d’une communication universelle entre les hommes : « un petit croquis vaut mieux qu’un long discours », comme dit le proverbe.

Guy Jahan croquait inlassablement sur le motif, qu’il soit de plein air ou celui d’un nu académique. Il esquissait toujours son sujet de gravure pour le faire advenir ou pour le préciser, avant de se lancer dans son exécution sur la plaque vierge. Sa main exprimait alors, dans le tracé du dessin, l’émotion ressentie, l’accent, le caractère, le volume, la lumière ou l’angoisse de la chose ou de l’être capturé sur la surface plane du papier. Son dessin précis et rigoureux, voire vigoureux, composait ainsi ses images qui ne doivent rien au hasard. Toutefois, sa figuration n’était jamais ce qu’un regard distrait pourrait qualifier de photographique. Au contraire, on y baignait dans une émotivité à fleur de peau, aux aguets de tout ce qui pouvait amplifier le saillant de ce qu’il observait et qu’il nous restituait ainsi sublimé. Il s’agit là d’une figuration subjective où sa personnalité volontaire, sensible et, quelquefois, colérique s’exprimait tout en recréant sans l’affadir le sujet pour lequel il gardait une respectueuse fidélité. Grâce à la maîtrise de son dessin, il en faisait surgir d’évidence la structure fondamentale qui est souvent celée à la commune vision, comme la structure d’un squelette est dissimulée sous la variété des chairs.

« Carénage au Grau du Roi » aquatinte de Guy Jahan (Cl. Guy Jahan)

Marin, il savait qu’on ne plie pas à nos caprices les plus fous les éléments sans en respecter les structures dans lesquelles la nature les ordonnance. Il faut les accompagner avec discipline pour mieux les utiliser afin qu’elles accomplissent le dessein pour lequel on les sollicite. Ainsi, le cap est-il tenu dans son œuvre gravé. Car, l’acte de graver ne se contente pas de la seule transposition du dessin préparatoire sur la plaque. Il suppose d’anticiper, dans l’éraflure de la pointe sèche ou dans le sillon de la gouge, ce que l’expressivité particulière de l’estampe apportera à celui-là. Ici, au sens propre, on part toujours à la découverte. La preuve de son inspiration créatrice, on la trouvera seulement à l’épreuve de la presse, au tirage. Dans cette transposition, comme le marin affronte les flots, il faut modestement apprivoiser la matière. Exercice difficile dans la xylographie où le fil du bois impose des courants qu’on ne peut outrepasser que lof sur lof et dont le louvoiement apporte aux grands bois3 de Guy Jahan une force peu ordinaire.

« Pin d’Alep n°2 » xylographie de Guy Jahan (Cl. Guy Jahan)

Ses sujets de prédilection s’articulaient autour de séries qu’il enrichissait d’année en année : série sur les paysages, souvent marins, lui qui adorait les plages de Saint-Malo; série sur les oiseaux; série sur le corps humain qu’il remettait en scène dans des tableaux mythologiques intemporels et, surtout, série sur les arbres, de toutes essences et, s’agissant d’images, de tous formats jusqu’aux plus grands.

« Le Baobab » xylographie de Guy Jahan (Cl. Guy Jahan)

Cependant, toutes ces séries ne relèvent pas d’une simple curiosité documentaire. Les nuées et les vagues rebattues par les vents laissent ici l’écume des apparences pour laisser place aux rythmes et aux structures qui bâtissent l’ossature de ses estampes. Le regard de ses oiseaux pourrait glacer d’effroi les pauvres bipèdes aptères que nous sommes tant ses volatiles ouvrent, dans leurs essors ou dans leurs rassemblements inquiétants, un autre monde, tout hitchcockien, où nous n’existons plus. Dans ses arbres, ces êtres vénérables qui défient les siècles et les éléments ou la folie des hommes souvent à leur désolation, sa gravure nous offre mille raisons d’être captivé. Dans cette grande famille sylvestre et ses sujets si singuliers, en boqueteau ou isolé, là, dans l’alternance des blancs et des noirs, parfois rehaussés de couleurs, il savait nous faire passer de la leçon de choses à la leçon de vie. Car, dans leurs ramures, si précisément observées, si bien structurées et qu’il faut prendre le temps de parcourir, estampes après estampes, feuilles après feuilles, brindilles après brindilles, branches après branches, affleurent parfois évanescentes les formes généreuses du corps féminin. Par delà les structures pérennes de l’arbre, comme une promesse d’un éternel renouveau, sous les regards de ses oiseaux qui y perchent, dans le bercement d’une brise marine maintenant apaisée, s’annonce, peut-être, une nouvelle vie. Qu’il est bon de s’asseoir et de s’assoupir en rêvant au pied des arbres dans les mails et les forêts où croissent ceux de Guy Jahan.

Claude Bureau

1 – Pour les férus d’architecture, ils pourront lire cet article de Guy Jahan « Les gratte-ciel ; vont-ils naître en Europe sous l’impulsion de la télévision ? », cité in-extenso par Vincent Johan (qui ne précise pas les sources de cet article) sur le site spécialisé « Fonciers en débat » : voir ici.
2 – Il participa ainsi aux associations « Empreintes », « Lignes et couleurs » et « Graver Maintenant » où il fut membre de son conseil d’administration et du comité de rédaction de son journal imprimé. Il était aussi devenu un habitué des ateliers Moret auxquels il confiait l’impression en polychromie de ses grandes planches xylographiées.
3 – Il choisissait de grandes planches de contreplaqué souvent de 60×45 cm sur lesquelles il dessinait puis gravait ses matrices. Comme il l’a expliqué, la xylographie convenait bien à son caractère : « L’arbre m’attire depuis longtemps ; je l’ai dessiné, représenté sur cuivre, puis en xylographie . Cette technique permet un vocabulaire, une expression plus directe qui me convient bien. Après avoir utilisé des contreplaqués de 5mm, j’en suis venu à du 10mm plus stable dans le temps. » Pour en savoir plus sur le parcours artistique de Guy Jahan, on se référera à la visite de son atelier par Maxime Préaud, « Un grenier rue Albert », publiée par ce magazine le 15 décembre 2023 : voir ici.

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